Cameroun: Un parti, deux congrès, un mort : Crise du SDF racontée

Partisans et adversaires du président du Sdf, John Fru Ndi, s'affrontent au gourdin et à la machette pour imposer des congrès concurrents que les premiers veulent tenir à Yaoundé et les seconds à Bamenda.

L'enjeu du congrès est crucial. Il s'agit en effet d'élire le nouveau Comité exécutif national du parti (Nec), et donc, en particulier son président. Mais si pour John Fru Ndi l'heure n'est pas à l'alternance, dans les rangs du Sdf une dissidence s'est levée derrière le député Clément Ngwasiri, une autre a rallié l'ancien bâtonnier Bernard Muna qui brigue la présidence du Sdf. La fracture est consommée.

Le " chairman ", John Fru Ndi avait décidé de tenir du 26 au 28 mai la 7e convention du Sdf à Bamenda, dans sa province anglophone, à quelque quatre cents kilomètres au nord-ouest de Yaoundé, où, selon la radio nationale, 3 000 délégués étaient déjà arrivés vendredi matin. Sous-titré "Conférence de la renaissance ", le congrès restait toutefois sérieusement hypothéqué par le dépôt d'une plainte en justice du député Ngwasiri. Exclu du Sdf en février dernier le (trop) frondeur président de la cellule des conseillers du parti, Clément Ngwasiri, espérait en effet rentrer au bercail en obtenant la suspension de ses censeurs, tous membres de l'actuelle direction du parti.

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Arguties juridiques

Saisi par Clément Ngwasiri qui invoquait l'expiration du mandat du Nec, en avril 2003, le tribunal de Yaoundé avait demandé aux plaignants et aux accusés de surseoir à toute décision et donc de ne pas convoquer de congrès, en attendant qu'il statue sur le fond. Mais depuis lors, le Sdf s'est lézardé un peu plus, la querelle en légitimité se transformant rapidement en un conflit d'autorité musclé, les uns et les autres faisant assaut d'arguties juridiques pour maintenir leur congrès respectif, à Bamenda et à Yaoundé. Au jour J de la réunion des congressistes adverses, la décision de justice était imminente. Mais l'enjeu est politique. La passe d'armes s'est donc poursuivie, creusant un sillon sanglant entre des compagnons de route usés par des espoirs électoraux maintes fois déçus.

Chacun des adversaires a lu à sa manière le jugement rendu mardi par le tribunal qui affiche le souci de "préserver l'ordre public " sans trancher, affirmant la pleine autorité de la cellule des conseillers sur la défense des "intérêts du parti " tout en relevant que le mandat du Nec "n'a pas été renouvelé " depuis qu'il "est arrivé à expiration ". Le président dissident du SDF pour la région de Yaoundé, Pascal Zamboué, en conclut que "l'organisation du congrès est désormais suspendue et qu'il appartient à la cellule des conseillers de prendre de nouvelles résolutions pour la bonne marche du parti ". C'était déjà la position du président de cellule Clément Ngwasiri lorsqu'à la mi-février il avait prononcé la "suspension " des pouvoirs du chairman et de son comité exécutif national. Vendredi matin, des partisans de John Fru Ndi, sont venus leur apporter un démenti tranchant et confondant.

Affrontement sanglant

Les gendarmes de Yaoundé disent avoir été alertés vers cinq heures du matin par des membres du Sdf réunis au siège du parti pour préparer leur congrès concurrent de celui de Bamenda. Ils ont découvert le corps sans vie du secrétaire administratif du Sdf pour la province de Yaoundé, Grégoire Diboulé, gisant sur la chaussée, à proximité des bureaux du parti. Parmi les blessés, cinq seraient dans un état grave. Pascal Zamboué accuse des partisans de Fru Ndi d'avoir "fait irruption avec des gourdins et des machettes pour saccager le siège du parti et agresser tout le monde ". Dans la nuit de dimanche à lundi, l'antenne Sdf de Yaoundé avait déjà été le théâtre d'affrontements. Mais ces derniers n'avaient pas atteint l'irréparable.

Le 20 mai dernier, jour de la fête nationale qui célèbre l'anniversaire de l'unification des parties francophone et anglophone du Cameroun en 1972, le Sdf avait purement et simplement été interdit de défilé, les deux factions revendiquant le droit de porter sa bannière et les autorités invoquant des risques de bagarres. "Une faction avait demandé et obtenu l'autorisation de défiler mais l'autre a promis de troubler l'ordre public au cas où le Sdf serait représenté au défilé par le camp d'en face ", explique le gouverneur de la province, Francis Fai Yengo. Le pouvoir Biya fait son miel de l'implosion de son principal challenger, le grand parti des anglophones, l'initiateur des ardentes journées villes mortes des années quatre-vingt-dix.

Exclusions en chaîne

John Fru Ndi et son Sdf ne sont pas parvenus à entamer le règne ininterrompu depuis 1982 de Paul Biya. En octobre 2004, ce dernier n'a fait qu'une bouchée présidentielle du candidat Fru Ndi. Le Sdf et son immuable chairman ne sortent pas intacts de l'épreuve de force. Certains militants accusent même Fru Ndi de compromission avec le régime Biya. Celui-ci serait parvenu à convaincre le chairman de se contenter de régner sur ses terres de Bamenda et de tirer les seules ficelles du Sdf où il est candidat à sa propre succession. Pour sa part, le sexagénaire John Fru Ndi avait commencé par répondre à sa fronde interne par des mises au ban du parti. Une vingtaine de contestataires sont désormais exclus. Avant eux, d'autres avaient rompu les amarres pour rejoindre la concurrence, dans l'opposition, mais aussi parfois en ralliant le parti de Paul Biya. Entre temps, les critiques intérieures contre l'autoritarisme voire la corruption de John Fru Ndi s'étaient faites plus insistantes.

Début mai, le directeur du journal The Chronicle, Eric Motomu, a été agressé par le service d'ordre du Sdf, dans une localité proche de Bamenda, Fundong, où John Fru Ndi faisait campagne pour sa réélection à la présidence du parti. Eric Motomu a écrit de "mauvais articles contre le chairman ". Il a inscrit John Fru Ndi sur une liste de "milliardaires " qu'il affirme stipendiés par le parti présidentiel, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Pour sa part, l'ancien bâtonnier de l'Ordre des avocats du Cameroun, Bernard Muna, a lui aussi été exclu du Sdf après avoir dénoncé "la dérive " du parti et les "prébendes dont bénéficient certains de ses dirigeants ".

Depuis son retour du Rwanda où il occupait les fonctions de procureur adjoint du Tribunal pénal international chargé de juger les commanditaires et les auteurs du génocide de 1994, Bernard Muna se voit en effet un avenir prometteur à la tête du Sdf. Reste à déloger l'emblématique Fru Ndi. La bataille s'annonce rude. Pour le Sdf, elle menace de se solder par une victoire à la Pyrrhus.

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