En juin 2003, à la veille de la mise en place du gouvernement de transition, l'Ituri, district éloigné de province Orientale du Congo, se trouvait plongé dans un conflit inter-ethnique extrêmement violent.
Sur fond de luttes d'influence régionales aux motivations politiques et économiques, les tensions entre populations Hema et Lendu avait dégénéré en guerre sanglante, faisant plus de 50 000 morts et 500 000 déplacés, avec femmes et enfants pour principales victimes.
Dans la perspective des élections locales de 2009, d'un retrait probable de la MONUC d'ici deux ans et de la transformation du district d'Ituri en province, il apparaît indispensable de consolider les acquis des cinq dernières années en finalisant le désarmement pour restaurer de façon définitive l'autorité de l'Etat dans la région. Cet objectif ne pourra cependant être réalisé sans une stratégie intégrée associant le traitement des conflits fonciers, une amélioration de la transparence et de l'équité dans la gestion des ressources naturelles et minières et un soutien résolu à la lutte contre l'impunité.
Aujourd'hui, le risque d'une reprise générale des violences est limité par la présence de la Mission des Nations Unies (MONUC), du démantèlement de la plupart des groupes armés et de la lassitude de la population après des années de souffrance et de destructions. Un programme de démobilisation, désarmement et réintégration (DDR) a été lancé en 2004 et sa troisième phase, en 2007, a connu un certain succès. Cependant, l'objectif de désarmement total est loin d'être atteints, et ne pourra l'être sans traitement des causes profondes du conflit.
Les affrontements début 2008 entre les principales milices récalcitrantes (le Front national intégrationniste – FNI, les Forces de résistance patriotique en Ituri - FRPI) et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) sont là pour le rappeler. Les campagnes militaires et les stratégies de cooptation ne suffiront pas à mettre un terme définitif au conflit de l'Ituri.
En 2003, on comptait en Ituri pas moins de six groupes armés et un nombre total de miliciens estimé entre 20 000 et 25 000. Au final, après plus de quatre ans d'initiatives répétées, les principales milices Hema de l'Ituri ont été désarmées et seules deux branches du FNI (Lendu) ainsi que l'essentiel des FRPI restent réfractaires au processus, environ 1500 hommes au total. A court terme, les FARDC doivent être déployés de façon prioritaire sur les poches de résistances encore en activité. La MONUC devrait alors augmenter son soutien tactique et opérationnel aux FARDC afin de faciliter l'encerclement des positions des miliciens FRPI, limiter leurs capacités de mouvement et restreindre leur accès aux soutiens extérieurs (aux éléments de l'armée ougandaise notamment).
Dans les zones pacifiées, le retrait des FARDC, toujours coupables de nombreuses violations de droits de l'homme, et leur remplacement par les éléments de la police nationale doit aussi devenir une priorité. Cette police doit être restructurée au profit d'une plus large intégration des originaires de la province, sous réserve que ces derniers n'aient pas été d'anciens miliciens. La stabilisation durable de la région dépendra aussi de la discipline des FARDC, et des sanctions prises contre leurs officiers davantage investis dans le trafic d'or et de bois, ou les violences sexuelles, que dans les opérations militaires proprement dites.
L'auditorat militaire devrait ouvrir des enquêtes sur les complicités des officiers FARDC dans l'exploitation illégale des ressources naturelles et minières en Ituri, et sanctionner gravement les crimes sexuels. Les civils impliqués dans la fraude douanière et les trafics de minerais doivent être aussi poursuivis, à commencer par les responsables de l'administration provinciale.
Pour prévenir la récurrence des conflits fonciers et la montée des tensions à l'occasion du retour des déplacés et réfugiés sur des terres déjà réoccupées, un soutien international actif doit être apporté aux opérations de sensibilisation et des projets pilotes de réinstallation doivent être mis en place. Une réforme urgente de la législation foncière impliquant la révision du statut des chefferies est aussi nécessaire. Enfin, dernier volet de la stabilisation pérenne du district, la lutte contre l'impunité doit être poursuivie sans relâche.
Pour se faire, il est essentiel que la Cour pénale internationale clarifie ses intentions de poursuites en Ituri, mais aussi que les partenaires du Congo apportent leur soutien à reconstruction de la chaîne pénale – des enquêtes aux cellules des prisons - et poussent à la mise en place de chambre mixtes, où des magistrats internationaux pourront travailler aux côtés de magistrats congolais et juger l'ensemble des responsables de crimes contre l'humanité commis en Ituri tout au long du conflit.
Pour l'instant, le processus de paix a surtout profité aux chefs de guerre et aux hommes politiques, sans traitement approfondi des causes profondes du conflit.
Il est grand temps que l'ensemble des élus nationaux, provinciaux et leurs partenaires internationaux s'y attèlent, afin de prévenir toute reprise de la violence et consolider les gains de stabilité acquis pendant la transition.
(*) David Mugnier est le Directeur du Projet Afrique Centrale pour le compte de l'ONG International Crisis Group, basée à Bruxelles