Afrique: La Banque africaine de développement et la Banque mondiale soulignent l'importance de l'amélioration de l'intégration régionale

interview

"Le bilan des réalisations de la Banque africaine de développement et de la Banque mondiale au cours des années passées montre que notre partenariat avec l'Afrique sur le programme régional commence à porter ses fruits. Nos deux banques ont la conviction que l'intégration régionale est l'une des clés de voûte des programmes de développement national et nous sommes résolus à aider nos clients nationaux à aller vers davantage d'efficacité par l'exploitation des solutions régionales lorsqu'elles sont une source d'économies, l'ouverture de nouveaux marchés ou la création de nouveaux biens publics à l'échelle régionale," déclare Mark Tomlinson, Directeur du Département de l'intégration régionale de la Banque mondiale, Région Afrique, durant l'Atelier sur le renforcement des capacités tenu au Cap en Afrique du Sud.

Vos impressions sur la Réunion consultative sur l'Initiative pour le renforcement des capacités dans les CER?

Tout d'abord, c'est un très grand plaisir de travailler avec la Banque africaine de développement à l'organisation de cette réunion, et nous nous félicitons du rôle de premier plan que la Commission de l'UA joue à cet égard. C'est une initiative très importante, que les deux banques considèrent d'importance capitale pour aider les pays africains à relever le défi du développement d'institutions régionales plus efficaces. Cela dit, franchement, c'est aussi une tâche difficile et assez complexe. Mais, comme la BAD, nous pensons que la réunion – qui a donné lieu à un échange d'idées avec les CER, l'UA, la CEA, l'ACGF et d'autres parties – a été un succès ne serait-ce que parce qu'elle a pu se tenir.

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Apparemment, les CER et quelques chefs d'État africains éprouvent de la déception en regard du délai de gestation. Ils indiquent que les résultats tardent à venir, et quelques CER se plaignent des délais excessivement longs – en termes d'années – du commencement du financement des programmes. Que pense la Banque mondiale par rapport à cette situation?

Il y a manifestement de l'impatience de voir l'intégration régionale produire des résultats plus tangibles sur le terrain de manière plus rapide. Mais il faut beaucoup de temps pour mettre en œuvre des programmes régionaux, en particulier dans le domaine de l'infrastructure où les programmes sont généralement de grande envergure, techniquement complexes et réunissent des clients et des parties prenantes qui ne sont pas souvent habitués à travailler ensemble. Le financement de l'élaboration des projets reste également un problème. La BAD et la Banque mondiale peuvent apporter leur aide, bien entendu, mais nos budgets de fonctionnement ne permettent à aucune des banques d'investir plusieurs millions de dollars américains dans la confection du dossier technique d'un projet régional. Ce que nous faisons le plus souvent, c'est d'exercer notre diligence pour parachever la préparation technique et accompagner le projet jusqu'au point où il est prêt à être financé. Nous ne faisons pas le 'gros travail' d'élaboration technique du projet.

Généralement, la préparation d'un projet d'infrastructure représente au minimum 2 à 3 % du coût d'investissement, c.-à-d. entre 6 et 9 millions de dollars EU pour un projet de corridor de transport ou un projet énergétique régional de 300 millions de dollars américains. Aucune des banques ne peut consacrer une telle somme à un seul projet, mais toutes les deux banques ont la responsabilité envers les clients de la mise en œuvre des projets prioritaires dès que possible – et je sais que les directions à Tunis et à Washington tiennent à ce que nous ne perdions pas de temps sur les processus internes. Le cycle du projet est lent, le plus souvent au premier stade de son élaboration. C'est là où nos partenariats avec les donateurs bi-et-multilatéraux sont essentiels pour mobiliser les ressources dont l'Afrique a besoin pour préparer les études de faisabilité, les avant-projets techniques, les plans de financement et les évaluations des garanties, etc. – comme la BAD le fait par le truchement de l'IPPF.

Le fait que le processus global avance lentement a été une source de frustrations et a amené les CER à s'impliquer davantage dans la définition des programmes et des projets, voire dans la mise en œuvre des projets. Je crains que l'extension des fonctions des CER à ces domaines ne risque de saper leur capacité de création et d'orientation des discussions sur les stratégies régionales. S'il n'y a pas d'alignement des politiques à l'échelon national, on ne peut pas faire avancer les programmes régionaux – planification technique ou pas. On a intérêt à procéder à la délimitation des responsabilités en matière de formulation des politiques et des programmes et de mise en œuvre des projets entre les organismes aux niveaux continental, régional et national – et entre les organismes responsables de la politique et les organisations techniques.

Selon la Banque mondiale la question de fond concerne-t-elle le financement des projets ou la coordination par les CER de leurs actions en vue de l'élaboration de projets bancables viables ?

La question doit être abordée sur les deux fronts. Les besoins de financement de l'infrastructure régionale sont considérables. Mais cela ne concerne pas uniquement l'équipement ; le côté « activités de service » du programme d'infrastructure est également très important, et c'est un domaine où les deux banques doivent probablement faire plus. Il n'y a pas beaucoup de sens à faciliter et accélérer la circulation sur un nouveau corridor routier si les camions doivent rester bloqués à la frontière à cause des goulets d'étranglement permanents dans l'administration douanière. Les 'aspects non matériels' sont également importants pour accroitre l'impact des réalisations que les pays peuvent espérer obtenir des investissements effectués dans l'équipement. Les CER ont un important rôle à jouer en termes de politiques dans des secteurs tels que celui-ci – la création d'espaces politiques dans lesquels les politiques sont harmonisées et de tels goulets d'étranglement sont éliminés.

En l'absence de CER efficaces, on peut toujours continuer d'aider l'Afrique par des constructions physiques, et espérer récolter une part des retombées ; le rôle stratégique des CER est essentiel pour le succès global du développement d'infrastructure ; mais je ne suis pas sûr que l'avantage comparatif des CER réside dans l'exécution d'une planification technique ou le pilotage d'une construction routière : c'est une manière onéreuse d'utiliser leurs ressources. Bien entendu, la palette des choix possibles n'est pas très variée non plus du côté du matériel. Les actionnaires de la BAD et de la Banque mondiale ont récemment mené à bien deux reconstitutions et ont augmenté les ressources régionales dans les deux banques de 100%. C'est une initiative à saluer. Mais il est également clair que les besoins de financement de l'infrastructure régionale dépassent les capacités réunies de la BAD et de la Banque mondiale, y compris l'apport en cofinancement de nos partenaires d'investissement. L'accélération du développement infrastructurel de l'Afrique nécessite la mobilisation de volumes considérables de financement privé.

Il n'y a simplement pas d'autre moyen. À supposer que le financement public soit l'option préférée, aucun scénario de croissance crédible ne dégagera de ligne budgétaire suffisante. Les choix pour les gouvernements sont cornéliens : une centrale électrique coûte environ 100 hôpitaux ou quelque 500 écoles. Quant à nous, partenaires au développement, pour l'essentiel, le choix qui s'offre à nous dans le secteur de l'infrastructure est d'utiliser les ressources que nos actionnaires mettent à disposition d'une manière qui peut aider l'Afrique à promouvoir l'investissement privé dans l'infrastructure régionale. Il faut éviter de s'installer dans l'état d'esprit qui veut que plus de ressources égale un peu plus de financement public. Cela n'aidera pas l'Afrique à atteindre les objectifs qu'elle poursuit. Le défi est d'utiliser ces ressources dans une perspective d'innovation, pour faciliter et susciter de nouveaux partenariats et de nouvelles sources de financement, en particulier l'investissement privé. Il nous faut passer de la lourde tâche du montage financier au rôle de facilitateur. Se complaire dans les méthodes de travail habituelles des BMD ne servira pas beaucoup les intérêts de l'Afrique.

Quelle est l'expérience de la Banque mondiale en matière de collaboration avec la Banque africaine de développement en vue de la production de ces types de résultats?

Elle est excellente. Aider l'Afrique à travailler dans une perspective régionale ne va pas de soi, ni pour les pays africains ni pour les partenaires au développement. C'est un processus de découverte tant pour la BAD que pour la Banque mondiale, mais nous mettons en commun nos ressources et essayons d'être aussi efficaces que possible pour mieux servir nos clients. Les deux banques ont la conviction que l'intégration régionale est l'une des clefs de voûte des programmes de développement national et nous sommes résolus à aider nos clients nationaux à aller vers plus d'efficacité par l'exploitation des solutions régionales lorsqu'elles sont une source d'économies, l'ouverture de nouveaux marchés ou la création de nouveaux biens publics à l'échelle régionale. Et jusqu'ici nous avons des raisons d'être satisfaits : le bilan des réalisations de la Banque africaine de développement et de la Banque mondiale au cours des années passées montre que notre action commune commence à porter ses fruits sur l'agenda régional.

L'intégration régionale figure au premier rang dans l'agenda des chefs d'État, à juste titre. Même la communauté internationale est maintenant engagée dans l'effort de renforcement de l'intégration économique africaine, et de consolidation des synergies entre les différentes initiatives visant à donner aux pays africains les moyens de tirer parti de l'intégration régionale et de la mondialisation, et de réduire la pauvreté dans le continent. Mais le manque de capacités dans certains pays, l'incapacité d'autres pays à financer les projets par leurs propres moyens, et les troubles politiques entravent le processus. Que doivent faire la BAD et la Banque mondiale pour résoudre ces problèmes?

Pour nous, partenaires de l'Afrique, il s'agit d'aider le continent à accroitre l'efficacité du fonctionnement de l'architecture très complète qu'il a mis en place pour conduire le processus d'intégration régionale aux niveaux continental, régional et national.

La réunion consultative tenue ici au Cap a clairement montré la nécessité de la délimitation des rôles et des responsabilités, de la rationalisation des fonctions des organismes régionaux en éliminant les chevauchements et de l'investissement à grande échelle dans le renforcement des capacités – mais de manière plus stratégique dans le cadre d'une meilleure coordination. Les participants ont également fortement insisté sur la nécessité de renforcer l'articulation entre les options stratégiques régionales et les plans de développement national afin d'intégrer les dimensions régionales et nationales de ces plans aux DSRP des pays.

La question du développement des capacités est sans cesse revenue au centre des préoccupations, en particulier dans sa dimension nationale ouverte sur la prise en charge des programmes régionaux et leur intégration aux plans élaborés par les pays. L'UA, partenaire stratégique incontournable, a exprimé au cours de cette réunion sa satisfaction pour le soutien que la BAD et la Banque mondiale lui apportent sur le front de l'alignement des stratégies de renforcement des capacités, et de l'accélération des progrès dans les domaines de l'alignement et de l'harmonisation. La plupart des CER continuent d'entretenir des rapports avec un grand nombre de donateurs.

Sur une échelle de 1 à 10, ce dernier chiffre indiquant la meilleure note, quelle note donneriez-vous à la Banque mondiale pour sa performance sur le front de l'intégration régionale en Afrique?

Je dirais 10, pour les efforts inlassables que nous faisons. Â commencer par le leadership au sommet, à savoir le Président et le Vice-président, Afrique. Mais comme je l'ai dit, nous apprenons à le faire en allant sur le terrain, main dans la main avec la BAD et – naturellement – nos clients. J'espère que nous aurons de bons résultats en termes d'impact de nos opérations sur le développement des pays africains. Je pense que la reconstitution de nos ressources approuvée par nos actionnaires – et cela vaut pour la BAD – est un vote de confiance qui semble aller dans la bonne direction, mais je ne peux pas prétendre que nous ne faisons pas d'erreur.

Certaines choses n'ont pas été bien faites, mais nous tirons les leçons de nos échecs. Il est réconfortant de voir que le portefeuille régional de la Banque mondiale évolue dans un sens qui ouvre des perspectives prometteuses si l'on sait que sa performance ne le cède en rien à la performance du portefeuille pays. L'étude récente des programmes régionaux de la Banque permet de nourrir un optimisme prudent au sens où, en dépit de leur complexité généralement plus grande, les opérations régionales peuvent donner des résultats aussi probants que les programmes pays sur le front du développement. Il reste que le travail à l'échelon régional demeure ardu et ne laisse pas de place à l'improvisation. J'imagine que la BAD est sur la même longueur d'onde.

Envisagez-vous de renforcer votre collaboration avec les CER et de répondre à leurs besoins de manière plus énergique?

Nous essayons d'améliorer notre collaboration avec les CER. Il me semble, et j'imagine qu'il sera difficile de conduire le processus d'intégration régionale en Afrique de manière plus rapide s'il n'y a pas d'institutions publiques régionales efficaces capables de susciter et d'organiser le débat sur les questions qui méritent d'être abordées au niveau régional. Chaque initiative régionale dépend de l'harmonisation des politiques nationales, au sens de la création d'un espace politique à l'intérieur duquel l'initiative régionale peut se développer.

À ce niveau, le rôle des CER est absolument vital. Dans tous les secteurs d'activité, qu'il s'agisse des systèmes d'infrastructure régionale, d'intégration du secteur financier ou des biens publics régionaux tels que les ressources en eau, les maladies liées aux flux migratoires et la pêche, nous attendons des CER qu'elles créent l'espace politique unifié pour libérer l'esprit d'initiative dans le domaine de la construction régionale. Il y a beaucoup de pain sur la planche au chapitre de l'intégration régionale et bien des défis à relever sur le front du développement de l'Afrique, et cela nécessite des champions de la cause régionale, des institutions publiques efficaces. Il faut absolument que les CER développent les capacités nécessaires à l'exercice de ce rôle.

Le changement climatique affecte les pays africains directement et fait peser une menace sur les efforts d'intégration régionale. Selon vous quel doit être le rôle de la Banque mondiale et de la BAD dans la lutte contre ce fléau? Les IFD ont-elles un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre le changement climatique?

Nous sommes tous aux premiers stades de nos efforts d'observation, de recherche et d'analyse pour tenter de comprendre et mettre en évidence les impacts possibles en Afrique d'un surcroit de variabilité climatique. À mesure de l'approfondissement de nos connaissances, nous pourrons prévoir les conséquences de ce phénomène sur les programmes de développement nationaux et régionaux, et les dispositions susceptibles d'être prises pour aider les pays à concevoir des stratégies de développement plus efficaces face à la variabilité climatique. Je pense réellement qu'en tant que partenaires nous avons la responsabilité d'aider l'Afrique à construire une base complète de connaissances sur cette question – et rapidement. Cela aidera les gouvernements nationaux et les organismes régionaux à concevoir des stratégies d'atténuation et d'adaptation. Ces approches et l'avantage comparatif respectif des différents partenaires au développement détermineront qui fait quoi dans la communauté des donateurs. Ce qui est clair actuellement, c'est que le changement climatique viendra encore accentuer la complexité des défis du développement africain, et appelle la mise en place de partenariats plus solides, notamment financiers, pour aider l'Afrique à relever avec succès le défi du développement.

Commentaire :

L'Union africaine, principale organisation africaine de promotion de l'intégration socioéconomique accélérée du continent, reconnait le rôle central des communautés économiques régionales (CER) et de leurs organismes connexes dans la facilitation des approches régionales et sous-régionales au développement de l'Afrique, l'encouragement des pays africains à mettre en commun leurs ressources pour améliorer les perspectives de croissance, la construction et le maintien de la compétitivité internationale, le soutien aux biens publics régionaux. S'il est vrai que d'importants progrès ont été faits dans le sens de la définition et de la délimitation des rôles et des attributions des CER – en particulier ceux dont le renforcement s'impose – et de la mise à disposition par les donateurs et les partenaires des ressources nécessaires pour soutenir le renforcement des capacités des CER, ces dernières et les institutions financières de développement (IFD) continuent de faire face à des défis redoutables dans les domaines de l'intégration régionale et du développement de l'infrastructure en Afrique.

Texte préparé par Emmanuel K. Ngwainmbi, Expert en communication et marketing au Département du NEPAD, de l'intégration régionale et du commerce de la Banque africaine de développement Tel: + 216 71 10 26 27 Email : e.ngwainmbi@afdb.org

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