Congo-Kinshasa: Un pays où on risque la mort en donnant la vie

A 33-year-old woman at a clinic in the capital, Kinshasa, holds her second set of twins. She has seven children total.
14 Mai 2012

Les membres flasques, les yeux grands ouverts par la peur et la douleur, les pleurs de Théthé semblent s'arracher de son corps dont une partie semble ne pas reposer sur le matelas marron recouvert de vinyle ocre, maculé de sang et de liquide amniotique. La scène se passe dans l'un des pires endroits au monde pour donner naissance.

Les dernières heures de grossesse de Théthé ont été difficiles. Son placenta s'est déchiré de l'utérus et l'enfant est privé d'oxygène. Dans le même temps, Théthé a développé une fièvre.

Elle gémit et laisse échapper un cri aigu. «Doucement ! Doucement ! », dit une infirmière qui l'assiste.

Théthé gémit et pousse, donnant naissance à une petite fille. C'est son sixième enfant. L'infirmière prend le bébé par les pieds. Ses bras pendaient, sa peau était bleuâtre.

"Mort-né", dit Kavita Masenga, l'obstétricienne en chef. Les gémissements de Théthé laissent la place à des pleurs. De la main, elle fait signe qu'elle ne veut pas voir le bébé.

Ce n'est pas un jour extraordinaire à l'Hôpital Général de Kinshasa, le principal hôpital de référence de la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). C'est ici qu'on transfère les cas obstétricaux les plus graves de cette grouillante ville de 10 millions d'habitants. Bien que les conditions se soient améliorées au cours des dernières années, l'hôpital connaît des problèmes à l'image du pays : coupures d'électricité, équipements archaïques,  personnel mal payé et manque de médicaments.

Des années de leadership corrompue, des conflits, des pillages menés par des militaires et de détérioration générale ont fait des ravages. Les élections nationales de l'année dernière, qui ont été largement critiquées comme frauduleuses, ont jeté le doute sur l'engagement du gouvernement à éradiquer la corruption et à se focaliser sur le bien-être de la population.

La situation n'était pas toujours aussi alarmante dans cette gigantesque structure médicale, au moins pour ceux qui étaient assez fortunés pour y accéder. L'Hôpital Général de Kinshasa, qui portait alors le nom de Mama Yemo, la mère de feu Mobutu Sese-Seko, abritait la plus grande maternité de toute l'Afrique sub-saharienne, enregistrant jusqu'à 150 accouchements par jour.  Pris en charges par des médecins américains, les patients venaient de tout le continent pour se faire soigner à l'hôpital. Ce n'est plus le cas.

"Nous faisions mieux face aux consultations prénatales et nous les suivions jusqu'à l'accouchement", déclare Masenga, qui travaille à l'hôpital depuis plus de 30 ans. "Mais maintenant, il y a très peu de femmes qui viennent directement de chez elles. Souvent, elles vont dans un centre de santé plus petit et en cas de complication elles viennent nous voir. Parfois, elles arrivent trop tard", ajoute-t-elle.

Un pays riche, des mères mourantes

La RDC est l'un des pays les plus dangereux pour les femmes enceintes. Durant son existence, une Congolaise  a une chance sur 24 de mourir de complications liées à la grossesse ou à l'accouchement. La RDC est l'un des six pays qui totalisent la moitié des décès maternels dans le monde. Dans son rapport annuel  intitulé "La situation des mères dans le monde", publié la semaine dernier, l'organisation caritative «Save the Children» classe la RDC parmi les 10 endroits les plus dangereux pour être mère. De ces pays,  huit se trouvent en Afrique subsaharienne.

Des progrès ont été faits, mais au Congo la baisse des décès maternels est seulement d'environ 1,7 pour cent par an, alors qu'il faut un taux de 5,5 pour cent pour atteindre les objectifs des Nations Unies d'ici à 2015. Le taux de mortalité est plus élevé dans la partie Est du pays, une zone riche en minerais, où le conflit a éclaté de nouveau ce mois-ci et où le viol est le sport favori des milices rivales.

Dans plusieurs interviews réalisées avec eux, des travailleurs médicaux de Kinshasa citent la pauvreté comme la principale cause de mortalité maternelle. Selon une enquête de la Banque mondiale, trois-quarts des Congolaises qui n'accouchent pas dans les structures de santé évoquent le manque d'argent pour payer les soins.

"Dans certains endroits, quand on vient [pour des soins] et qu'on a pas d'argent, on se fait simplement renvoyer. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons un taux de mortalité si élevé dans notre pays", déclare à Kinshasa le Dr. Blandine Aveledi, responsable de la santé de la reproduction au Comité International de Secours (CIS), une organisation basée à New York. "Le plus grand problème est l'accès aux finances", ajoute-t-il. Hors de la capitale, le manque d'infrastructures représente un poids supplémentaire pour les femmes enceintes. Dans les zones rurales de ce pays aussi grand que l'Europe de l'Ouest, aussi bien les centres de santé que les moyens d'y accéder - principalement les routes – sont négligeables. Près de 80% des personnes interrogées dans une enquête de la Banque mondiale déclarent que leur accès aux soins est entravé soit par la distance des centres de santé, soit par le manque de moyen de transport pour s'y rendre.

Il est également rare de trouver un personnel médical formé – environ un médecin pour 9.000  personnes. Pourtant, une structure propre et des provisions de stérilisants ou même une accoucheuse qualifiée pouvaient sensiblement réduire aussi bien les taux de mortalités maternel qu'infantile.

Constamment surchargés, les professionnels Congolais de la santé déclarent que le pays devrait faire mieux. Il possède d'énormes quantités de diamants, d'or, de cuivre, de bois, de caoutchouc et d'autres ressources. Mais il se trouve au bas du classement des indicateurs de développement humain des Nations unies. Selon la Banque mondiale, le Congo est l'un des seuls neuf pays où l'espérance de vie est tombée au-dessous de son niveau de 1970.

"On ne peut pas me faire croire que mon pays est si pauvre quand je vois le nombre de voitures et de villas que possèdent nos ministres. Alors que je vois cela, on veut me dire qu'il n'y a pas d'argent pour résoudre les problèmes de santé du pays ?", déclare le chef du service des urgences de l'Hôpital Général de Kinshasa, le Dr. Mbwebwe Kabamba.

Sauver des vies c'est espacer les naissances

Les experts en santé déclarent que les grossesses trop rapprochées sont l'une des principales causes de mortalité aussi bien maternelle qu'infantile, sans considérer le fait qu'une femme a accès aux soins de santé ou pas. Mais, selon «Save the Children», seuls six pour cent des femmes utilisent les méthodes contraceptives modernes).
 Le secrétaire général du ministère de la Santé publique, le Dr. Pierre Lokadi Otete Opetha, confie que l'année dernière quelque cinq pour cent du budget national étaient réservés aux soins de santé. Ce taux varie entre 15 et 20 pour cent dans les pays développés. Le taux de la RDC est bien inférieur à celui recommandé par la Déclaration d'Abuja de 2001 qui engage les pays africains à allouer à la santé au moins 15 pour cent du budget national.

Mais, M. Opetha insiste pour dire que le gouvernement de son pays s'est engagé à améliorer la santé en RDC. Il soutient que l'accent est mis sur le planning familial. Ce qui pourrait sauver des vies aussi bien de la mère que de l'enfant.

"C'est la priorité pour le chef de l'Etat [le président Joseph Kabila]», affirme-t-il. «Je me souviens qu'il y est revenu au cours de nombreux meetings. Comme il y a une volonté politique au plus haut niveau, et avec l'aide de nos partenaires, je pense qu'à partir de cette année, il y aura amélioration des efforts dans le domaine du planning familial», ajoute-t-il.
 En moyenne, chaque Congolaise met au monde six enfants. Pour les femmes qui survivent de la grossesse et de l'accouchement, chaque nouveau bébé augmente les problèmes de la famille sur le plan de la nourriture et de l'éducation des enfants. Plus les naissances se rapprochent, plus le taux de la malnutrition est élevé, plus l'incidence du paludisme et d'autres maladies mortelles est grande et plus la mère a des difficultés pour allaiter – une méthode prouvée pour réduire la mortalité infantile.

Les travailleurs médicaux de l'Hôpital Général de Kinshasa disent qu'ils donnent des conseils sur le planning familial à toutes les femmes qui viennent à la maternité, mais que peu d'entre elles les suivent. Les raisons en sont nombreuses.

"Il y a l'influence de la religion", dit le Dr. David Bamba, chef du Département de Gynécologie-Obstétrique de l'hôpital. "Beaucoup de sectes n'acceptent aucune méthode de contraception parce qu'elles les considèrent comme une transgression de la loi divine", ajoute-t-il.

En plus de la religion, il y a aussi des mythes liés au contrôle des naissances. Beaucoup de personnes croient qu'avec les moyens de contraception, elles ne pourront jamais avoir d'enfant. Certains hommes pensent qu'ils rendent les femmes volages. D'un autre côté beaucoup de femmes croient que si elles ne procréent pas, leurs maris pourraient chercher des épouses plus fertiles.

Un programme, sponsorisé par le CIS, forme des travailleurs médicaux en soins de santé maternelle et sur la façon de donner des conseils sur la contraception.

"Au début, il y avait une certaine réticence à cause du manque d'information", déclare le Dr. Christian Bitwayiki Semapfa, un médecin venu de la province du Nord-Kivu (dans l'est du pays), qui travaille pour le programme. "Mais chacun a fini par comprendre que c'était un problème qui concerne tout le monde et les époux voulaient être associés au planning familial. Cela concerne le bien-être non seulement de la femme, mais aussi du mari, de la famille et de toute la communauté", ajoute-t-il.

Il raconte qu'un homme de la communauté qui avait 15 enfants était si convaincu de la nécessité du contrôle des naissances qu'il avait subi une vasectomie.

A l'Hôpital Roi Baudouin, dans la banlieue peuplée de Kinshasa, Olivie Kasongo, une femme de 33 ans, vient d'avoir des jumeaux pour la deuxième fois. Maintenant, elle a sept enfants et la famille vie avec le salaire d'un policier, soit environ 30 dollars américains par mois.

"C'est très difficile à cause des enfants. On doit les éduquer et les nourrir", dit-elle. "Je reviendrai [à l'hôpital] pour faire du planning familial. Je vais en parler à mon mari et il doit l'accepter", poursuit-elle.

Mais, selon le médecin, la réalité est qu'il risque probablement de ne pas accepter.

L'avortement est une pratique illégale en RDC. Les femmes qui cherchent à se faire avorter clandestinement courent le risque d'une hémorragie, d'une infection et de perdre la vie. Cependant, pour la plupart des femmes, c'est la seule alternative face aux grossesses répétées, rapprochées et dangereuses.
 Tant que le planning familial ne sera pas largement accessible et  plus répandu, l'avortement restera probablement la principale méthode de contrôle des naissances, disent les travailleurs médicaux. D'ici là, disent-ils, l'Hôpital Général de Kinshasa va continuer de recevoir des flux réguliers de mères comme Théthé. Elle a survécu de justesse à la naissance de sa fille mort-née, mais à chaque nouvelle grossesse les risques augmentent.

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