Le Sénégal est dans la tourmente dans l'affaire Hissène Habré. L'ex- président tchadien a porté plainte contre son pays d'accueil devant la Cour de justice régionale de la Cedeao. Au même moment d'anciennes victimes d'Hissène Habré menacent le président Abdoulaye Wade de poursuites judiciaires.
L'ex-président tchadien Hissène Habré a porté plainte contre l'Etat du Sénégal devant la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Dans cette plainte datée du 6 octobre, les avocats de M. Habré, le Malien, Me Mamadou Konaté et le Français, Me François Serres, respectivement des barreaux de Bamako et Dakar reprochent trois choses à l'Etat sénégalais.
Primo, le Sénégal a violé selon eux, le principe de non rétroactivité de la Loi pénale. Segundo, l'Etat sénégalais a violé les principes d'égalité devant la Loi et devant la justice. Tercio, pour ces deux avocats, le pays d'accueil d'Hissène Habré aurait également violé le droit de ce dernier à un procès équitable.
Forts de ces trois arguments, les avocats de l'ancien numéro un de Ndjamena demandent que la Cour constate la violation de ces principes par le Sénégal. Et par ricochet, que le Sénégal cesse toutes poursuites judiciaires ou actions contre lui. L'agent judiciaire du Sénégal Abdoulaye Dianko chargé du dossier a déclaré que "l'objectif est de faire échec à la procédure judiciaire en cours". Le jugement de l'affaire est programmé pour janvier par la Cour de justice de la Cedeao. Le Sénégal prépare dès lors sa défense et a notamment constitué un pool d'avocats. Un comité a également été mis en place pour réfléchir aux principaux axes de défense du Sénégal.
Dans ce dossier Habré, le Sénégal semble se trouver dans une situation délicate et inconfortable. Alors que le justiciable a porté plainte contre ce pays qui l'a accueilli depuis des années, les victimes (sénégalaises et tchadiennes) de Habré, de leur côté, menacent aussi non seulement de porter plainte contre le Sénégal, mais aussi contre le Président Abdoulaye Wade. Les victimes l'ont fait savoir mardi 26 novembre lors d'une rencontre tenue à Dakar pour informer l'opinion sur les développements du dossier. Les victimes ont notamment rappelé que « le Sénégal s'est opposé à la traduction de Habré devant les juridictions belges » avant de transmettre le dossier à l'Union africaine qui, à son tour, a mandaté le 16 juillet 2006 Sénégal pour tenir le procès.
Le Tchad propose 2 milliards
Alioune Tine le Secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (Raddho), très actif dans ce dossier avait révélé, d'ailleurs, que le Tchad a déjà donné deux milliards pour que ce procès se tienne. Motivée par cette déclaration, une des victimes estime qu'il n'y a plus de raisons pour que le Sénégal traîne les pieds.
Si le Sénégal rechigne à juger Habré, ces victimes, soutenues par les organisations de défense des droits de l'homme, n'excluent pas de porter plainte contre l'Etat du Sénégal. Aussi ces victimes déplorent-elles les sorties de Wade sur le dossier, soutenant que si le Sénégal n'a pas d'argent, l'ex-président tchadien n'y sera pas jugé."Si je n'ai pas d'argent, je ne fais pas de procès".
En réponse à ces propos du président Abdoulaye Wade, Alioune Tine, patron de la Raddho répond :"On ne peut pas subordonner le début de la procédure dans l'affaire Hissène Habré à un problème financier". M. Tine qui animait le 25 novembre, une conférence dans le cadre de la rencontre du Comité international pour le jugement équitable d'Hissène Habré (Cijehh),s'est dit "inquiet et préoccupé" des propos du président sénégalais. Pourtant Alioune Tine révèle que "L'Union européenne a déjà donné 3 millions d'euros. Le Tchad a déposé 2 milliards et demandé au Sénégal de faire une demande pour acquérir cet argent".
Il faut noter que la justice sénégalaise estime avoir besoin de 27 millions d'euros pour engager la procédure, montant jugé trop élevé par les bailleurs de fonds.
Ces témoignages qui accablent Habré
Le président de la commission d'enquête lui est revenu sur quelques cas d'atrocités qu'a faire subir Habré à ses victimes :"Hissène Habré arrête, torture et exécute' tous ceux qui ne partagent pas ses idées. Nous avons, lors de nos enquêtes, découvert des fosses communes aux alentours de N'Djaména. Nous avions procédé à des exhumations et la première fosse contenait 30 corps. La deuxième, se trouvant à 20 km de N'Djaména contenait 150 corps de personnes exécutées en une nuit" a explique Mahamat Hassan Abakar. Et de poursuivre citant toujours le rapport : "il existait huit centres de détention politique dans lesquels "les gens mouraient de famine, de maladie, avant d'être exécutés chaque soir, aux alentours de N'Djaména". Le rapport dont il cite a été publié le 20 mai 1992.
Pour Hissène Habré, "ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui et ceux qui sont contre lui, n'ont pas droit à la vie", remarque M. Abakar. A la suite de M. Abakar, une dizaine de victimes qui ont effectué le déplacement sur Dakar, ont apporté des témoignages poignants sur le régime d'Habré.
Parmi elles, Ginette Ngarbay, une Tchadienne détenue pendant deux ans dans les geôles de la police politique d'Habré.
"J'ai été arrêté en janvier 1985 et libéré en 1987. J'étais grosse de quatre mois quand on me conduisait à la Direction de la documentation et de la sécurité où j'ai été torturée, avant d'être transférée dans une autre prison. C'est là que j'ai accouché et perdu mon bébé", témoigne-t-elle en sanglots. Les victimes réclament à l'unisson que justice soit faite dans l'affaire Hissène Habré. Non sans menacer de saisir d'autres juridictions si le Sénégal tarde à enclencher la procédure.Hissène Habré, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 avant d'être renversé par l'actuel président Idriss Deby Itno, réfugié au Sénégal depuis 17 ans.