Soudan: Nous avons sauvé des Européens. Pourquoi pas des Africains?

4 Octobre 2006
tribune

Alors que s'annonce une deuxième vague génocidaire au Darfour, les dirigeants du monde accélèrent leurs efforts diplomatiques. Le gouvernement soudanais rejette purement et simplement le déploiement d'une force onusienne de 22.000 soldats, sachant qu'une telle force serait bien plus efficace que les troupes de l'Union africaine, même si on augmente le nombre de soldats comme envisagé actuellement.

À ce jour 450.000 innocents ont déja péri, et plus de 2,5 millions ont fui leurs habitations. Et le Soudan a engagé une offensive majeure dans la région du Darfour. Après trois années de négociations stériles et de réthorique sans effet, il est temps d'aller au-délà des résolutions onusiennes restées lettre morte pour un nouveau genre de résolution: la ferme résolution d'agir.

Les dirigeants du monde continueront-ils à accorder aux auteurs d'un génocide  le veto sur une action internationale visant à y mettre fin? À moins d'un changement dramatique, la réponse semble être oui.

Le Premier ministre britannique Tony Blair a proposé de soudoyer le gouvernement soudanais en lui accordant un allègement de la dette, de l'aide et des concessions dans les échanges commerciaux afin de l'amener à admettre une force onusienne de maintien de la paix. Par contraste, la Secrétaire d'Etat américaine  Condoleezza Rice a ménacé de confronter le Soudan, et le président Bush a déclaré: "Si le gouvernement soudanais n'approuve pas rapidement cette force de maintien de la paix, les Nations Unies doivent agir." Mais aucun d'eux n'a dit comment. Au contraire, le président a nommé Andrew Natsios, un ancien administrateur de l'USAID, comme son réprésentant spécial au Darfour. Le rôle d'un réprésentant spécial est de négocier, mais les Soudanais n'ont rien à apporter à la table de négociation.

Entre temps, la réalité se trouve perdue dans cet imbroglio diplomatique. Prémièrement, l'accord de paix sur le Darfour, négocié par les Etats-Unis et fatalement défectueux dès sa signature, est mort. Deuxièmement, le Soudan a violé tout engagement pris visant à stopper les tueries dans le Darfour. Troisièmement, il est improbable que la Chine contraindrait le Soudan à admettre les Nations Unies (7% de son pétrole est en jeu, et la Chine comprendrait aisément que les Etats-Unis attachent beaucoup plus d'importance à son aide pour ce qui est des dossiers iranien et nord-coréen).  Quatrièmement, l'heure des sanctions est passée; et même si par miracle la Chine y agréait, il faudrait des mois avant que les effets de ces sanctions se fassent ressentir. Le Soudan aurait eu tout le temps de parachever sa deuxième vague génocidaire.

Or l'hisoire nous enseigne que Khartoum ne comprend qu'un seul langage, à savoir la menace crédible de faire usage de la force. Lorsque le président Bush a donné un avertissement aux Etats qui accueillent les terroristes suite aux attaques du 11 Septembre 2001, le Soudan (se souvenant des frappes aériennes américaines de 1998 sur Khartoum) a tout d'un coup commencé à coopérer dans la lutte anti-terroriste.

Il est à nouveau temps de durcir le ton avec Khartoum.

Après des négotiations diplomatiques rapides, les Etats-Unis devraient rechercher une résolution de l'Onu donnant un ultimatum au Soudan: une semaine pour accepter le déploiement inconditionnel de la force onusienne ou faire face à des conséquences militaires. La résolution autoriserait par ailleurs les Etats membres de l'Onu à la faire respecter collectivement ou individuellement. La pression militaire continuerait jusqu' à ce que le Soudan cède.

Ainsi les Etats-Unis, préférablement avec la participation de l'Otan et le soutien politique de l'Afrique, frapperaient les bases aériennes soudanaises, ses avions, ainsi que d'autres installations militaires. Ils imposeraient également un blocus du port soudanais, par lequel passent les exportations pétrolieres du pays. Ensuite les troupes onusiennes pourraient se déployer, usant de force si nécessaire, avec le support des Américains et de l'Otan.

Si les Etats-Unis ne parviennet pas à obtenir le soutien onusien, il faudrait alors agir sans. Impossible? Non. En 1999, les Etats-Unis agirent sans bénédiction onusienne au Kosovo afin de confronter une crise humanitaire moindre (environ 10.000 morts) et un adversaire bien plus impressionant. Sous les auspices de l'Otan, les Etats-Unis bombardèrent des cibles serbes jusqu' à ce que Milosevic acquiesce. Pas un seul soldat américain ne périt en combat. Beaucoup de nations protestèrent, arguant que les Etats-Unis avaient violé le droit international, mais au final l'Onu déploya une mission afin d'administrer le Kosovo et, de façon rétroactive, accorda sa bénédiction à l'action militaire de l'Otan.

Est-ce inimaginable dans le contexte actuel? Il est vrai que le climat international est beaucoup moins favorable que celui de 1999; la guerre en Irak et les scandales de torture ont poussé beaucoup à l'étranger à douter de nos motifs et de la légitimité de nos actions. Certains rejeteront purement et simplement toute future action militaire américaine, particulièrement une entreprise à l'encontre d'un régime islamique, même si elle visait à stopper un génocide perpétré à l'encontre d'une population civile musulmane.

Le Soudan a aussi proféré la menace que Al-Qaeda attaquerait toute force non africaine dans le Darfour, ce qui est tout à fait possible, étant donné que le Soudan avait auparavant donné refuge à Osama Ben Laden et à ses entreprises. Mais permettre à une autre nation d'user de la menace terroriste pour empêcher les Etats-Unis d'agir établirait un précédent dangereux, lâche et étant donné le génocide, immoral.

Certains diraient que les forces américaines ne sont pas en mesure de s'engager dans une autre action  militaire. Nos forces terrestres sont etirées au point d'éclatement, dirait-on. Mais une campagne de bombardement aérien or un blocus naval réviendrait principalement à l'armée de l'air et à la marine, qui ont une capacité relativement plus grande. En outre, elle pourrait faire usage des 1.500 militaires américains actuellement en stationnement au Djibouti voisin.

D'autres insisteraient que toute action entreprise sans le consentement de l'Onu ou d'un organisme régional compétent constituerait une violation du droit international. Peut-être bien. Mais le Conseil de Sécurité a récemment codifié une nouvelle norme internationale prescrivant "la responsabilité de protéger", qui engage les Etats membres à prendre des actions décisives, y compris la mise en exécution, lorsque les mesures pacifiques ne parviennent pas à empêcher le génocide ou des crimes contre l'humanité.

Ce génocide dure depuis trois longues années. Les mesures pacifiques ont fait échec, et le gouvernement soudanais est en phase de lancer une deuxième vague. La question réelle est: Ferons-nous usage de la force en vue de sauver des Africains au Darfour comme nous l'avions fait par le passé pour sauver des Européens au Kosovo?

Susan E. Rice est un cadre supérieur au Brookings Institution. Elle a servi comme sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires Africaines de 1997 en 2001. Anthony Lake est professeur à l'université de Georgetown. De 1993 en 1997, il fut Conseiller en matière de Sécurité nationale. Donald M. Payne est un Réprésentant du parti démocrate au Congrès américain issu de l'Etat du New Jersey. Cet article a également été  publié le 3 Octobre 2006 dans le Washington Post. (Traduit de l'anglais par François Gouahinga.)

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