Sénégal: Lutte antitabac - La loi toujours en souffrance

Des mégots de cigarettes.
31 Mai 2012

Le tabac fait des ravages et gagne de plus en plus les adolescents, y compris les jeunes filles ; les autorités sénégalaises, elles, trainent toujours les pieds dans l'établissement d'un cadre règlementaire devant régir les moyens de lutter contre ce fléau. Pour preuve, la loi antitabac n'est toujours pas abrogée. L'autre revers de la médaille, c'est que la cigarette participe activement à la propagation du cancer dans ce pays. 

Si elle était une cigarette, on pourrait dire qu'elle n'est toujours pas allumée. Elle, c'est la loi antitabac devant régir et renforcer la lutte contre la cigarette au Sénégal. Le pays a ratifié la convention-cadre de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 2007 avec des textes de lois préparés depuis 2008 qui, malheureusement, ne sont pas encore présentés au Parlement. En attendant, le fléau continue son bonhomme de chemin à des propensions aussi inquiétantes.

Le Pr Mamadou Diop, directeur de l'Institut du cancer Joliot Curie de l'hôpital Arestide Le Dantec de Dakar, confirme que l'impact du tabac dans la propagation du cancer se ressent au Sénégal, partout en Afrique et dans le reste du monde. « Le tabac est le principal facteur de risque du cancer ».
Interpelé en marge de l'assemblée générale de la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca), tenue dans la matinée du samedi 27 mai 2012 à l'Ecole Nationale de Développement Sanitaire et Sociale (Endss), M. Diop souligne que la cigarette est citée dans presque 20 à 30 % des cancers, des maladies cardio-vasculaires et des maladies respiratoires. « C'est quelque chose qu'il faut combattre à tous les niveaux, surtout le cancer du poumon où les preuves ont été apportées que le tabac est la principale cause ».

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Sur cette liste, il y greffe tous les cancers au niveau de la cavité buccale, de la gorge, de l'œsophage, mais également d'autres qui semblent éloignés du contact direct avec la fumée de cigarette comme le cancer du sein, celui du col de l'utérus où ce facteur de risque est également retrouvé. « Il y a des estimations qui fixent à 15% le nombre de malades du cancer dû au tabac et montrent que la prévalence est très élevée chez les jeunes et les femmes ».

Aujourd'hui, le cancer est devenu l'une des maladies qui tuent le plus au Sénégal où le nombre de nouveaux cas peut être estimé à 6646 par an. Le tabac en est l'un des principaux vecteurs et est en train de pénétrer la classe féminine, surtout les jeunes en milieu scolaire.

Le tabac à l'école

Le samedi 27 mai 2012, aux environs de 13 h 30, un élève en classe de terminal trouvé chez un vendeur de café Touba (un café très prisé qui porte le nom d'une citée religieuse sénégalaise, ndlr) dit être inquiet de l'ampleur qu'a prise le tabac, surtout chez les plus jeunes de son école. « Au petit quartier qui est la partie qui accueille les classes des moins âgés de l'école, il nous arrive parfois de surprendre des élèves en train de fumer dans les classes, même s'ils savent les risques encourus».

Non loin de là, une jeune fille âgée de 20 ans, élève en classe de Terminal S2 rencontrée dans l'enceinte du lycée Blaise Diagne, n'a pas caché son inquiétude face à ce qu'elle qualifie de « montée en puissance de la cigarette » dans son école.
Habillée d'un tee-shirt de couleur noir assorti d'un pantalon jean bleu, notre interlocutrice a lancé : « Les élèves ne fument pas dans l'enceinte de l'école mais aux alentours, notamment dans le jardin public du quartier Zone B qui fait face ». Avant de témoigner : « J'ai une copine âgée de 21 ans qui fume depuis quatre ans ». A l'en croire, « cette fille est entrée dans la cigarette par la faute de son père qui, à chaque fois qu'il terminait de fumer, lui remettait le reste du tabac pour qu'elle le jette à la poubelle. Une occasion qu'elle saisissait pour assouvir sa curiosité jusqu'à devenir prisonnière de la cigarette ».

Même son de cloche pour les quatre jeunes filles rencontrées à l'entrée du lycée John-Fitzgerald-Kennedy et dont la tranche d'âge est comprise entre 18 et 20 ans. Sous un soleil de plomb, ces élèves d'une classe de seconde S, interpellées sur le chemin qui mène à l'arrêt du bus, confirment la présence de la cigarette dans la frange jeune. Une situation qu'elles ont expliquées par un effet de mode, la curiosité, l'influence des amis... Cette bande de camarades de classe s'est par ailleurs réjouie du fait que le règlement intérieur de leur école ait strictement interdit le tabac au sein et aux alentours de cette école des jeunes filles.  Elles n'ont, cependant, pas manqué de blâmer les parents qui, à leur avis, doivent être plus regardant envers leur filles.
Dans cette même optique, Massiré Diallo, un jeune entrepreneur habitant la commune de Médina confie fumer depuis 1995 ; année pendant laquelle il fréquentait la classe de 3ème.

Agé aujourd'hui de 32 ans, il estime que le fait que beaucoup de jeunes fument, comme lui à l'époque, est dû à la crise d'adolescence. D'après lui, il fume actuellement 12 à 18 cigarettes par jour. Avant de justifier qu'il fume à 90% pour satisfaire son envie et 10% pour tromper la solitude qui le gagne à ses heures perdues. Conscient du danger encouru en touchant à la cigarette, il lance : « Je fais tout mon possible pour cesser de fumer parce que je me rend compte qu'il y a plus d'inconvénients que d'avantage avec le compagnonnage du tabac ». Ce qui, à son avis, « n'est pas chose facile parce qu'à la longue on est presque prisonnier de la cigarette».

Payer moins et fumer plus

La vente de la cigarette au Sénégal, à l'image de plusieurs pays africains, est caractérisée par le fait que le produit est à la portée de tout le monde. La cigarette est vendue dans toutes les boutiques de quartiers, les étals des vendeurs de fruits et même dans les kiosques ou chariots à café dans la rue. Même un enfant qui se présente avec sa pièce de monnaie devant un vendeur de cigarette peut en disposer sans contrainte.  En plus de cela, le tabac est vendu à des prix très accessibles et en détail. « C'est payer moins pour fumer plus », estime une des élèves du Lycée Kennedy qui faisait allusion à la mesure de baisse du prix du tabac décidée il y a moins d'un an, puis annulée suite à la complainte des associations de lutte antitabac.

Actuellement, le tabac est très accessible à la population. Il y'en a pour toutes les bourses. Mouhamed, un jeune boutiquier trouvé dans une établie à Centenaire nous informe que pour les paquets de 20 cigarettes, les prix varient entre 400 F Cfa et 1000 F Cfa. Ce jeune boutiquier a confié que ces prix sont pratiqués depuis six mois.

Le vote de la loi, seul point de combat à l'ordre du jour

Au Sénégal, l'industrie de la cigarette semble être redoutée. La presse avait même fait état d'une agression dont a été victime le Professeur Abdoul Aziz Kassé de l'institut de cancer de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce cadre dans le milieu de la santé est l'une des personnes les plus en vue dans la lutte antitabac dans le pays.

Malgré cet environnement très complexe, les acteurs ne baissent pas les bras. C'est à l'image du Pr Kassé qui est, par ailleurs, président de la Ligue sénégalaise antitabac. Rencontré au siège de la Ligue sis au quartier Les Mamelles à Dakar où il présidait une réunion en vue des activités contre le tabac, cette icône de la lutte contre la cigarette au Sénégal s'est offusquée de l'absence d'études approfondies sur le fléau. « Pour avoir des chiffres sur le tabac, il faut faire une enquête nationale de prévalence. Le Sénégal ne l'a jamais fait. En plus de cela, il faut un registre qui permette d'enregistrer en permanence les méfaits du tabac ». A l'en croire, « cela fait plus de 20 ans que, personnellement, je m'implique dans cette lutte pour pousser le Sénégal à le faire. Tout cela est contenu dans la convention-cadre qu'il conviendra de mettre en place ».

Les pourfendeurs de la vente du tabac au Sénégal ont déclaré tout le mois de mai « mois sans tabac ». Une période durant laquelle se sont tenus des activités de sensibilisation, des randonnées pédestres, des concerts de musique, des tournées dans les quartiers, des séances de prêches dans les lieux de cultes… « Pendant très longtemps, toutes les associations étaient dans des actions individuelles. A un moment donné, nous avions compris qu'il était important d'organiser une action de masse concertée dans le cadre de la Ligue sénégalaise contre le tabac », souligne M. Kassé. C'est ainsi que 15 associations ont établi en commun un programme d'action. « La Ligue, pour 2012, s'est fixée comme seul objectif d'arriver à faire voter la loi antitabac. Notre programme ne vise qu'à organiser cette loi qui contient tout ce qu'il faut faire pour lutter contre la cigarette».

Cette option cadre avec celle de l'Organisation mondiale de la Santé qui a choisi «L'interférence de l'industrie du tabac » comme thème de la Journée mondiale sans tabac, le jeudi 31 mai 2012. Une campagne qui a mis l'accent sur la nécessité de dénoncer et de contrecarrer les « agissements éhontés » et toujours « plus agressifs » de l'industrie du tabac visant à saper la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (OMS/FCTC), en raison de la sérieuse menace que ses membres font peser sur la santé publique.

Après quatre ans de négociations, l'organe intergouvernemental de négociation (INB) de l'OMS auquel participaient plus de 135 pays, a convenu du texte d'un Protocole pour éliminer le trafic illicite des produits du tabac.

L'OMS, à travers son site, nous apprend que M. Ian Walton-George, Président de l'organe intergouvernemental de négociation, a déclaré que «c'est un moment historique dans les efforts mondiaux de lutte antitabac car c'est le premier protocole élaboré au titre de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac». Pour lui, « en s'accordant sur ce Protocole, les gouvernements ont réitéré leur engagement à protéger la santé publique et à lutter contre le commerce illicite des produits du tabac.»

Lenteurs administratives ou activismes des acteurs antitabac ?

« Les acteurs de la lutte contre le tabac font de l'activisme parce qu'ils savent très bien que la loi est dans le circuit ». C'est l'avis du point focal, chargé de la lutte contre le tabagisme au ministère de la santé et de l'action sociale. « On est en train d'envoyer le projet de loi au secrétariat du gouvernement pour accélérer son processus d'adoption », justifie M. Omar Ndaw. Selon lui, « la loi passe par un comité technique au niveau du secrétariat général du gouvernement parce qu'il y a plusieurs départements ministériels qui interviennent dans ces discussions notamment les finances, le commerce, l'environnement, l'industrie, la santé. Par la suite, on saisit le conseil d'Etat pour regarder la constitutionnalité des dispositions qui sont dans la loi ».

A l'en croire, le projet de loi passe en revue toutes les dispositions de la Convention cadre de l'OMS notamment son article 08 qui traite de la protection contre la fumée du tabac avec l'interdiction de fumer dans les lieux publics pour le bien des non-fumeurs.

M. Ndaw assure que le projet de loi traite beaucoup d'aspects dont les informations à communiquer sur la composition du tabac, la règlementation de ces produits, de l'étiquetage des paquets de cigarette. « Maintenant, il ne faut plus accepter qu'on fasse apparaître sur les paquets de cigarette des allégations mensongères telles Light, Extra Light. A la place, il faut des informations sanitaires pertinentes telles que « Fumer tue » et non plus « Abus dangereux pour la santé » ce qui est faux parce que ce n'est pas l'abus qui est dangereux mais c'est l'usage de la cigarette ».

Entre autres aspects, le texte réglementaire milite pour l'interdiction de la publicité sur la cigarette, contrer le commerce illicite du produit du tabac notamment la gestion de la contrebande et de la contrefaçon, l'interdiction de la vente aux mineurs et par les mineurs.
Le Monsieur tabac du ministère de la santé rappelle que l'application de la loi est une question de volonté politique. « Si le gouvernement fait preuve de volonté, le processus peut faire un mois mais nous attendons l'installation de la nouvelle Assemblée nationale qui se fera certainement au mois d'août. Je pense que d'ici à la fin de l'année 2012, on devrait avoir une loi votée ».

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