Zimbabwe: Quelles perspectives après la présidentielle?

29 Mars 2008
tribune

Les élections présidentielles du Zimbabwe ce samedi marquent plusieurs « premières ».

Le président Robert Mugabe fait face au premier défi venu de l'intérieur de son parti actuellement au pouvoir, ZANU-PF, en la personne de Simba Makoni, un ancien ministre des finances et technocrate respecté. Pour la première fois aussi, Mugabe a deux sérieux adversaires : Makoni et le leader de l'opposition Morgan Tsvangirai, candidat du Mouvement pour le changement démocratique (MDC).

Cette course à trois augmente la possibilité de se retrouver avec une autre première : un second tour avec les deux premiers candidats si aucun n'atteint 51% des votes au premier tour.

Mais c'est ici que les nouveautés s'arrêtent. Comme d'habitude, les abus systématiques du gouvernement, qui ont entaché les élections précédentes, sont répétés et l'on prévoit qu'ils continuent jusque, pendant et après le vote, particulièrement puisqu'ils sèment la confusion au sujet de nouvelles règles électorales complexes. Et puis surtout, Mugabe, au pouvoir depuis presque trois décennies, ne semble pas prêt à concéder une défaite. Il est prêt à tout pour rester à la présidence, y compris à intensifier la violence.

Il y an un, la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) avait nommé le président sud-africain Thabo Mbeki à la tête de la médiation entre ZANU-PF et l'opposition fragmentée. Mbeki avait publiquement déclaré que la priorité de cette médiation était de garantir des élections libres et équitables. Mugabe a mis son veto. Peu importe ce qui se passe le jour du vote, l'élection est déjà gâchée par un mauvais comportement pré-électoral et un résultat qui sera probablement hautement contesté.

Seuls des observateurs internationaux « amis » ont été acceptés lors de ces élections. Mais il est crucial que l'Union africaine (UA) et la SADC jugent l'environnement électoral général et non pas seulement le vote le jour même de l'élection, afin de s'assurer que les conditions du scrutin sont en accord avec les principes régionaux. Le refus des missions d'observation africaines d'endosser les élections frauduleuses de décembre 2007 au Kenya est un exemple à suivre.

Les préparations électorales ont été faussées au Zimbabwe. Le découpage des circonscriptions a été un exercice de charcutage électoral, les listes sont remplies de noms de morts, de fantômes et de personnes transférées d'autres circonscriptions, et il y a trop peu de bureaux de vote dans les centres urbains où le soutien à l'opposition est le plus fort. Tout en concédant un paquet de réformes, ZANU-PF a eu recours à tous les moyens à sa disposition pour maintenir un avantage injuste. Le parti au pouvoir a lancé une campagne d'intimidation contre tous ceux qui sont perçus comme opposants, tandis que les médias publics se comportent comme les porte-parole de Mugabe. Le complexe militaro-sécuritaire reste plus implanté que jamais.

Les élections de samedi auront lieu dans un climat de souffrance généralisé. L'inflation astronomique a fait perdre toute sa valeur à la monnaie nationale. Aujourd'hui, les nouveaux billets de dix millions permettent tout juste d'acheter un pain. La nourriture, l'essence et les médicaments essentiels sont frappés de pénuries chroniques et la plupart des travailleurs ont fui vers l'Afrique du Sud et d'autres pays voisins dans l'espoir d'y trouver du travail. Le gouvernement a exploité cette catastrophe humanitaire en manipulant l'aide et en achetant les votes. Les Zimbabwéens attendent désespérément la fin de cette crise, mais ils ont peu d'espoir que les élections de samedi puissent amener le changement désiré.

L'entrée tardive de Makoni dans la course comme candidat indépendant a néanmoins généré une certaine excitation. Sa candidature est orchestrée par des poids lourds de ZANU-PF – bien que presque tous restent en arrière-plan. Cela a jeté le trouble dans le parti au pouvoir et laissé Mugabe dans l'incertitude au sujet de ses alliés. Le soutien populaire limité de Makoni et son support opaque de la part de l'establishment jouent contre lui, mais son défi pourrait ouvrir la voie au sommet du parti en accélérant les réalignements dans un parti déjà divisé en factions. Quel que soit le résultat des élections, ZANU-PF a déjà changé.

Trois scénarios électoraux sont envisageables.

Premier cas de figure : Mugabe est déclaré vainqueur au premier tour. Cela nécessiterait des fraudes massives, même dans un environnement inégalitaire. Il est prévu que les résultats soient annoncés après cinq jours. Cela laisse à la commission électorale, contrôlée par le gouvernement, un bon laps de temps pour tricher.

Deuxième cas de figure : second tour entre Mugabe et Tsvangirai. En fonction de l'ampleur des fraudes, le leader de l'opposition a de bonnes chances d'atteindre un second tour. Il a des partisans fidèles, bien que son image ait été ternie par des querelles au sein de l'opposition. S'il devait concourir lors d'un second tour, Mugabe préférerait être opposé à Tsvangirai puisque le parti au pouvoir soutiendrait plus facilement le président sortant.

Troisième cas de figure : second tour entre Mugabe et Makoni. Si les membres du parti mobilisent suffisamment de support derrière sa candidature, Makoni pourrait atteindre le second tour. C'est le pire scénario pour Mugabe. ZANU-PF pourrait alors éclater, ce qui permettrait d'atteindre une forte assise populaire si Makoni formait un front commun avec l'opposition. Le risque de violence serait alors élevé.

Même avec un scénario pareil, Mugabe pourrait bien s'approprier la victoire. Mais aucun des trois scénarios, même en cas de réélection, ne peut produire un gouvernement capable de mettre fin à la crise au Zimbabwe.

Face à des fraudes massives et à une élection âprement disputée, l'UA doit être prête à servir de médiateur pour parvenir à un accord sur un partage de pouvoir qui mènera à un gouvernment de transition avec un agenda de réformes.

Un tel accord ne doit pas nécessairement retirer Mugabe du gouvernement. Aussi difficile à accepter que ce soit, il est peut-être nécessaire que Mugabe fasse office de chef d'État non-exécutif pendant une période de transition en attendant de nouvelles élections.

Comme au Kenya, les leaders régionaux, avec le soutien de l'Occident, doivent agir rapidement et avec résolution si les élections ne mènent pas à un gouvernement légitime.

Si de telles mesures ne sont pas prises, la chute du Zimbabwe continuera, et la lutte autour de la succession de Mugabe pourrait facilement provoquer des effusions de sang.

Les élections de samedi promettent d'être chaotiques et peut-être violentes. La communauté internationale doit prévoir un plan pour faire face à d'éventuelles confrontations dans un pays enfoncé dans la crise.

François Grignon est Directeur du Programme Afrique de l'International Crisis Group.

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