Dakar — Dakar est sur les braises. La capitale sénégalaise a vécu une fin de semaine mouvementée, un vendredi noir et une deuxième semaine de campagne électorale sous le sceau de la violence. Les manifestations des candidats membres du M23 à la Place de l'Indépendance des 17 et 18 février interdites par le préfet en violation de la loi électorale en son article L61 et de la loi numéro 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions ont été violemment réprimées. Les confrontations entre manifestants et policiers ont accouché du feu et du sang : un mort à Kaolack, plusieurs dizaines de blessés à Dakar dont le candidat Cheikh Bamba Dièye, victime d'un traumatisme crânien. Pourtant «la décision du préfet d'interdire les manifestations manque de base légale», déclare le président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENA) Doudou Ndir dans une correspondance adressée au préfet de Dakar, Ibrahima Sakho.
Des pluies de grenade lacrymogène se sont abattues sur les candidats à la Présidentielle 2012, Ibrahima Fall du mouvement Takhaw Tem, Cheikh Abiboulaye Dièye dit Cheikh Bamba Dièye du FSD/BJ et d'Idrissa Seck de la coalition Idy4Présidnet. Agressés, malmenés et pourchassés par la police, ils ont essuyé des blessures dans leurs rangs respectifs.
Samedi, le député-maire de Saint-Louis a été pris à la gorge et trainé sur l'asphalte de la Place de l'Indépendance par trois policiers. Le candidat du FSD/BJ, Cheikh Bamba Dièye souffre de traumatisme crânien. Il avait réussi à tromper la vigilance des forces de l'ordre en s'introduisant à la place de l'Indépendance malgré l'interdiction préfectorale en violation de la loi électorale. La veille, son convoi a été attaqué par la police au niveau de la gare ferroviaire occasionnant les blessures de son directeur de campagne. Déporté et retourné à son siège par la police, il déclarait : «Je suis réduis à mendier un espace de liberté et un terrain pour m'exprimer en tant que candidat.» Martyrisé en pleine campagne électorale, le candidat Ibrahima Fall, aussi, l'a été. Pourtant, il est en règle devant la loi. Le candidat s'est acquitté de son devoir d'informer le préfet de Dakar, Ibrahima Sakho de ces manifestations, le 13 février, soit plus de 24h avant les 16 et 17. L'arrêté préfectoral viole ainsi la loi électorale comme lui a rappelé le président du CENA, Doudou Ndir, impuissant devant l'autorité administrative.
La CENA a eu à rappeler au ministre de l'Intérieur dans une correspondance à la date du 13 février 2012 que « l'autorité ne saurait interdire par arrêté une manifestation électorale respectant les formes de la loi électorale.» Il a été demandé dans la même correspondance au ministre de l'Intérieur «d'appeler les autorités préfectorales à veiller à une juste application des dispositions du code électoral en ce qui concerne la tenue des manifestations électorales organisées par tous les candidats.»
Dakar, une ville fantôme
Dakar a les traits d'une ville en guerre. Le centre-ville est décoré par la forte présence policière. A la place de l'Indépendance et environs, la police a quadrillé les lieux pour empêcher les candidats à la Présidentielle 2012 de manifester contre le troisième mandat du président Abdoulaye Wade et d'y tenir des meetings ou marches.
Des courses poursuites entre forces de l'ordre et jeunes manifestants du M23 armés de pierres et allumant des braises à chaque coin de rue rythment et décorent le Plateau. La tension monte au coeur de la capitale sénégalaise où le business a souffert ces derniers jours. Les commerces, autres institutions financières et d'affaires ont baissé rideaux, au moment où les tables des marchands ambulants ont servi à faire du brasier au niveau des différentes artères de la ville. La police a déployé l'artillerie lourde, grenade lacrymogène, balle réel, camion à eau chaude. Elle s'est introduite dans les maisons et a même profané une mosquée.
Une mosquée, la Zawiya El Hadj Malick, profanée
Vendredi, la violence policière a atteint son paroxysme avec la profanation de la mosquée, la Zawiya El Hadj Malick Sy de l'avenue Lamine Guèye. Les forces de l'ordre ont jeté une grenade à l'intérieur du lieu de culte en poursuivant les jeunes manifestants. S'en suit une révolte des fidèles de la confrérie Tidjane qui ont assiégé et investit la rue pour y dérouler leur khadratoul Juma, ces incantations à l'honneur du prophète faites avant la prière du crépuscule du vendredi.
Mais là encore, ils ont été dispersés par la police aux tirs de grenade lacrymogène. Cette profanation a fini de réveiller la colère des villes de l'intérieur. Tivaoune et Kaolack se rebellent.
Ousmane Ngom pris en otage à Tivaoune
Samedi, le ministre de l'Intérieur, Ousmane Ngom en visite dans la cité religieuse a été pris en otage par les populations de Tivaoune très remontées contre le pouvoir et le patron des limiers. De 12 heures à presque 19 heures, Ousmane Ngom n'a pu sortir de la maison du porte-parole des Tijanes, Abdoul Aziz Sy . Ses véhicules caillassés, assiégé par les fidèles, le ministre n'a dû son salut qu'à l'intervention du BIP (Brigade d'Intervention Polyvalente) expressément venu de Dakar qui a profité de la prière du crépuscule pour lancer des grenades et créer une diversion.
La capitale de la Tidjania, Tivaoune blessée dans sa foi a vu sa municipalité saccagée. Les pertes sont estimées à plus de 70 millions selon le Maire libérale, El Hadj Malick Diop.
Un mort à Kaolack et des dizaines de blessés à Dakar
Le «Non à la profanation de la Zawiya El Hadj Malick Sy» a enregistré une mort à Kaolack où les échauffourées entre la police et les manifestants ont coûté la vie à Mara Dieng (22ans). Le jeune homme a succombé des suites d'une blessure à la tête causée par une grenade lacrymogène. Mara fait passer le nombre de mort à 6 après les pertes de l'étudiant, Mamadou Diop (le 31janvier) écrasé par le canon à eau de la police à la place de l'Obélisque, l'officier Fodé Ndiaye (27 janvier) victime de la furie des manifestants et les trois morts enregistrés à Podor. Dakar dénombre encore ses nombreux blessés. Une dizaine a été décomptée le 17 février dont un policier, des journalistes et des populations du Plateau.
Obasanjo dépêché à Dakar pour apaiser le climat électoral
Toujours au chapitre de la violence électorale, la caravane du candidat des Fal 2012, Me Abdoulaye Wade a été agressée Nguédiène, fief de Ousmane Tanor Dieng, candidat de Benno ak Tanor. «Tanor est un faschiste, Nguéniène des sauvages», s'emporte Me Abdoulaye Wade à Mbour. «Je n'y suis pour rien», se défend le candidat des socialistes qui avait aussi essuyé des jets de pierres à Reubeuss (Dakar). Dans la lutte contre le troisième mandat du président Wade, deux leaders du mouvement « Yen a marre », Simon et Kilifeu ont été arrêtés par la police à la suite de la non tenue de l'Opération Fanane Obélisque (nuit blanche à la place de l'obélisque), le 16 février. Après 48h de détention à la police centrale, les rappeurs ont bénéficié d'une liberté provisoire, samedi mais seront devant le juge mardi ou mercredi.
Devant cette tension pré-électorale très vive, la CEDEAO va dépêcher à Dakar, Olusegun Obasanjo, l'ancien président nigérian pour apaiser le climat électoral. Le duel entre l'Etat et l'opposition prend de l'ampleur. Et les deux camps se radicalisent de jour en jour. Les 22 et 23 févriers prochain, Idrissa Seck, candidat de la coalition Idy4Président compte tenir une nouvelle manifestation à la Place de l'Indépendance. Soit trois jours avant le scrutin du 26 février et quatre jours après le vote des militaires et paramilitaires au faible taux de participation.