Guinée: Le statut quo fait planer la menace d'un putsch

25 Janvier 2007
tribune

A Conakry, la capitale guinéenne qui s'étend le long de la côte Atlantique, c'est la saison de l'harmattan, quand les pluies cèdent aux vents chauds de ce nom, portant avec eux des jours et des nuits brumeuses.

En début de soirée ce mercredi, une demi-lune paresseuse tentait de faire sa percée d'un ciel nuageux lorsque la nouvelle éclata: le président Lansana Conté aurait fait marche-arrière face à la grève générale, et il aurait donné son accord de principe sur la nomination d'un nouveau premier ministre avec des pouvoirs exécutifs élargis.

Depuis déjà 15 jours, Conté, qui saisit le pouvoir en 1984 suite à un putsch mais qui depuis a remporté trois élections, refusait de transférer ses pouvoirs à un "premier ministre de consensus", tel que l'exigeait les syndicats qui arguent que son état de santé ne lui permet plus de gouverner. Âgé de 72 ans, Conté souffre d'un cas de diabète avancé.

Le 10 janvier dernier, les syndicats ont déclenché une grève nationale visant à protester contre le coût élevé de la vie, la mauvaise gestion économique et l'immixtion du président dans les affaires judiciaires. (En décembre 2006, en effet, Conté s'était rendu en personne à la prison centrale de Conakry pour libérer Mamadou Sylla et Fode Souma, mis aux arrêts pour corruption).

La grève et les émeutes qui s'en sont suivies entre les forces de sécurité et les manifestants ont fait 45 morts de source officielle, mais certaines sources indiquent des chiffres allant au double, voire le triple du bilan officiel. La journée de lundi a été la plus meurtrière, avec notamment 17 personnes tuées dans la capitale.

Durant son long règne de 23 ans, Conté n'a jamais fait face à une telle mobilisation populaire contre son régime. Un régime soutenu et maintenu au pouvoir par les forces armées, qui jouissent de toutes sortes de privilèges financiers en retour de leur loyauté envers le président. Riche en ressources minérales, la Guinée détient les deux-tiers des réserves de bauxite du monde, mais les mines sont présentement closes, faisant encourir au pays des pertes de l'ordre de plusieurs centaines de millions de dollars par jour.

Mesurant la gravité de la situation, Conté fit une apparition rare sur les antennes de radio et de télévision samedi dernier, appelant le peuple et l'armée à le soutenir.

Quelles sont les implications pour la Guinée maintenant qu'il a accepté la désignation d'un premier ministre? Qui seront les perdants et gagnants de cette nouvelle mise en scène? Deux scénarios sont envisageables.

Dans le premier cas de figure, Conté a compris qu'il ne pourra plus tenir en otage un pays de 10 millions d'habitants. Il a décidé alors de céder le pouvoir à un premier ministre qui "jouera le jeu" en accordant une immunité à lui et à sa famille. Si tel est le cas, le leadership civil et des officiers de l'armée perdront leurs privilèges et s'exposeraient à toutes sortes de poursuites, allant de délits financiers mineurs aux violations de droits de l'homme ainsi qu'aux crimes contre l'humanité. L'armée sera-t-elle impassible devant un telle perte de ses privilèges? Peu probable.

Sous le deuxième scénario, Conté veut gagner du temps, et il n'hésitera pas à tacler tout premier ministre qui tenterait de lui ravir ses pouvoirs. Dans ce cas de figure, le pays sombrerait sous une crise institutionnelle, et au final, ce sont les Guinéens qui perdront. De nouvelles manifestations s'en suivront, ainsi que de nouvelles tueries, facilitant un inévitable putsch militaire. Quelle que soit la durée, il est clair que l'armée tentera de préserver ses privilèges en proférant des menaces ou, dans le pire des cas, par une intervention directe dans l'arène politique.

C'est le moment plus que jamais d'envoyer un signal clair aux forces armées: le peuple de Guinée, la communauté ouest-africaine, l'Union africaine et la communauté internationale ne sauraient tolérer un putsch militaire ou la continuité d'un régime corrompu et autocrate qui a mis le pays à genoux, privant au passage le peuple de ses droits démocratiques et d'opportunités économiques.

Un correspondant spécial à Conakry.

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