Wol Akujang était parmi les plus de 20.000 "lost boys" qui étaient déplacés ou rendus orphelins pendant la guerre civile au Soudan. Il avait fui son village à l'âge de six ans, vécu dans camps de réfugiés en Ethiopie et au Kenya avant d'être réinstallé aux Etats-Unis. Il a un tout nouveau diplôme en biologie de l'Université d'Arizona. Après avoir voté par correspondance en Arizona, le mois dernier, lors du référendum historique sur l'indépendance du Sud-Soudan, il est rentré au Sud-Soudan pour travailler au ministère de la Santé pour plusieurs mois. C'est un retour chargé de défi.
Son adolescent de frère, qu'il aide dans ses études au Kenya voisin, avait contracté la varicelle, une des maladies infantiles contre laquelle beaucoup d'enfants africains n'ont pas été vaccinés. Des membres de la famille élargie d'Akujang faisaient partie du plus du million de Sudistes qui s'étaient installés dans le Nord, à la cherche du travail ou fuyant le conflit. Maintenant ils font partie de ceux qui sont rentrés, luttant pour retrouver leur place. Bien que sortant juste de l'université, avec peu de ressources propres, Akujang est de la nouvelle élite dont l'éducation confère des attentes et des responsabilités auxquelles il doit faire face.
Cindy Shiner de AllAfrica l'a interviewé après son arrivé à Juba, la capitale du Sud-Soudan, une des villes du monde qui connaissent la plus rapide croissance une zone de constructions en banco pour peut-être un million de personnes sur les rives du Nil, avec seulement quelques rues goudronnées, sans source d'eau potable et de l'électricité provenant de groupes électrogènes qui fonctionnent au diesel.
Au moment de leur entretien, Akujang se préparait pour se rendre à Pap, le village de sa tendre enfance. Ses propos ont été rédigés dans un style narratif. AllAfrica va suivre son histoire.
L'arrivée
J'ai pris mon frère dans une localité appelée Nakuru, au Kenya, pour l'amener au Soudan. La veille de notre départ, il avait noté des bosses sur son corps. Il s'était rendu chez le médecin qui lui avait donné des médicaments. Cela ne m'était pas arrivé. C'était tout de la varicelle.
De Nairobi, la capitale du Kenya, nous avions pris l'avion pour Juba. Le premier et le deuxième jours ont été très pénibles pour lui. Même le troisième jour. Certaines des ampoules étaient sorties de ses yeux. Il lui était difficile de voir ou d'ouvrir les yeux. Il avait de la fièvre et avait perdu l'appétit. Nous lui avions demandé de manger de la nourriture, car il n'y avait pas d'autre moyen de le nourrir.
Le cinquième jour, les ampoules commencèrent à s'éteindre un peu. Maintenant il se sent mieux. Il marche, il n'a plus de fièvre et a retrouvé l'appétit. Nous irons au village demain parce que maintenant il est capable de marcher et de parler.
Juba
Nous sommes arrivés à Juba pendant le déroulement du référendum. Il y avait beaucoup d'enthousiasme. On voyait le drapeau partout. Presque toutes les voitures qu'on voyait portaient chacune un drapeau quelque part. C'était un moment passionnant.
Il y a beaucoup de constructions en cours. Je suis très impressionné par la manière dont les gens essaient de monter leurs affaires. Certains sont vraiment en train de mettre en place de petites boutiques.
Je note une chose, je vois la police, mais il n'y a pas beaucoup de service public en place. Il y des ordures partout. C'est incroyable. Les gens boivent de l'eau dans des bouteilles et les jettent simplement, n'importe quoi.
Selon moi, le gouvernement a temporairement suspendu ses activités, attendant le résultat du référendum. Je suppose qu'il commencera le travail et essayera de faire ce qu'il est censé faire quand il connaîtra le résultat et quand il saura que le pays est maintenant indépendant.
Pap
Pap est le village que j'ai quitté quand j'avais six ans. L'état de la route a été amélioré. Jadis il fallait six heures pour se rendre là-bas, maintenant il faut seulement environ deux heures. Il y a beaucoup de choses positives concernant la sécurité sur la route. Comme c'est agréable de s'y rendre rapidement !
Il y a beaucoup de petits commerçants qui viennent et achètent des choses à Juba – comme des biscuits, des vêtements et de la bière - les mettent dans une voiture et les emportent au village. Ils les vendent un peu plus cher qu'ils l'avaient acheté pour faire un bénéfice.
A Juba j'ai rencontré des gens du village et, à vrai dire, beaucoup d'entre eux ont entendu parler de moi. Le message est déjà arrivé là-bas et ils savent que je suis sur le chemin du retour. Beaucoup d'entre eux étaient inquiets parce que mon jeune frère ne pouvait pas voyager. Ainsi, mon grand-frère était venu nous rendre visite et il est maintenant retourné. Je lui avais demandé de dire aux gens du village que mon frère se sentait mieux et qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter parce que beaucoup de gens nous attendent.
Le village, c'est un peu nouveau pour moi. Tout le monde se connaît et les nouvelles vont vite. Il est de coutume que quand quelqu'un qui n'a jamais été là-bas ou qui était parti pour longtemps vienne, ils préparent à manger, à boire et ils immolent un bœuf ou quelque chose d'autre. Ils rassemblent tout le monde au même endroit, ils prient et parlent de la façon dont j'ai quitté le village, de la vie dans le village et ce que signifie mon retour. Souvent ils dansent. Les plus âgés parleront. Ils seront contents que je sois rentré et diront des mots d'encouragement.
Ce n'est pas ma première fois. J'étais revenu en 2005, mais c'était un petit évènement parce que c'est une communauté d'agriculteurs et il y a beaucoup de gens qui s'occupent du bétail. Quand je suis revenu en 2005, les gens étaient partis loin du village à la recherche de pâturages verts. Quand je suis allé là-bas, je crois qu'il y avait environ 30 personnes. C'est très peu comparé à maintenant. Il y aura pas mal de gens qui viendront.
Une éducation
Je leur dirai que l'Amérique m'a donné la chance d'aller à l'école et d'avoir cette situation. Je leur parlerai de l'importance de l'école, parce que beaucoup d'entre eux commencent à comprendre combien l'école est importante. Ils ne sont pas pauvres, des gens pauvres. Ils ont du bétail. Ils peuvent le vendre et envoyer un enfant à l'école.
Mes encouragements consisteraient à dire que leur avenir est très radieux s'ils peuvent envoyer leurs enfants à l'école. Maintenant il y a un mouvement de liberté, ils sont en train de voir combien l'école est importante. Ici il y a une très petite élite qui est allée à l'école, ainsi ils peuvent voir ce que l'école a fait pour eux en termes de richesse et de choses de ce genre.
Pour quelqu'un comme moi, c'est juste important de connaître quelque chose. Le savoir est un pouvoir. Ainsi, je les encouragerais à s'assurer que leurs enfants aillent à l'école. S'ils sont capables de le faire, qu'ils les envoient à l'école et les laissent étudier.
La famille
La règle dans le village est de grandir et devenir agriculteur, simplement comme sa famille. Je les encouragerai à maintenir la famille ensemble, à faire les choses ensemble comme d'habitude. Cette guerre a déstabilisé et détruit certaines valeurs traditionnelles qui étaient presque universelles, partager des choses, faire des choses ensemble sans avoir de problèmes. Dans notre village les gens peuvent se battre pour des choses, surtout quand elles sont rares.
J'ai trois frères et aussi d'autres parents très proches. J'ai un oncle qui était dans le Nord. Il était un Sud-Soudanais vivant dans le Nord. Le gouvernement l'avait arrêté et est venu dire qu'il était mort en prison. Sa famille est maintenant dans le Sud.
Ils devaient revenir et voter. L'incertitude dans le Nord est certainement l'un des facteurs qui les ont poussés à rentrer. Je vais encourager les gens du village à les accueillir et les mettre à l'aise pour qu'ils sentant chez eux parce que cet environnement leur est inconnu.
A la maison
Maintenant le plus difficile est de leur trouver une maison pour y habiter parce que maintenant ils n'ont pas de maison, ils sont ici à Juba. Je pense qu'ils seront mieux à Juba puisque dans le Nord ils vivaient dans une ville. La vie au village, ils mettront du temps pour s'y habituer.
Un des gars me disait comment il avait passé environ deux semaines au village juste pour s'y habituer. Ce sera vraiment beaucoup plus facile s'ils sont à Juba ou un autre endroit qui a été un peu modernisé. Ainsi ils peuvent s'habituer doucement à la vie au village. Le village est en même temps un chez soi. Si quelqu'un veut vivre là-bas, il le peut et s'il veut vivre en ville il le peut aussi mais il sait en même temps que s'il mène une vie dure ici à Juba, il peut toujours aller au village. C'est une vie dure. Il est important d'avoir des gens autour de soi.
Autre chose importante que j'ai notée : les personnes qui ont vécu dans le Nord étaient enseignées seulement en arabe, pas en anglais. Il est très, très difficile pour elles de trouver du travail parce qu'elles ne parlent pas anglais. Ici, la vie sera dure.