L’univers de la justice internationale a accueilli une bonne nouvelle la semaine dernière: le Burkina Faso et le Niger ont formellement affirmé qu’ils n’offriraient pas refuge à l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi – qui cherche sans doute un nouvel endroit pour établir son chez soi. Ils ont invoqué le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), qui pèse toujours contre lui pour les crimes commis contre le peuple libyen.
Ces deux pays africains devraient être félicités pour avoir affirmé leur engagement à coopérer avec la Cour pénale internationale à l’arrestation des suspects. Comme la Cour a été créée il y a dix ans et compte aujourd’hui cent dix États parties, on pourrait s’attendre à ce que de telles manifestations de soutien soient monnaie courante. Or, en Afrique, elles constituent malheureusement davantage l’exception que la règle depuis quelques années.
Les gouvernements africains ont joué un rôle déterminant dans l’établissement de la CPI comme cour cruciale de dernier recours, qui intervient lorsque les autorités nationales n’ont pas la volonté ou sont dans l’incapacité de poursuivre les crimes graves. Ces gouvernements se sont activement impliqués lors de la Conférence diplomatique de Rome, au cours de laquelle le traité de la CPI fut négocié, en 1998. Depuis cette date, la majorité des États africains ont adhéré à la CPI et plusieurs d’entre eux ont demandé à la Cour d’ouvrir une enquête des situations. Des juges et procureurs africains travaillent à la Cour et les États africains ont assumé un rôle important lors de la conférence de révision de 2010, qui s’est tenue à Kampala. La Tunisie est en outre devenue le plus récent État africain à se joindre à la Cour, en juin 2011.
Toutefois, la CPI est devenue source de controverses chez certains dirigeants africains, suite à la délivrance de mandats d’arrêt contre le président soudanais Omar El-Béchir, en 2009 et 2010. Quelques dirigeants ont instrumentalisé les mandats d’arrêt, en suggérant que ceux-ci prenaient les Africains pour cibles. Ces mêmes dirigeants sont à l’origine de décisions par lesquelles l’Union africaine (UA) a appelé les États africains à ne pas coopérer à l’arrestation et à la remise de El-Béchir et Kadhafi.
Il est vrai que les hauts fonctionnaires issus d’États puissants ont été moins exposés aux poursuites sur la scène internationale, ouvrant ainsi la voie à l’impunité pour les crimes perpétrés en Tchétchénie et à Gaza, par exemple. Ces inégalités méritent d’être corrigées, notamment en augmentant le nombre d’États parties à la CPI.
Cependant, la CPI ne prend pas pour cible les Africains. La plupart des enquêtes en Afrique ont été déclenchées suite à une demande volontaire adressée par des gouvernements africains à la Cour ou conséquemment à un renvoi par le Conseil de sécurité de l’ONU, et ne résultent donc pas d’une initiative coordonnée par le Cour elle-même visant à pourchasser les dirigeants sur ce continent. Récemment, le nouveau président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, a demandé au procureur de la CPI d’enquêter sur les crimes perpétrés lors des violences postélectorales qui ont dévasté ce pays, au motif que le système judiciaire ivoirien se trouve présentement dans l’incapacité de traiter de tels cas.
Certains États africains parties à la CPI – le Botswana et l’Afrique du Sud en particulier – ont clairement annoncé qu’ils ne soutiendraient ni ne respecteraient les décisions de l’UA nuisant au travail de la Cour, et qu’ils arrêteraient les suspects se trouvant sur leur territoire. Néanmoins, plusieurs autres États sont demeurés silencieux ou passifs face aux attaques dirigées contre la Cour. Pire encore, quelques États – le Tchad, le Kenya et Djibouti – ont accueilli El-Béchir sur leur territoire sans l’arrêter.
La mise en détention des personnes suspectées par la CPI est essentielle à la tenue effective des poursuites, qui requièrent la présence de l’accusé. Négliger d’appréhender les suspects constitue un affront aux victimes des crimes odieux que la CPI cherche à poursuivre. El-Béchir est recherché pour accusations de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour son rôle dans les attaques brutales commises contre des civils darfouris. Kadhafi est accusé de crimes contre l’humanité pour son rôle dans les attaques contre des civils, incluant des manifestants pacifiques, en plusieurs lieux en Libye. El-Béchir et Kadhafi sont tous deux présumés innocents et ont droit à un procès équitable. Ils ne doivent toutefois pas pouvoir se soustraire à la Cour.
La société civile à travers le continent africain n’a cessé de rappeler aux gouvernements africains la nécessité de soutenir la CPI afin de promouvoir la justice pour le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Des centaines d’organisations provenant de chaque sous-région du continent ont exprimé à plusieurs reprises leur conviction que la CPI a un rôle vital à jouer lorsque les États – africains ou autres – n’ont pas la capacité ou la volonté de poursuivre les crimes les plus graves. Elles ont exhorté leurs dirigeants à s’engager fermement à soutenir et coopérer avec la CPI.
Cette semaine, le Burkina Faso et le Niger se sont rangés aux côtés de ceux qui sont déterminés à ce que les présumés auteurs de crimes graves n’échappent pas à l’obligation de rendre des comptes. En ce sens, ils ont fait un important pas en avant pour la promotion des droits humains et de la primauté du droit en Afrique. Davantage de gouvernements africains devraient suivre leur exemple et proclamer leur volonté de coopérer avec la CPI, y compris en ce qui concerne l’arrestation et la remise des suspects. Les victimes en Afrique et ailleurs méritent un tel appui.
Elise Keppler est conseillère juridique principale au sein du programme de Justice internationale de Human Rights Watch. Elle s’implique au sein d’un réseau informel d’organisations de la société civile africaine et d’organisations internationales ayant une présence en Afrique qui collaborent sur les questions liées à la CPI et à ce continent.