Sénégal: Le professeur Papa Salif Sow - « Nous avons été les premiers à démontrer la prise unique quotidienne »

16 Décembre 2008
interview


Quelques jours après la 15è conférence internationale sur le sida à Dakar (ICASA), le Pr Papa Salif Sow, chercheur et chef du service des maladies infectieuses du CHU de Fann parle de l'état actuel de la recherche sur le Vih au Sénégal.

Dans cette interview exclusive avec AllAfrica. M. Sow tire notamment un bilan positif de l' ICASA 2008 tenu du 3 au 7 novembre à Dakar. Pour le Pr Sow, l'efficacité dans la lutte contre le sida en Afrique passe forcement par le dépistage. Entretien

Quel est l'état actuel de la recherche sur le Vih / Sida au Sénégal ?

La recherche sur le Vih/sida au Sénégal avance de façon tout à fait satisfaisante. Nous avons plusieurs collaborations avec les pays du Nord. Qu'il s'agisse de la France comme des Etats-Unis ou bien de la Belgique, nous menons desprojets de recherche sur le Vih/sida afin de mieux comprendre ce virus là mais surtout afin de mieux prendre en charge nos malades.

Je voulais simplement donner des exemples de projets de recherches notamment sur les anti rétroviraux que nous avons en collaboration avec nos partenaires du Nord, dont l'Agence nationale de recherche sur le sida en France où nous essayons d'évaluer des schémas thérapeutiques anti rétroviraux adaptés aux pays africains.

Des schémas efficaces sur le plan cliniques, immunologique et virologique mais qui soient le plus facile. Et d'ailleurs, nous avons été les premiers en 2001-2002 avec nos collaborateurs à démontrer la "prise unique quotidienne". Je dois rappeler qu'à l'époque, c'était plus de seize comprimés qu'on prenait. Ce qui était extrêmement lourd pour les patients.

Et nous, notre objectif était de proposer des schémas qui sont aussi efficaces mais avec peu de comprimés. C'est làoù nous avons développé ce qu'on appelle "la prise unique quotidienne" où vous prenez les trois molécules le soir au coucher.

Alors aujourd'hui, il est heureux de constater qu'on à 4 à 5 comprimés maximum par jour. Mieux même, on est arrivé à 1 comprimé par jour. C'est -à -dire les trois molécules en une  seule. Ce qu'on appelle la tripla. Et qui est une révolution extraordinaire. Parce que c'est un problème de droits humains, un problème d'éthique et c'est à nous médecins de proposer quelque chose qui soit plus facile.

Aujourd'hui, cette prise unique est une pratique connue et recommandée par l'OMS. Elle est également largement utilisée dans les pays du Nord notamment en France et ailleurs. Donc actuellement nous avons plus de 5 projets derecherches que nous sommes en train dedévelopper sur les anti rétroviraux.

Faites nous une sorte de revue de ces projets de recherche en cours sur le Vih

Nous avons un projet de recherche sur l'histoire naturelle du paludisme et du Vih et sur leur interaction. Nous avons également un autre projet de recherche sur la tuberculose et le Vih, notamment quelles sont les meilleures méthodes de diagnostic de la tuberculose chez les malades vivant avec le virus.

Vous savez que quand on a le virus du sida, diagnostiquer la tuberculose devient extrêmement difficile parce que ces patients là sont fortement immunodéprimés et les méthodes classiques ne sont pas toujours sensibles et spécifiques. A cet effet, nous essayons de mettre en place des stratégies de diagnostic permettant de diagnostiquer de façon beaucoup plus rapide la tuberculose sur ces malades.

Nous avons aussi un projet de recherche sur les cancers du col de l'utérus chez les femmes vivant avec le Vih /sida. Vous savez que ces femmes quand elles sont infectées par le virus sont extrêmement exposées au papillomavirus. Et ce papillomavirus, malheureusement peut évoluer  vers un cancer du col de l'utérus.

Alors nous avons un projet de recherche depuis plusieurs années qui offre gratuitement le dépistage du cancer du col de l'utérus chez ces femmes. Et aujourd'hui, nous sommes à  une stratégie de décentralisation.

Donc voila de façon résumée, les quelques projets de recherches que nous menons, pour dire que la recherche avance ici au Sénégal.

Nous avons ce bâtiment là qu'on appelle le centre régional de recherche et de formation qui est essentiellement dédié à la formation où on a plus de 25 chercheurs sénégalais dans ce domaine en collaboration avec les autres partenaires notamment le laboratoire du Pr Souleymane Mboup, le Conseil national de lutte contre le sida.

Mais également des projets de recherche multicentriques avec Abidjan (Côte d'Ivoire), Ouagadougou (Burkina Faso) Bamako (Mali) et également d'autres pays.

Il semble que jusqu'à présent si les chercheurs ne sont pas parvenus à trouver un vaccin contre le Vih c'est dû au caractère changeant de ce virus. Pouvez-vous expliquez le phénomène ?

Absolument (il répète 2 fois). Le virus du sida est un virus extrêmement intelligent. C'est un virus qui fait ce qu'on appelle des mutations.

C'est-à -dire des changements dans le temps et dans l'espace. Ce qui fait que pour mettre au point un vaccin, il faudra que ce vaccin tienne compte des différents changements et en permanence. Et ce n'est pas un seul changement.

C'est un changement dans le temps et qui déjoue toutes les stratégies que nous mettons en place.

Je prends le cas du paludisme qui existait bien avant le sida ; mais jusqu' à présent on n'a pas pu mettre au point un vaccin contre le paludisme. Pourquoi ? Parce que le parasite aussi du paludisme change de façon régulière.

Mais pire, le virus du sida change beaucoup plus rapidement et facilement que le parasite qui donne le plasmodium falciparum. Et c'est toute la
difficulté d'arriver à maîtriser ce changement du virus du sida. Si nous réussissons à le faire on aura un bon vaccin. Mais malheureusement le vaccin n'est pas pour maintenant.

Pas pour 5 ans, pas pour 10 ans. Et donc une fois de plus la prévention, rien que la prévention pour diminuer le nombre de personnes infectées. Parce qu'il faut prévenir. Si  vous ne prévenez pas pour diminuer le nombre de malades infectés, vous allez avoir beaucoup de problèmes.


A l'ouverture de la 15e conférence internationale sur le sida la semaine dernière le président Wade disait "15 ans, 15 conférence, ça suffit passons à l'acte" Que vous inspire ces propos ?

Je pense que tout le monde est d'accord sur ce que le président a dit. Il a repris la réflexion des scientifiques que nous sommes. C'est pour cela que nous à Dakar, nous nous sommes dit qu'il ne faut pas que la conférence ICASA Dakar 2008 soit une conférence de plus. Ça doit être une conférence qui doit aider le futur.

C'est à dire que ça fait plus de 25 ans, ce n'est pas 15 ans, mais 25 ans que nous luttons contre le Vih. On a des avancées comme je vous l'ai dit dans le domaine clinique, dans le domaine de la prévention, dans le domaine communautaire. Mais il y a quand même des points faibles.

Et la conférence de Dakar c'était d'identifier ces bonnes pratiques léguées qui doivent être multipliées, adoptées et adaptées par les autres pays. Ce qui est bon, on le prend. Maintenant ce qui ne marche pas, il faut renforcer.

Et c'est là où le président nous a rejoint nous autres scientifiques. Qu'est ce qui ne marche pas ? C'est la prévention ! Elle est encore faible. Aujourd'hui si vous regardez la porte d'entrée pour la prise en charge pour la prévention, c'est le dépistage. Il faut que chaque individu connaisse son statut sérologique.

Si on est positif on rentre dans le circuit de prise en charge, si on est négatif on fera tout pour ne pas se contaminer. Si vous prenez globalement l'Afrique, il y a que 10 à 12% des personnes qui connaissent leurs statuts sérologiques.

C'est dire donc que c'est le dépistage qui pose le grand problème en Afrique ?

C'est le dépistage qui ne marche pas du tout en Afrique. Donc c'est une forte recommandation pour que d'ici trois ans, d'ici la prochaine ICASA qu'on passe de 10 à 15% pour aller à 50, 60%.

Et si on arrive à ces chiffres là, on dira que ça a réussi. Regardez la prévention de la transmission mère – enfant. Seules 30% des femmes africaines enceintes connaissent leur statut sérologique.

C'est extrêmement bas. Et on a vu dans la conférence pourquoi ça ne marche pas. On a vu des pays qui sont à plus de 90%. Comment ils ont fait ? C'est aussi la décentralisation de la prise en charge. C'est pays sont allés là où on reçoit les femmes qui sont enceintes, ce qu'on appelle la consultation prénatales.

Une fois de plus, ce n'est pas uniquement nous médecins, mais il faut associer les infirmiers, il faut associer les sages femmes et avec ça, on multiplie les champs d'avoir beaucoup plus de femmes dépistées. Qu'est ce qui fait que depuis 25 ans on parle du sida mais il y a certains pays où ça augmente ? C'est ce qu'on appelle les moteurs, que les anglo-saxons appellent ''the driving forces", c'est-à- dire les forces qui tirent (il tire sur le verbe)l'épidémie.

Parmi ces moteurs on a l'alcool. Il y a beaucoup de pays où la consommation excessive d'alcool conduit à l'absence d'utilisation de préservatif lors des rapports sexuels. Qu'est ce qu'on a vu aussi ? On a vu que quand on néglige certains groupes vulnérables, ça flambe.

A qui faites vous allusion en parlant de groupes vulnérables ?

Les minorités sexuelles. En Afrique, on ne reconnaît pas l'homosexualité et pourtant c'est une réalité. Prenons un pays comme le Sénégal, la prévalence globale du Vih au niveau nationale varie entre 0,7% et 1%. Donc elle est faible. Mais si vous regardez chez les homosexuels elle est de 21% (il traîne sur le chiffre). Mais si vous négligez ce groupe là, vous n'allez pas être efficace !

Si vous regardez les travailleuses du sexe ici au Sénégal, la prévalence est de 15 à 30% ! Donc ce sont des groupes vulnérables qu'il faut prendre en charge. Et la conférence de Dakar, je pense a été l'une des conférences africaines qui a donné la parole à tout le monde, qui s'est appesantie sur les homosexuels.

Qu'est ce que la conférence de Dakar a apporté pour la recherche sur le sida ?

Si vous avez bien suivi à la conférence de Dakar, on a parlé aussi des microbicides. Les microbicides, c'est dans un domaine de recherche extraordinaire (traîne sur l'adjectif). Ce sont des ovules que la femme peut mettre dans son vagin et qui vont la protéger même si son mari ou bien son partenaire infecté ne porte pas de préservatif, elle est protégée. Mais c'est extraordinaire ! Et on a montré les résultats ici à Dakar.

Ces microbicides sont ils accessibles pour toutes les femmes ?

Pour le moment nous sommes à l'état de recherche,papillomavirus. de démontrer que ça marche. Et ça marche. Les résultats l'ont montré. Les différentes équipes dans le monde, qu'il s'agisse des équipes américaines, européennes ou africaines ont montré à Dakar que les microbicides, ça fonctionne. C'est une avancée extraordinaire.

Maintenant ce qu'il faut faire, c'est de mettre ça sur recommandation et surtout de se donner les moyens pour que ça soit accessible financièrement et géographiquement. Et je pense que d'ici les 5 ans à venir ces microbicides seront disponibles et seront efficaces pour tous.


Donc vraiment, globalement la réunion de Dakar, pour nous aussi comme l'a dit le président, ne voulions pas que ce soit une réunion de plus. Mais surtout qu'il y ait un suivi. Et d'ailleurs, nous avons un comité de suivi pour que tous les 6 mois, on évalue pour savoir où est ce que nous en sommes.

D'aucuns estiment que le sida en Afrique on en parle trop, oubliant de facto qu'il y a des maladies plus graves qui déciment les populations. Quel est votre avis ?

Non, non. Le sida est un moteur pour renforcer le système de santé. Regardez le service des maladies infectieuses, vous constaté que ça a été repeint, c'est bon. Ca, c'est l'argent du sida. Mais dans ce service, il y a d'autresmaladies. Il y a le tétanos, les méningites, la tuberculose etc. Donc le sida est une opportunité pour renforcer le système de santé.

Mon service avant, je ne sais pas si vous le connaissiez, était dans un état extrêmement difficile. (petit silence) Mais c'est à cause du plaidoyer que nous avons fait que les acquis sur la lutte contre le sida aident aujourd'hui. Nous avons aujourd'hui des microscopes dans nos laboratoires qui ne servent pas uniquement au sida.

Ils servent aussi au paludisme, à la tuberculose, aux méningites aux autres infections sexuellement transmissibles etc. Donc pour nous, c'est une opportunité.

L'argent de sida, il faut qu'il serve aux autres maladies aussi. Et partant de là, c'est tout le système de santé qui en bénéficie. Si vous traiter uniquement le sida avec les anti rétroviraux  et que vous ne diagnostiquez pas et ne traitez pas les infections opportunistes votre malade va mourir donc ça va de paire.

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