Sénégal: Ousseynou Wade - 'Dak'Art participe à la réflexion et à la formulation de propositions face aux mutations actuelles'

Ousseynou Wade, Secrétaire général de la Biennale de Dakar.
10 Juin 2012
interview

10ème édition en 20 ans. La Biennale de l'Art africain contemporain de Dakar (Dak'Art) a atteint l'âge de la maturité. Suffisant pour cet événement africain de se muer en cadre de réflexion. D'où l'option prise à l'occasion de cette 10ème édition de participer à la formulation des propositions face aux phénomènes qui agitent l'Afrique et le monde, et de plancher sur les difficultés du marché de l'art africain. A cela s'ajoute la problématique de l'autonomisation de cet événement qui cherche à promouvoir la création artistique sur le continent. Entretien avec le Secrétaire général de la Biennale de Dakar, Ousseynou Wade.


Quel est le nombre de participants et d'œuvres que vous avez accueilli dans le cadre de cette 10ème Biennale par rapport à l'année dernière
?

Nous avons, pour 2012, tenu à marquer les 20 ans de Dak'Art et la 10ème édition de la Biennale de Dakar. Pour cette édition, rien que pour l'espace «In», c'est-à-dire des expositions directement gérées par le Secrétariat général, nous avons opéré une sélection portant sur 42 artistes. En marge, nous avons choisi trois artistes invités et nous avons aussi tenu à rendre hommage à deux autres artistes. Ce qui nous fait globalement 47 artistes dans l'espace «In». Ce qui permet de dire qu'il y a, du point de vue du nombre d'artistes présents à la Biennale «In», plus que ce nous avions en 2010.

Selon vous, qu'est ce qui l'explique ?

Il reste bien entendu que la Biennale est un événement à deux faces et nous pouvons dire, sans risque de nous tromper, qu'aujourd'hui en «Off», le nombre d'artistes a sensiblement augmenté. Ce qui nous permet de penser qu'au moment où beaucoup d'observateurs croyaient que l'édition 2012 de la Biennale allait difficilement se tenir, non seulement elle a eu lieu, mais elle s'est quelque part bonifiée ne serait que si l'on interroge le nombre de participants. Nous le devons peut-être à l'avancée que le Sénégal a enregistrée sur le plan démocratique. Certainement, nous le devons à la notoriété du ministre chargé de la tutelle de la Biennale parce qu'étant un événement organisé par l'Etat du Sénégal.

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Quelles ont été les régions de l'Afrique les plus représentées ?

Nous avons une bonne présence de l'Afrique du Sud et cela se comprend bien parce qu'il y a eu une réponse massive à l'appel à candidatures de la part de cette zone de l'Afrique. Mais il y existe également une population d'artistes qui est extrêmement importante et très créative. Nous avons une présence de l'Afrique du Nord également qui n'est pas négligeable et une présence de l'Afrique de l'Ouest, assez importante.

Quelles orientations stratégiques et idéologiques aviez-vous cherché à mettre en évidence ?

C'est d'abord la base. Nous avons estimé que les artistes africains étaient très peu connus chez eux et que pendant très longtemps, les lieux de légitimation se situaient en dehors du continent africain. Et les acteurs chargés de cette légitimation n'étaient pas forcément des Africains pour la plupart.

Evidemment, on se réjouit du fait que pendant très longtemps des professionnels se sont intéressés à cette création africaine contemporaine et qu'ils ont cherché à la promouvoir à travers le monde. Mais il était important que le lieu de validation de la création africaine soit aussi sur le continent africain et que les acteurs chargés de la légitimation de cette production artistique soient aussi des Africains.

Ceci est la base mais elle nous ramène également à la particularité d'une édition à une autre. Nous avons observé le monde, pas simplement l'Afrique, estimons qu'il y a des bouleversements, des changements, des mutations qui étaient en train de s'opérer dans différentes parties du globe dont le continent africain. Il nous appartient de nous interroger sur ces mutations, sur ces crises, sur ces évolutions, sur ces différentes formes de transformation sociale qui étaient en train de s'opérer sous nos yeux et à différents niveaux. Nous avons connu les crises financières, les crises économiques, le printemps arabe, les problèmes de bonne gouvernance, les crises au plan politique… Nous nous sommes dit qu'on ne pouvait pas rester indifférents face à tous ces phénomènes qui agitent le monde. Et l'idée était véritablement que la Biennale participe à cette réflexion et à cette formulation de propositions à la fois pour une stabilité, pour la bonne gouvernance, etc.


Il y avait beaucoup de thèmes sur la politique et la citoyenneté. Est-ce à dire que, selon les artistes, le développement de l'Afrique devrait s'opérer à partir de ces deux axes?

Nous sommes dans une situation où la question de la citoyenneté est une question centrale. C'est comme la question de la bonne gouvernance. Nous sommes dans un processus de transformation sociale extrêmement profond qui nous interpelle tous. Sur ces questions-là, je pense que les artistes n'ont pas attendu d'être invités à se prononcer. Ils l'ont fait de façon spontanée. Ils l'ont fait de façon responsable, et ils l'ont fait de façon décisive également. C'est tout cela qui fait que l'on peut avoir l'impression que les questions politiques, les questions de citoyenneté sont au cœur de cette édition 2012.


Les acheteurs se sont-ils déplacés en masse cette année contrairement aux années passées où les exposants avaient déploré leur absence ?

Il faut préciser que la Biennale n'est pas un marché. La Biennale n'est pas le lieu du marché. Ce n'est pas une foire. Il arrive tout de même que dans les contours de la Biennale, un certain nombre de collectionneurs s'intéressent à des œuvres et cherchent à se les approprier. Les échos que j'ai eus et qui sont encore partiels me font croire qu'il y a eu effectivement un certain nombre de transactions dont l'ampleur n'est pas encore quantifiée. Nous y travaillons et nous pensons que d'ici deux semaines ou trois, nous aurons à peu près une idée approximative des ventes et de la présence des acheteurs.

Quels sont, selon vous, les problèmes auxquels le marché de l'art est confronté en Afrique ?

Ceux sont des questions de communication et de supports. Je pense à des revues spécialisées. Il y a aussi des questions d'espace d'expression des critiques d'art et de pluralité des événements. Il s'ajoute à cela la mobilité des artistes qui ne dépend pas forcément de nous. Il est heureux que déjà un certain nombre de propositions aient été formulées en termes de présence d'artistes africains à un certain nombre de manifestations culturelles et artistiques internationales, sans compter des invitations individuelles ou de groupes qui ont été formulées ici ou là par un certain nombre de participants à la Biennale de Dakar. Le marché, il est global. Il est structuré et il y a des espaces où véritablement on peut déterminer le niveau de pénétration de ce marché-là pour les artistes africains.

Une réflexion a été enclenchée pour remédier à ces problèmes ?

Des problèmes, il y en a parce que le marché se situe en dehors de chez nous. A part la foire de Marrakech et celle d'Afrique du Sud, nous n'avons pas d'autres foires. Les plus importantes se situent en Europe ou dans une certaine mesure aux Etats-Unis. Mais il arrive que certains artistes africains parviennent à poser un pied, ou les deux à la fois, dans le marché international. Ce que nous souhaitons, c'est travailler et faire en sorte que cette présence soit beaucoup plus importante.

A l'occasion de son discours d'ouverture, le Président Macky Sall a évoqué la question de l'autonomie de la Biennale qui est une vieille revendication du Secrétariat général. Y travaillez-vous ?

Oui, nous avons eu une attention assez appréciable du chef de l'Etat, du Premier ministre et du ministre de la Culture et du Tourisme par rapport à des questions récurrentes que sont le statut de la Biennale, son financement et sa pérennisation. Je pense que le Président de la République a engagé très fortement le ministre de la Culture à approfondir ces questions. Nous y travaillons et nous pensons que très vite des propositions concrètes seront posées sur la table du ministre de la Culture et du Tourisme pour une solution urgente. Ce n'est pas le Secrétariat général de la Biennale qui pose ce problème ; c'est un certain nombre d'observateurs, des partenaires et des observateurs de la scène artistique africaine qui ont estimé qu'il y a nécessité aujourd'hui de réactualiser et d'adapter le mode de fonctionnement et l'organisation de la Biennale aux normes qui cadrent véritablement avec les missions qui sont confiées à la Biennale de l'art africain contemporain. Nous avons suffisamment avancé sur ces questions-là, et il ne reste pas beaucoup de choses à faire pour finaliser les documents à soumettre à l'appréciation des autorités.


Quels sont les aspects sur lesquels l'accent devrait être mis pour une autonomie effective et une bonne fonctionnalité de la Biennale ?

Je pense qu'il y a beaucoup d'aspects. C'est d'abord le mode de sélection. Il faut que cela soit plus conforme aux exigences de qualité, de représentation et de pertinence pour une sélection internationale. Il y a aussi la communication. Il faut  une communication globale sur l'événement dans la mesure où toutes les grandes manifestations culturelles au monde s'appuient sur une communication solide et multiforme. Il faudrait également souligner l'association de compétences diverses dans les différents champs que couvre la Biennale de l'Art Africain Contemporain. Tout cela montre qu'il faut professionnaliser, faire appel à de véritables professionnels pour gérer un certain nombre de secteurs extrêmement sensibles afin que les résultats soient à la hauteur des attentes.

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