Cote d'Ivoire: La culture du coton en difficulté dans le nord, faute d'intrants

Korhogo — Alors que le calendrier agricole annonce la fin de la période des semis du coton pour le 10 juillet prochain, les cotonculteurs du nord de la Côte d'Ivoire n'ont toujours pas d'intrants (herbicides et engrais) pour commencer les semailles de la campagne 2006-2007.

Toujours confrontés au non-paiement de leurs arriérés de l'ordre de 30 millions de dollars, qui date de quatre ans (2002-2006), les producteurs de coton de Côte d'Ivoire ne peuvent pas se procurer les différents intrants pour démarrer les semis.

Ces arriérés sont dus par des sociétés cotonnières qui avaient acheté le coton-graine aux producteurs pour l'égrener. La cotonculture fait vivre plus d'un million de personnes dans le nord de ce pays d'Afrique de l'ouest.

Pour la campagne 2006-2007, les fournisseurs d'engrais et d'herbicides ont d'abord exigé que soit payé les dettes de la campagne de semis 2005-2006.

Le ministère ivoirien de l'Agriculture s'était porté garant pour payer ces dettes en cas de difficultés de remboursement des sociétés cotonnières, a indiqué à IPS, Dossongui Diabaté, directeur de la coopération et du crédit à la Société industrielle cotonnière des savanes -- une union régionale de coopératives de cotonculteurs devenus égreneurs.

Entre 2002 et 2006, les entreprises de la filière coton de Côte d'Ivoire, dont la principale zone de culture est le nord, ont perdu plus de 50 millions de dollars d'intrants agricoles aux cotonculteurs dont elles attendaient d'égrener une production d'environ 300.000 tonnes de coton-graine. Mais elles n'ont obtenu des producteurs que 82.000 tonnes de coton-graine, dont la valeur correspond à 30 millions de dollars d'intrants, selon Diabaté.

"Le reste du coton (218.000 tonnes) a été acheminé vers les pays voisins parce que les sociétés cotonnières doivent aux producteurs et ceux-ci ont trouvé nécessaire de vendre le reste de leur production à vil prix à l'extérieur où ils sont payés cash", a expliqué à IPS, Nadjin Ouattara, chargé de l'encadrement dans une union régionale de coopératives agricoles.

Les cotonculteurs ivoiriens ont vendu les 218.000 tonnes au Mali et au Burkina Faso à environ 200 dollars la tonne, qui leur sont payés cash, alors que les 82.000 tonnes ont été achetées à au moins 360 dollars - mais à crédit - par les sociétés cotonnières de Côte d'Ivoire, explique Diabaté à IPS.

Le gouvernement ivoirien a décidé de débourser quelque neuf millions de dollars "pour le bon déroulement de la campagne cotonnière", selon un communiqué du Conseil des ministres du 21 juin. Le conseil a notamment recommandé de payer des arriérés à une entreprise fournisseur d'intrants, pour permettre aux paysans d'acquérir de nouvelles livraisons "d'engrais indispensables à leur culture".

Cependant, selon le communiqué, le président de la République a demandé au ministre de l'Agriculture d'entamer une réflexion sur une vision stratégique globale qui intègre un plan de restructuration financière de la filière, tout en tenant compte des résultats d'un audit en cours de la filière coton.

Selon Diabaté, les sociétés cotonnières s'endettent d'abord auprès des fournisseurs pour prendre des intrants qu'elles distribuent à crédit aux organisations des cotonculteurs avant les semis. Ensuite, pendant la commercialisation, les producteurs vendent leur coton-graine aux sociétés cotonnières qui l'achètent en prélevant immédiatement les frais de ces intrants pour rembourser les fournisseurs.

Mais, durant ces quatre dernières années de crise politico-militaire que traverse le pays, les cotonculteurs ont refusé de vendre leurs productions aux sociétés cotonnières à cause des arriérés de paiement de leur coton-graine, souligne Ouattara à IPS.

"Ils vendent cash, à des prix dérisoires, à l'intérieur du pays ou dans les pays frontaliers. Avec ces changements de comportement des cotonculteurs, les sociétés cotonnières se sont retrouvées dans l'incapacité de rembourser les fournisseurs d'intrants", affirme-t-il.

Depuis le 19 septembre 2002, la Côte d'Ivoire est divisée en deux par une rébellion consécutive à une tentative de coup d'Etat manquée. Des militaires insurgés, qui occupent la moitié nord du pays, avaient pris les armes pour s'opposer à une exclusion présumée des populations du nord.

Néanmoins, après une reprise récente du dialogue, l'armée gouvernementale et les rebelles ont annoncé le démarrage du désarmement qui devrait suivre le pré-regroupement des combattants, effectué depuis la mi-mai. Mais, en dépit de nombreuses médiations internationales, le pays n'est pas encore réunifié alors que les élections présidentielles sont prévues au plus tard le 30 octobre 2006.

Le manque d'engrais et d'herbicides, constate IPS, se manifeste dans les grandes zones de production de coton, notamment dans le nord, le nord-est et le centre du pays où sont installées les différentes sociétés cotonnières.

Parmi les cinq sociétés cotonnières que compte le pays, une seule a effectué, depuis mai, la mise en place des engrais et herbicides dans ses réseaux de producteurs. Les autres sont obligées de rembourser leurs fournisseurs avant de bénéficier d'un autre crédit d'intrants pour la campagne 2006-2007.

Selon Ali Zerbo, commerçant au marché de Korhogo, dans le nord, des contrebandes de ces produits chimiques sont organisées avec la complicité des cotonculteurs. "Les commerçants vont à Abidjan (la capitale économique ivoirienne) pour payer cash des intrants auprès des mêmes fournisseurs que les sociétés cotonnières. Ensuite, ils revendent ces produits à des prix que les cotonculteurs trouvent raisonnables par rapport aux sociétés cotonnières qui vendent à crédit mais plus cher", révèle-t-il à IPS.

"Le sac d'engrais (50 kilogrammes) coûte 10.250 francs CFA (environ 20,5 dollars) chez le commerçant du quartier au lieu de 13.000 F CFA (26 dollars) à crédit avec les sociétés cotonnières", indique-t-il.

"Ensuite, pour des besoins d'argent, les producteurs de coton revendent à 5.000 F CFA (environ 10 dollars) ces mêmes produits chimiques obtenus à crédit...aux commerçants ambulants (usuriers) qui sillonnent, pendant cette période de culture, hameaux et villages avec des billets de banque", affirme à IPS, Abdoudramane Sangaré vendeur de produits chimiques au marché de Boundiali (nord-est de Korhogo).

Et, à la saison prochaine, ces vendeurs ambulants revendent ces mêmes intrants aux cotonculteurs, peu plus cher, mais toujours en dessous des prix des sociétés cotonnières, ajoute-t-il.

Au cours d'une réunion du Conseil général de Korhogo, le mois dernier, le ministre de l'Agriculture, Amadou Gon, avait annoncé que son ministère mettrait tout en oeuvre pour intervenir auprès des fournisseurs d'intrants afin que les cotonculteurs puissent sauver la campagne 2006-2007.

Selon Désiré Kambiré, président d'une coopérative de producteurs à Ferkessedougou, dans le nord, "Le calendrier agricole qui file ne nous attend pas et jusqu'à présent, nous sommes dans l'incertitude. Même si l'engrais arrive, ceux qui ont commencé le semis depuis le 2 mai auront une bonne production par rapport à nous qui aurons nos engrais avec un grand retard".

Après la fin du mois de juin, l'engrais sera dépassé car il ne pourra plus agir sur la plante, déplore Ouattara. "Résultat : les productions des cotonculteurs vont considérablement baisser en quantité et en qualité, et la filière coton de Côte d'Ivoire ne fera que régresser".

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