Cote d'Ivoire: Le spectre d'une élection manipulée

20 Août 2009
tribune

La présidentielle ivoirienne reste un  sujet de préoccupation majeur pour les Ivoiriens, la communauté internationale et les voisins de la Côte d'Ivoire.  Les points d'interrogation sont toujours nombreux quant à la tenue de ce scrutin le 29 novembre prochain, qu'il soit question de la publication de la liste électorale, de la distribution de 6,5 millions de cartes d'électeurs ou encore de la sécurisation de la campagne.

La nomination, le 8 août dernier, de Paul Yao-N'dré, un proche de Laurent Gbagbo, à la tête du Conseil constitutionnel, ajoute à ces interrogations. C'est désormais la régularité de l'élection et plus particulièrement la phase cruciale de la proclamation des résultats qui est en jeu.

Paul Yao-N'dré n'est pas un simple militant du FPI. Pour le compte de cette formation politique, il occupe ou a occupé les fonctions de ministre de l'Intérieur, de député, de secrétaire national chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, de président de Conseil général et de directeur départemental de campagne électorale. Cet homme politiquement très marqué, compagnon de route du Président, se retrouve à la tête d'une institution dont le poids est considérable sur le processus électoral. Le Conseil constitutionnel statue en effet sur «l'éligibilité des candidats» et sur «les contestations relatives à l'élection du président de la République». Et surtout, il «proclame les résultats définitifs de l'élection présidentielle». Autrement dit, aucune voie de recours n'est possible après la décision de cette institution dont le directeur doit logiquement être neutre.

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La manipulation des élections à travers la proclamation de ses résultats est un scénario qui a mené à des troubles très graves au Kenya en 2008. Cette option devient malheureusement possible en Côte d'Ivoire.  En nommant un fidèle à la direction d'une institution aussi importante et sensible que le Conseil constitutionnel, Laurent Gbagbo laisse planer le doute sur l'impartialité de la procédure d'annonce des résultats, et ruine en partie le besoin de sérénité absolue pour la réussite de cet échéance électorale.

De plus, cette nomination controversée accentue la tension entre le pouvoir et l'opposition ainsi qu'entre la présidence et la primature qui n'a pas été associée à ce choix très important. Cette décision risque d'entamer un peu plus la confiance déjà fragile qui existe entre le camp du Président et celui du Premier ministre.

D'autant que le ton pris par la pré-campagne électorale va lui aussi dans le sens de la méfiance. Dans un récent discours, Laurent Gbagbo a tenu à faire du  thème de l'indépendance (et donc du nationalisme) le point central de la campagne au risque de raviver un fort sentiment anti-étranger au sein de sa base électorale.

L'arrivée de Paul Yao-N'dré à la présidence du Conseil constitutionnel est également l'illustration d'un déséquilibre politique au sein des institutions. Le partage du pouvoir sorti de l'Accord politique de Ouagadougou, avec son gouvernement d'union et son Premier ministre issu de l'ex-rébellion, est un trompe-l'oeil.  Comme dans beaucoup de pays africains, le régime présidentiel actuel confère à l'exécutif une force démesurée. Il serait dommage que le camp du président Gbagbo profite de cet avantage pour organiser une élection bâclée. Ce scénario est tout aussi dangereux, sinon plus, que celui du report de l'élection.

Ce report demeure une possibilité. De nombreuses difficultés d'ordre technique subsistent qui rendent incertaine la date du 29 novembre. La CEI manque toujours de financements. Les centres de traitement des données ne sont pas ouverts dans leur intégralité alors que la liste électorale provisoire doit être publiée dans moins de deux semaines. Deux structures, la CEI et la CNSI affiche publiquement leur désaccord.

Très peu de progrès ont été effectués sur le plan sécuritaire. Le contingent commun de 8000 hommes, provenant des FDS loyalistes et de l'ex-rébellion de Forces Nouvelles, qui doit être déployé depuis le 5 mai  2009 afin de sécuriser le processus électoral compte à ce jour moins de 500 hommes. Dans le Nord du pays, les forces de police et de douane n'ont toujours pas repris le contrôle de plusieurs postes de douane, qui restent administrés par les FN.

La nomination de Yao N'dre est très probablement un fait accompli. Il faut que l'institution qu'il dirige respecte à la lettre les dispositions de la constitution qui imposent au Conseil constitutionnel un rôle d'arbitre, indépendant des partis politiques. En plus de la poursuite de ses pressions pour que le scrutin du 29 novembre se déroule comme prévu,  la communauté internationale, et en premier place le Président Blaise Compaore, doit aussi exercer une surveillance particulière sur les actes posés par le Conseil constitutionnel  et s'engage à ne pas reconnaître et à sanctionner tout régime qui émanerait d'un processus électoral manipulé.

Richard Moncrieff et directeur du projet Afrique de l'Ouest de l'International Crisis Group

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