Togo: Edem Kodjo, Premier ministre du Togo : " Un homme d'Etat ne sert pas un individu, il sert la Nation "

14 Novembre 2005
interview

Lomé — Membre fondateur du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT, au pouvoir),fondateur de l'Union Togolaise pour la Démocratie en 1993, Premier ministre de Gnassingbé Eyadéma de 1994 à 1996, reparti dans l'opposition pour constituer la Convergence Patriotique Panafricaine, Premier ministre de Faure Gnassingbé depuis juin 2005, Edem Edouard Kodjo est donc revenu aux affaires, si tant est qu'il en était parti.

Dans un Togo qui renoue avec le soutien de la communauté internationale après douze ans de quarantaine et qui cherche à se réconcilier avec lui-même, l'ancien Secrétaire général de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA, de 1978 à 1983) se pose comme l'homme de la situation. Pour lui, c'est un devoir auquel il ne pouvait se soustraire.

Vous venez de passer cinq mois à la tête du gouvernement togolais. Pouvez-vous dresser un bilan de vos actions ?

Nous avons eu de multiples défis en arrivant à cette position de Premier ministre. Les défis étaient d'abord ceux de la réconciliation nationale, de la reprise du dialogue, de l'édification d'un état de droit et de la relance économique et sociale. Dans tous ces domaines des chantiers multiples ont été ouverts. Et plus que des chantiers même, parfois des réalisations concrètes ont été posées.

Dans le domaine de la réconciliation nationale, qui nous prenait le plus en otage directement, beaucoup de choses ont été accomplies. Après les douloureux événements que notre pays a connus, un certain nombre de personnes s'est réfugié au Ghana et au Bénin. Ces réfugiés sont partis parce qu'ils craignaient l'insécurité. Je peux dire qu'aujourd'hui la sécurité est rétablie et que la tranquilité est également rétablie. Il est loisible à tout un chacun de le constater. Pour y parvenir, il a fallu délivrer des messages d'apaisement, entreprendre des démarches d'apaisement. L'ensemble de la communauté togolaise est consciente aujourd'hui de ce qu'il y a un message qui a été passé et que la réconciliation fait son chemin.

Nous avons discuté avec ceux qui s'occupent des réfugiés au plan international, notamment le Haut Commissariat des Nations-Unies aux Réfugiés, dans le cadre de nos activités avec le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Nous avons élaboré un programme d'actions pour que les réfugiés puissent rentrer ici. Il a été approuvé par la communauté internationale. Il y a même pour ce programme d'action, un financement qui a été attribué par l'Union Européenne. Mais le problème des réfugiés est le problème de savoir s'ils ont confiance qu'ils peuvent rentrer sans aucune espèce de difficulté.

Pour cela nous avons même voulu aller plus loin en faisant adopter par l'Assemblée Nationale une loi d'amnistie. Seulement on nous a fait remarquer, notamment au plan international, que la loi d'amnistie ne devrait pas être totale, mais sectorielle et qu'elle ne devrait pas concerner tous ceux qui ont eu à pâtir de la situation passée, mais qu'elle devrait réserver la possibilité de la punition à ceux qui ont été reconnus coupables d'actes dégradants et infâmants. C'est cela plutôt qui a freiné l'adoption du texte que nous devions faire passer sur l'amnistie, de sorte que ceux qui sont à l'extérieur puissent rentrer sans aucune espèce d'appréhension. Cette affaire d'impunité, nous l'étudions parce que parmi ceux qui sont à l'extérieur, il y a aussi des gens qui ont posé des actes dégradants et infâmants. Si nous les traduisions en justice, nous compromettrions définitivement la possibilité de donner confiance à ceux qui sont dans les camps de réfugiés, pour qu'ils puissent revenir au pays.

Indépendamment de la question des réfugiés, nous avons fait des avancées notables sur le plan de la réconciliation. Nous avons établi une commission dite de réhabilitation de l'histoire, qui est chargée d'étudier l'histoire togolaise et de réhabiliter les grands hommes qui ont fait le Togo. Cela implique un certain nombre d'anciens dirigeants politiques dont M. Sylvanus Olympio, le premier président de ce pays. Cet acte était réclamé depuis longtemps par les populations et nous sommes heureux d'être parvenus à établir une commission qui sera chargée de cette question.

Sur le plan de la justice, nous avons fait beaucoup de choses. Non seulement nous avons libéré des prisonniers, libéré ceux qui ont été compromis dans ces affaires, mais nous venons également de libérer près de 400 détenus qui, uniquement au titre de la détention préventive, n'avaient pas vu leur procès accéléré. La réforme de la justice est l'un des points majeurs sur lesquels nous pouvons nous glorifier d'un succès, parce que cette réforme a son contour totalement défini et, à l'heure où je vous parle, l'Union Européenne a affecté 4,5 millions d'euros pour l'accomplissement de cette réforme. C'est donc quelque chose qui est très attendu, parce qu'il n'y a pas de démocratie sans une justice accomplie. La démocratie ne se résume pas à l'alternance politique. La démocratie se résume d'abord à l'édification d'un état de droit.

Au plan économique et social, nous avons pris des mesures ponctuelles pour soulager un peu quelques petites misères, pour permettre par exemple aux étudiants de s'inscrire à un tarif convenable ; pour intégrer les enseignants auxiliaires qui étaient longtemps dans l'administration et qui n'étaient jamais considérés comme des fonctionnaires ; pour débloquer les avancements, parce que qu'il y a une règle ici qui voulait qu'on puisse avancer mais sans en toucher les conséquences financières. Cela, nous l'avons fait en très peu de temps, ce qui montre que ces trois ou quatre derniers mois ont été positifs. Nous savons qu'il y a encore beaucoup de choses à faire et nous sommes disposés à le faire.

S'agit-il de l'exécution des vingt-deux engagements pris par le Togo auprès de l'Union Européenne en 2004 ?

Oui, il y en a qui concernent les engagements que nous avons pris en avril 2004. Par exemple au point 3-6, on parle de renouveler un certain nombre d'organes comme la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication. Elle a été totalement renouvelée, son président est un journaliste issu de l'opposition, ou du moins reconnu comme tel. Donc nous n'avons pas fait mystère de notre volonté d'ouverture. Il a été choisi par ses pairs comme président de la HAAC. Il en sera de même pour la Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Peuples, dont les statuts doivent également être revus, conformément à ce point 3-6. Il y a plusieurs engagements qui ont fait l'objet d'exécution. D'ailleurs, en définitive, il faut les prendre par ce qui n'a pas encore été fait. Parce que ce qui a été fait, c'est tous les engagements sauf le dialogue politique, que l'on considère comme n'ayant pas été totalement amorcé, ce qui d'ailleurs à mon avis est faux. Il est amorcé et largement, mais il reste à lui trouver un cadre dans lequel il sera formalisé. A part cet engagement-là, je ne vois pas lequel des vingt-deux engagements pris en 2004 qui n'ait pas reçu totalement ou fort partiellement un début d'exécution.

Que reste-t-il à faire pour que la formalisation du dialogue national et la relance du processus électoral soient vraiment effectives ?

Le processus électoral est un acquis et les élections se feront. Les dates ont été définies de commun accord avec l'Union Européenne. Donc tout le monde sait que ces élections auront lieu l'année prochaine. Dans ces conditions, nous sommes tout à fait disposés d'ailleurs à voir la question du recensement électoral, puisque l'Union Européenne a débloqué une enveloppe pour l'effectuer. Puis nous passerons aux listes électorales, nous verrons le code électoral. Ce sont là les éléments du dialogue. Ces élements seront mis sur la table et nous dialoguerons autour de cela pour trouver une solution convenable à tous. Mais tout le problème du Togo ne se limite pas au dialogue, il est plus vaste que cela. On a tendance à ne voir que le dialogue, mais au-delà, il y a trente six mille choses qu'il faut accomplir pour le bien-être de ce pays et nous les accomplissons.

Les militaires ne sont plus aux carrefours de Lomé. Les populations interrogées pour savoir s'il en était ainsi depuis le nouveau gouvernement, ont répondu qu'il suffirait que l'on reparte pour que les militaires reviennent. Vous confirmez ?

Comment peut-on confirmer des absurdités pareilles ? S'ils ne sont pas là, c'est qu'ils ne sont pas là ! Si réellement la présence des militaires changeait quelque chose au comportement des Togolais, ils auraient réagi dès que les militaires sont partis. Vous auriez vu une ville à feu et à sang devant vous, en direct. Quel leader de l'opposition ne serait pas tenté de faire cela ? " La presse internationale est présente, nous allons démontrer que ce pouvoir ne repose sur rien. Nous allons démontrer qu'il y a du tracas en ville " Avez-vous vu quelque chose ?

On vous dit homme des situations difficiles. En 1994, vous avez fait revenir les réfugiés togolais qui avaient fui les violences de 1993. Cette fois, n'avez-vous pas eu peur, malgré votre carrure, de prendre la tête d'un gouvernement qui a tout à refaire, dans un pays qui repart presque de zéro ?

A quoi sert la carrure d'un homme d'état s'il doit aller se reposer dans son village ? Si quelqu'un a une carrure, est-ce pour servir ses frères et soeurs ou pour aller se reposer dans son village et cultiver son champ ? Je ne le crois pas. On me dit constamment que je suis un homme de carrure et que je risque de compromettre mon image de marque. Cela ne pèse pas lourd. Mon image de marque. Si elle est compromise pendant que je suis en train de travailler pour mon pays, soit ! Qu'elle soit compromise ! Si ce que je fais est mal, on le dira.

Avez-vous entendu dire que M. Kodjo a mis un journaliste en prison dans ce pays, en dépit des injures dont on nous abreuve tout le temps ? Ou que j'ai porté plainte contre un journaliste ? Ou que j'ai indûment envoyé quelqu'un en prison ? Non ! Nous travaillons à établir un état de droit et nous sommes les premiers à respecter l'état de droit. Ce qui se passe aujourd'hui au Togo est une situation difficile. Les problèmes sont difficiles. Il faut beaucoup de volonté pour trouver des solutions. Mais s'il y a des gens qui peuvent le faire, il faut qu'ils le fassent. S'ils ne le font pas, il vont mourir et être enterrés glorieusement, mais comparaître devant leur Créateur qui leur dira : " Vous avez manqué à votre tâche parce qu'il y avait une situation qui appelait votre compétence ou votre carrure et vous avez fui devant vos responsabilités ". D'ailleurs l'histoire aura rapidement rétabli les faits. Croyez-vous que les jugements des contemporains valent quelque chose ? Rien du tout ! Seul compte le jugement de l'histoire. Et l'histoire, elle, ne se compromet pas. Elle rétablit les faits. Elle verra bien que vous avez fui devant vos responsabilités et ce sera porté à votre débit. Donc à mon humble avis, ce que nous faisons aujourd'hui est ce que nous avions à faire.

Vos anciens alliés de l'opposition vous ont qualifié de traître, parce que vous avez servi le père, maintenant le fils, après deux passages dans l'opposition. Que pouvez-vous leur répondre ?

Alors on dit " Vous avez servi le père, pourquoi vous servez le fils ? ". Et on rebâche des inepties de cette nature. Un homme d'état ne sert pas un individu, il sert l'état, il sert la nation. Cela me paraît évident ! Quand je vois des gens qui sont bardés de diplômes et qui disent " Pourquoi il est avec ce jeune ? " Ce n'est pas une affaire de jeune ou de vieux. C'est une affaire d'intérêt de la nation, d'intérêt de l'état qu'il faut pousser vers l'avant. Il faut agir pour que l'état se porte mieux. Qui peut dormir tranquille en ayant conscience d'avoir laissé son pays dans un état défavorable, alors qu'il aurait pu apporter une petite contribution à améliorer le sort de ses concitoyens ? Celui-là ne sera jamais un grand homme.

Vous êtes un homme de culture, sportif, vous avez fait du football, vous êtes écrivain, membre d'une chorale. Avez-vous le temps aujourd'hui de vous consacrer à toutes ces passions ?

Le football, je ne le fais plus à mon âge, je fais plutôt de la natation, mais régulièrement parce que c'est une condition sine qua non de ma santé, pour que je puisse être au service de mon pays. La chorale et autres, ce sont des activités que j'ai pratiquées jusque là. Je n'ai plus tellement de temps de m'en occuper convenablement, mais je garde un oeil ouvert sur ce qui se passe dans ces chorales que j'ai plus ou moins animées. Homme de culture. Quand j'aurai le temps, je reprendrai ma plume.

Pensez-vous à écrire un livre sur le Togo actuel, avec ce qui s'y déroule comme événements ?

Je ferai des mémoires. Et je vous assure que beaucoup de gens le sentiront passer, quand ces mémoires auront été écrites. Je dirai la vérité et je dirai les dessous de quelques vérités, parce qu'on a trop trompé les gens, la réalité n'est pas celle que l'on diffuse de gauche et de droite. Nous l'écrirons. Si nous ne l'avons pas encore fait jusqu'à présent, c'est parce qu'un homme politique qui n'est pas totalement accompli ne peut pas se mettre à écrire ses mémoires. Quand je prendrai ma retraite, j'écrirai mes mémoires et vous saurez bien ma part de vérité sur le Togo et sur l'Afrique.

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