Afrique: Doha - l'urgence n'est pas un luxe

30 Avril 2008
tribune

La crise alimentaire mondiale actuelle est aggravée par les entraves au libre-échange, selon Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), pour qui l'aboutissement des négociations du Round de Doha sous l'égide de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), devient désormais une urgence.

Les gouvernements à travers le monde sont confrontés à l'affaiblissement des économies et à la flambée des prix alimentaires. Tandis que les manifestations de compassion se multiplient, une action importante et immédiate pour aider à résoudre la crise consisterait à adopter un nouvel accord commercial multilatéral.

La libération des échanges de biens et de services peut donner un puissant coup de fouet à l'économie mondiale en stimulant l'innovation et la productivité. Selon les estimations de l'OCDE, une réduction de 50 % des droits de douane et des autres aides faussant les échanges dans les seuls secteurs de l'agriculture et des biens manufacturés générerait des gains de bien?être mondiaux estimés à 44 milliards USD par an. En particulier, les pays en développement verraient le taux de croissance de leur PIB par habitant augmenter de 2 % par an à la faveur d'une libéralisation intégrale des tarifs douaniers.

Pourtant, les gouvernements hésitent encore, pour toutes sortes de fausses raisons. Retarder encore la libéralisation des échanges privera des centaines de millions de personnes d'une chance de construire une vie meilleure.

Six décennies de libéralisation progressive du commerce multilatéral dans le contexte du GATT et de l'OMC ont engendré des gains considérables. Depuis vingt ans que l'OCDE suit les politiques agricoles dans les pays développés, les taux nominaux de protection des prix agricoles ont baissé de plus de moitié. Le volume des échanges mondiaux de marchandises est aujourd'hui 27 fois plus élevé qu'en 1950, alors que la valeur de la production mondiale n'a été multipliée que par huit au cours de la même période. Les tarifs douaniers industriels dans les pays développés sont tombés de 40 % en moyenne en 1950 à moins de 4 % aujourd'hui.

Mais la tâche n'est pas terminée. Les entraves à la production et aux exportations agricoles exacerbent la crise alimentaire actuelle. À un moment où les prix des denrées agricoles atteignent des niveaux sans précédent, nous avons une occasion unique, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, de réduire les aides à l'agriculture qui faussent les échanges, d'ouvrir les marchés agricoles et de libérer les capacités productives.

C'est cette voie, et non le protectionnisme, qu'il faut choisir pour combattre la flambée des prix alimentaires et le marasme des économies. Les restrictions et les embargos à l'exportation peuvent offrir un bref répit aux consommateurs de tel ou tel pays, mais découragent les agriculteurs d'accroître leur production alimentaire en réponse à la hausse des prix mondiaux. De même, la protection des agriculteurs au moyen de droits de douane et d'autres restrictions aux frontières signifie des prix plus élevés pour les consommateurs et des débouchés réduits pour les fournisseurs étrangers compétitifs. Abrités contre les variations internationales des cours, les producteurs agricoles sont moins aptes à s'ajuster à l'évolution des demandes du marché, ce qui accentue la volatilité mondiale des prix.

Comme le dit un vieil adage commercial, « le meilleur remède contre les prix élevés, ce sont des prix élevés ». La hausse des cours du pétrole stimule l'exploration et l'exploitation de resources jusqu'ici marginales, et incite à redoubler d'efforts pour développer des énergies de substitution. De même, la montée des prix des denrées induira sans doute une expansion de l'offre — à condition que les pouvoirs publics laissent les hausses se répercuter sur les agriculteurs.

Bien entendu, les récoltes n'arrivent pas du jour au lendemain. Les gouvernements peuvent fournir une aide humanitaire et alimentaire pour secourir les millions de personnes dans le monde qui souffrent de la flambée des prix et de la rareté des denrées. Ces dernières semaines, plusieurs pays ont annoncé d'importants apports de liquidités au titre de l'aide alimentaire.

Mais les gouvernements devraient aussi examiner sans complaisance les autres politiques qui affectent les approvisionnements alimentaires, notamment celles qui ont contribué à accroître la demande de biocarburants. Les analyses de l'OCDE donnent à penser que la production de biocarburants fondée sur les technologies de première génération utilisant des matières premières agricoles ne produira pas les gains annoncés en termes de sécurité énergétique et de retombées environnementales et économiques. D'autres mesures de réduction de la demande d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre, conjuguées avec un assouplissement des échanges de biocarburants, dont la production repose sur de nouvelles technologies de seconde génération qui ne dépendent pas des denrées agricoles de base, offrent des bénéfices potentiels plus élevés, sans impact indésirable sur les prix alimentaires.

Parallèlement, nous devons favoriser la croissance et le développement dans les pays les plus pauvres de la planète. Les études de l'OCDE montrent que l'investissement dans l'agriculture, y compris pour la recherche, l'éducation et la mise en production de nouvelles terres, constitue un facteur important pour réduire la pauvreté et stimuler l'activité économique. Il est tout aussi indispensable d'améliorer l'environnement dans lequel évolue l'agriculture, en perfectionnant les systèmes de gouvernance et les politiques macroéconomiques et en développant l'infrastructure, la technologie, l'éducation et la santé. Une approche à la carte s'impose, tenant compte des capacités et du potentiel de chaque pays.

Cela nous ramène au Cycle de Doha. Les négociations à l'OMC couvrent la totalité des biens et des services, ainsi qu'une multitude de questions connexes. Conclure un accord dès à présent conforterait très opportunément le système commercial multilatéral fondé sur des règles. Cet accord témoignerait d'un engagement international continu sur les questions de commerce et de développement et sous?tendrait une approche de la gouvernance mondiale reposant sur des règles établies d'un commun accord et sur une action concertée.

Mais par-dessus tout, un nouvel accord commercial induirait des gains économiques substantiels et généralisés. Dans le climat maussade actuel, il ne représente plus un luxe inutile, comme certains ont pu le croire à tort. Il s'agit d'une véritable urgence.

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