Maintenant que la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d'arrêt à l'encontre du Président du Soudan, Omar el-Béchir, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour, les affirmations selon lesquelles la cour prend injustement pour cible les dirigeants africains atteignent un paroxysme. Mais les critiques ignorent les faits et rendent un mauvais service aux victimes de crimes haineux.
Oui, les quatre enquêtes ouvertes par la cour jusqu'ici se situent en Afrique. Dans trois d'entre elles, le gouvernement du pays où les crimes se sont déroulés a demandé à la cour de l'aider à obtenir justice. C'est exactement ce qui s'est passé dans mon pays, la République centrafricaine, ainsi qu'en Ouganda et en République démocratique du Congo. Le Darfour a été référé à la cour par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Dans mon pays, la République centrafricaine, les civils ont subi un déferlement de violence au cours des combats intensifs entre les forces du gouvernement et les forces rebelles en 2002 et 2003. Des civils ont été tués et violés, des maisons et des commerces ont été pillés. Mon gouvernement a demandé à la CPI de s'impliquer, la Cour suprême de la République centrafricaine ayant affirmé que le système judiciaire national était dans l'incapacité de mener le processus complexe de poursuites de ces crimes. Le travail de la CPI dans mon pays est particulièrement important pour les victimes de violences sexuelles. Le viol a été beaucoup plus répandu que les massacres et a constitué un des points centraux de l'enquête de la CPI.
Insinuer qu'une enquête de la Cour pénale internationale est anti africaine néglige un point très important : quand la cour enquête sur les responsables présumés de crimes graves en Afrique, elle le fait au nom des victimes africaines. Le mandat de la cour est d'obtenir que les coupables de génocide, de crimes contre l'humanité, et de crimes de guerre rendent des comptes quand les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent le faire. De nombreuses exactions effroyables ont été commises et continuent de l'être sur notre continent. Si les Etats africains développent leur capacité à mener des enquêtes et des poursuites judiciaires actives et efficaces sur ces crimes, il y aura moins d'affaires d'Afrique qui parviendront jusqu'à la cour.
Bien sûr, le mandat de la CPI est loin d'être parfait. Sa portée est largement limitée aux crimes commis dans les pays qui ont ratifié le traité de la cour. Il n'est pas surprenant qu'un certain nombre de puissances importantes, notamment les Etats-Unis, la Russie et la Chine, n'aient pas adhéré. Ceci nuit à la capacité de la cour à garantir qu'elle peut rechercher la justice quel que soit le lieu où se déroulent les crimes. C'est là quelque chose que la société civile et les Etats doivent œuvrer à changer, et ils ne peuvent le faire qu'en soutenant la cour, et non en l'attaquant.
La portée de la garantie de justice pour certaines victimes ne devrait pas être rejetée parce qu'il n'est pas encore possible d'obtenir justice pour toutes. Pour cette raison, les développements récents à l'Union africaine sont plutôt inquiétants. Lors de sa dernière réunion au sommet, elle a non seulement décidé de demander une suspension de la procédure contre el-Béchir, mais elle a aussi décidé d'organiser une rencontre des membres africains de la CPI pour échanger leurs positions « sur le travail de la CPI en relation à l'Afrique, en particulier à la lumière des procédures engagées contre des personnalités africaines. » L'objectif d'une telle rencontre, prévue pour plus tard ce printemps, n'apparaîtrait comme rien d 'autre qu'une stimulation de l'hostilité envers la cour qui pourrait être utilisée pour l'affaiblir.
Or c'est juste le contraire de ce que les dirigeants africains devraient faire. Les victimes comptent sur eux —en particulier ceux des Etats africains parties à la CPI—pour s'exprimer fortement et ouvertement sur l'importance de la cour en tant que moyen de mettre un terme aux violences trop répandues contre les peuples africains. Il est particulièrement important que des acteurs majeurs du continent africain et/ou des pays africains qui siègent actuellement au Conseil de sécurité de l'ONU et qui sont des Etats parties à la CPI – comme l'Afrique du Sud, le Burkina Faso, le Kenya, le Nigeria et l'Ouganda – adoptent un rôle positif de leadership. Si la cour n'en est qu'à ses débuts, la CPI est le seul frein international définitif contre le déchaînement des exactions.
Une trentaine d'Etats africains sont parties à la CPI, et les Etats africains ont joué un rôle influent dans la création de la cour. Les Etats africains ont été parmi les premiers à ratifier le traité, et ils fournissent la plus large représentation de toutes les régions qui sont partie à la cour. Au lieu d'essayer d'affaiblir la cour, ils devraient fièrement soutenir sa mission, construisant sa force au point que les nations qui sont en dehors se trouvent pressées à adhérer.
Les Etats africains parties à la CPI expriment régulièrement leur soutien aux réunions annuelles de la cour, mais ils sont restés bien trop silencieux dans le débat public. La question est la suivante : nos dirigeants continueront-ils à laisser la cour essuyer des défaites, ou bien vont-ils finir par défendre la justice beaucoup plus clairement et fermement ? Permettre que les efforts pour garantir la justice soient dénigrés présente des risques graves pour les victimes et les citoyens ordinaires de toute l'Afrique. La rencontre attendue des Etats parties à la CPI à Addis Abéba est un moment important pour renverser la tendance négative. Les peuples d'Afrique comptent sur leurs dirigeants pour être de leur côté, et du côté de la justice.
Lucille Mazangue est membre de l'Association des Femmes juristes de Centrafrique.