Guinée: Résister à la séduction des "bons" coups d'Etats

22 Mars 2006
tribune

Samedi dernier, le Président guinéen Lansana Conté, gravement malade, était évacué de Conakry vers Genève.

22 ans plus tôt, en mars 1984, le premier Président de la République de Guinée, Ahmed Sékou Touré, dans un état similaire, était évacué de Conakry vers Cleveland aux Etats-Unis où il décéda. Une semaine plus tard, un groupe d'officiers, avec Lansana Conté à sa tête, prit le pouvoir par un coup d?Etat. Les Guinéens, heureux de s'être débarrassés d'un dictateur, dansèrent dans les rues de Conakry.

Aujourd'hui, des officiers de l'armée prépareraient, à Conakry, un nouveau coup d'Etat. S'ils prennent le pouvoir, la Guinée se sera encore une fois débarrassée d'un dictateur et les Guinéens danseront dans les rues.

De tels événements doivent être pris pour ce qu'ils sont et pas pour ce que nous voudrions qu'ils soient. Des populations qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles et sous des régimes oppressifs, dansent dans les rues, non pas parce que les putschistes d'aujourd'hui sont bons, mais parce que ceux qu'ils remplacent étaient mauvais.

L'Afrique a connu plus de cent coups d'Etats depuis les années 1960. Jusqu'en 2005, seul un coup d'Etat, celui intervenu au Mali en 1991, était considéré comme un « succès». Cependant, les moeurs politiques changent et les coups d'Etats sont soudainement revenus « à la mode ».

Ceci est en grande partie la conséquence du coup d'Etat d'août 2005 en Mauritanie. Le Colonel Ely Ould Mohamed Vall qui l'a mené présente bien, il est direct et crédité d'une moralité irréprochable, autant de qualités qui plaisent aux chancelleries occidentales. Même l'Union africaine, héritière de l'Organisation de l'unité africaine dont le rejet des coups d'Etats était le premier article de foi, semble impatiente de voir se tenir les premières élections de la transition pour pouvoir accorder sa bénédiction au nouveau régime.

L'euphorie qui a suivi le putsch à Nouakchott, de même que le silence cynique face au coup d'Etat de facto qui a eu lieu au Togo l'an passé, n'a pas échappé aux officiers de Conakry. Au lendemain du coup d'Etat en Mauritanie, la presse guinéenne appelait l'armée de son pays à suivre l'exemple. Ils avaient oublié que Conté, en 1984, avait dirigé le « Comité militaire du redressement national » censé mettre fin à la culture de la peur, de la torture et de la répression qui s'était développée durant les 26 ans du régime de Sékou Touré.

Si les Guinéens ne réussissent pas à tirer les conclusions de ce passé, et nourrissent le fol espoir de voir une confiscation illégale et autoritaire du pouvoir se muer en une restauration de la bonne gouvernance et de l'Etat de droit, ils auront une bonne raison : la plupart des familles à Conakry ne mangent, au mieux, qu'une fois par jour. Dans un tel contexte de désespoir et de faim, ils pourraient souhaiter la bienvenue au premier venu qui se présenterait en "sauveur".

Pourtant les Guinéens demeurent beaucoup mieux placés que tous ceux qui pensent pouvoir faire leur bien malgré eux, pour savoir ce qui est dans l'intérêt de leur pays. Fin février - début mars, Conakry était paralysée pendant cinq jours par une grève générale rigoureusement respectée. Malgré leurs conditions économiques déplorables, les Guinéens ont sacrifié à cette occasion des revenus vitaux.

Les partis d'opposition guinéens, jusque-là divisés et aveuglés par la politique du tout ou rien ont subitement réalisé qu'ils se faisaient marginaliser par l'efficacité de la mobilisation syndicale contre le régime Conté. Ils ont décidé d'organiser une « Concertation nationale » rassemblant les partis politiques, les syndicats, les groupes de femmes et de jeunes, ainsi que d'autres organisations de la société civile.

C'est au moment où, pour la première fois, les représentants de toutes les composantes de la société guinéenne discutaient ensemble de l'avenir du pays que le Président se faisait évacuer. Au terme de leurs travaux, ils ont proposé la mise en place d'un gouvernement d'union nationale chargé de diriger une transition de 18 mois, sous le regard et l'accompagnement d'un "observatoire international" comprenant les représentants de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), de l'Union africaine et des Nations unies.

La majorité de ceux qui font discrètement l'apologie des « bons coups d'Etat » en Afrique estiment, par exemple, qu'il est évident que l'occupation de l'Irak n'est pas la bonne façon de promouvoir la démocratie. Pourquoi les coups d'Etat seraient-ils par contre la voie recommandée pour installer la démocratie? Il ne peut y avoir des normes différentes pour l'Afrique.

Les Guinéens méritent une succession légale et démocratique. Certains Guinéens, aussi bien des militaires que des figures politiques qui doutent de leurs chances dans une compétition réellement démocratique, aimeraient se voir offrir le pouvoir sur un plateau. Aucun de ces groupes ne parle au nom de la masse des Guinéens. Ceux-ci ont montré dans les dernières semaines leur volonté de prendre des risques pour pouvoir contrôler leur propre destinée.

Dans ce processus, il est de notre devoir de les soutenir.

Gareth Evans, Ministre des affaires étrangères d'Australie de 1988 a 1996, est Président et Directeur exécutif de l'International Crisis Group. Mike McGovern est Directeur du projet Afrique de l'Ouest de l'International Crisis Group. (www.crisisgroup.org)

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