Nigeria: Nuhu Ribadu, le justicier d'Abuja

6 Avril 2007

Washington, DC — La stature svelte, les cheveux coupes à ras, les lunettes scintillantes...ainsi se présente l'homme le plus populaire du Nigeria. Et aussi le plus haï.

A 47 ans, Nuhu Ribadu est le patron de la puissante Commission nigériane de lutte contre les crimes économiques et financiers, plus connue sous son sigle anglais EFCC. Un ancien policier, Ribadu se trouve presque malgré lui au centre d'une controverse qui continue de faire couler beaucoup d'encre et de salive dans son pays, d'autant plus qu'elle touche directement le numéro deux nigérian, le vice-président Atiku Abubakar.

Créée en 2002 par le parlement nigérian, l'EFCC a pour mission de combattre toutes formes de malversations financières. Une responsabilité que Ribadu prend très à cœur. "Nous insistons à ce que ceux qui sont identifiés comme corrompus soient trainés en justice afin de servir d'exemple de dissuasion pour tous", dit-il.

C'est ainsi qu'en 2007 un panel du Sénat a mis sous inculpation le président Obasanjo et son vice-président. Suite à cette décision, la commission électorale indépendante (INEC) avait invalidé la candidature d'Atiku Abubakar pour l'élection présidentielle du 21 avril prochain. Une décision vivement contestée par le vice-président, qui a aussitôt engagé des poursuites judiciaires, insistant que l'INEC n'a pas l'autorité légale pour disqualifier les candidats.

%

Pour ses supporters, on reproche à l'ancien sociétaire d'Obasanjo d'avoir claqué avec fracas la porte du PDP (parti au pouvoir) avant de se présenter comme candidat du Action Congress à la présidentielle. Il s'agirait donc, à leurs yeux, d'une chasse aux sorcières.

Des accusations que Ribadu rejette du revers de la main. "Nous ne sommes pas habitués à voir les personnalités de ce pays trainées en justice, et c'est ce qui explique ces réactions". De même, il réfute les accusations de récupération politique, en attirant l'attention sur le fait que la majorité des personnalités inculpées par sa commission sont issues du PDP. De toutes les façons, précise-t-il, les innocents n'ont pas de souci à se faire.

"Je veux être clair, di-t-il, ce sont les activités illicites qui attirent les sanctions". Et de préciser: "Chaque dossier que nous portons devant les tribunaux présente suffisamment de preuves, et ce sont ces tribunaux qui déterminent le verdict".

Pour cet avocat de carrière, il s'agit avant tout d'éduquer la population sur l'importance de l'obéissance aux lois. "Nous avons développé une culture d'impunité et pour  renverser la situation il faut envoyer un message en punissant ceux qui sont coupables", dit-il.

Ribadu est un ancien policier qui met à nu les contradictions du pays le plus peuplé d'Afrique. Avec plus de 150 millions d'habitants, le Nigeria se veut être une nation moderne, mais le pays peine à se débarrasser de son passé marqué par l'impunité de ceux qui ont les bras longs.

Un passe marqué aussi par une culture politique aux revirements incessants tout aussi spectaculaires les uns que les autres. Dernier en date: deux verdicts contradictoires livrés le même jour (mardi)  à quelques heures d'intervalle concernant l'avenir politique du vice-président Atiku Abubakar.

Le premier verdict, issu de la Cour d'Appel d'Abuja, affirme l'autorité de l'INEC sur l'invalidation des candidatures; tandis que le second, issu de la Haute Cour Fédérale, soutient au contraire que la validation des candidatures est du ressort des partis politiques. Les deux verdicts ont fait l'objet d'appels des camps respectifs à la plus haute juridiction de l'Etat.

Pressentant le danger d'une éventuelle manipulation de l'EFCC, le Senat retira en février dernier au président le pouvoir de nommer les membres de la commission.  Une démarche qui, quoique salutaire, intervient un peu trop tard pour Atiku Abubakar, dont le sort dépend désormais de la Cour suprême du Nigeria.

Quoi qu'il en soit, Ribadu a le soutien de certains officiels, pour qui la corruption effrénée pourrait nuire considérablement à l'image et à l'économie du pays. Parmi eux, Nasir Ahmad el-Rufai, le ministre en charge de la capitale fédérale. Pour lui, "Nuhu Ribadu est le héros de l'homme de la rue". Il ajoute: "Nuhu est très impopulaire parmi l'élite corrompue, mais les Nigérians ordinaires l'adorent... parce que l'homme de la rue sait que le combat de Nuhu, c'est aussi le sien".

Pour el-Rufai, Ribadu est non seulement présidentiable, mais si des élections avaient lieu en dehors des plateformes des partis politiques, il les remporterait sans difficulté.

Une éventualité que ce dernier rejette catégoriquement. "My goodness! Je ne suis pas un politicien, mais alors, pas du tout", scande-t-il. "Nous travaillons pour le bien du pays (...) afin de changer les choses", précise-t-il.

Sur les 400 dossiers sur lesquels l'EFCC enquête, 150 verdicts de culpabilité ont été livrés, pour la plupart des gros poissons.

"Aujourd'hui il y a plus de bébés appelés Nuhu qu'il en existe portant un tout autre nom", affirme el-Rufai. "Pour la première fois dans l'histoire du Nigeria, les personnes haut placées réfléchissent deux fois avant de s'adonner à des activités de corruption".

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.