Les élections législatives sénégalaises du dimanche 1er juillet 2012, mettent en lice vingt-quatre coalitions de partis (le plus grand nombre jamais enregistré), dans un contexte global de recomposition politique. Au sortir de la deuxième alternance politique ayant porté au pouvoir Macky Sall, les enjeux de cette douzième législature s'avèrent importants. Autant pour le nouveau régime à la quête d'une majorité stable pour gouverner que pour le pouvoir sortant qui espère profiter de l'émiettement de l'électorat pour trouver un pôle parlementaire aussi important que celui du camp d'en face. Autre donne : ces élections verront l'entrée en vigueur de la loi instituant la parité absolue homme-femme sur les 24 listes de candidats parmi lesquelles celles des religieux et/ou corporatistes.
« Ensemble pour une majorité présidentielle », « Une Assemblée forte et respectée », « Des députés du peuple », « Des femmes pour une meilleure prise en compte de la demande sociale, « Un pouvoir législatif pour mieux contrôler l'action gouvernementale » … Les slogans fusent dans cette campagne électorale pour les Législatives du 1er juillet 2012 au Sénégal. Une dynamique qui reflète une volonté partagée de marquer une rupture par rapport au passé.
Malgré les acquis de plus en plus affirmés de son système démocratique, de l'indépendance à nos jours, le Sénégal n'a connu en effet que des Assemblées nationales monolithiques et des législatures unicolores, dominées presque toujours par une forte mouvance parlementaire issue du parti ou de la coalition présidant aux destinées du pays. Ce que certains observateurs qualifient généralement de « majorité mécanique » au service du gouvernement en place.
Les législatives de juillet semblent vouloir rompre avec cette tendance en raison de l'émiettement du champ politique. Qui plus est, l'ambition affichée des acteurs politiques de faire un break donne un cachet particulier à ces joutes électorales organisées au lendemain d'une deuxième alternance politique ayant balayé le charismatique Pape du Sopi, Abdoulaye Wade, au soir du 25 mars 2012.
Et pour cause, l'ancien chef de l’État a été battu, au second tour de la présidentielle, par son ex-Premier ministre Macky Sall. Ce dernier qui n'avait obtenu que 25% des suffrages au premier tour de la présidentielle, a finalement été plébiscité avec 65% des voix au second tour, grâce à la coalition Bennoo Bokk Yakaar qui regroupait 13 des 14 candidats à la présidentielle.
Le morcellement de Bennoo Bokk Yakaar qui a porté Macky Sall au pouvoir, à la veille des Législatives, comme l'éclatement de l'ancien parti au pouvoir, le Pds d'Abdoulaye Wade, avec la naissance de Bokk Guis-Guis, préfigurent toutefois de l'inévitable recomposition du champ politique. Une recomposition qui confère à ces élections législatives des enjeux de divers ordres, comme l'attestent certains analystes du jeu politique.
Pour le chroniqueur politique, M. Madior Fall, par ailleurs Rédacteur en chef du journal Sud Quotidien, la nouvelle donne politique induit de nouveaux rapports entre anciens alliés à la présidentielle. Pour lui, le nouveau régime qui a présenté la liste Bennoo Bokk Yaakar aux Législatives cherchera à consolider les acquis capitalisés avec ses alliés, lors de la dernière présidentielle. « Le gouvernement est amené à proposer des projets de loi et s'il n'a pas une majorité à l'Assemblée nationale, ça va être très difficile pour lui ».
Même son de cloche pour Mame Less Camara, journaliste et analyste politique. Pour lui, en plus des points soulevés par son confrère, le camp présidentiel cherchera, à travers ces joutes, à trouver avant tout une majorité parlementaire pour parachever le processus qui a placé Macky Sall à la tête de l'Etat. « On s'est rendu compte que ce processus n'a été effectif qu'à moitié. Il faut maintenant, après la conquête de l'exécutif, gagner les législatives et dans des marges suffisamment grandes pour permettre au Président de gouverner dans une stabilité institutionnelle ».
Avant de faire remarquer que, malgré sa défaite, le Président sortant, Abdoulaye Wade, est resté accroché au pouvoir. « Il a vu que la dynamique qui a porté Macky Sall au pouvoir, malgré l'ampleur de son score au second tour de la présidentielle, est assez faible ». Selon M. Camara, le camp de Wade est convaincu que l'émergence des candidatures plurielles lui donne l'occasion de jouer sa partition ou sa chance pour éclater l'électorat dans divers pôles. Ce qui pourrait permettre au Pape du Sopi de se repositionner.
Martin Pascal Tine, Assistant à la faculté de Droit de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), est également d'avis que l'un des principaux enjeux de ces élections législatives, c'est le fait de permettre sans doute, au moins, une reconfiguration des espaces sociaux. Compte tenu de la nouvelle donne politique et de l'évolution des rapports de forces, l'enseignant pense qu'« il y a possibilité de voir une activité gouvernementale sous la menace d'une paralysie, en cas de majorité instable puisque nous sommes dans un jeu de coalitions et on ne sait pas jusqu'où cela va tenir ».
L'avenir assombri de la famille libérale
Les enjeux de ces élections législatives ne concernent pas uniquement la coalition au pouvoir. Ces échéances sont à haut risque pour la famille libérale qui a presque volé en éclats, au lendemain de la défaite de Abdoulaye Wade à la présidentielle.
Beaucoup de partis ou coalitions, en course pour ces législatives, sont nés des cendres du Parti Démocratique Sénégalais (PDS). C'est à l'image de la Coalition Bokk Guis-Guis (Partager la même vision en wolof, ndlr) dirigée par Pape Diop, actuel Président du Sénat et ancien maire de Dakar. Cette coalition regroupe beaucoup d'anciens membres du gouvernement de Wade et cadres de son parti qui ont fait scission après l'option de leur mentor d'investir des jeunes sur les listes pour ces législatives.
C'est ainsi que certains observateurs voient dans ces élections un test grandeur nature pour départager la famille libérale engagée dans une querelle de représentativité où chaque camp bombe le torse pour revendiquer les « restes » de l'ancien parti au pouvoir pendant 12 ans. Les alliés d'hier sont devenus les adversaires ou ennemis d'aujourd'hui, si l'on se fie aux dernières piques de Wade contre son « ancien ami » et « dauphin constitutionnel » Pape Diop.
Devant ce scénario, Martin Pascal Tine de l'UCAD fait remarquer que ces élections sont aussi porteuses d'un enjeu latent de dislocation pour le PDS.
Malgré les zones d'ombre qui planent sur l'issue de ces élections législatives, les observateurs politiques sont unanimes sur la qualité de l'Assemblée nationale attendue. Madior Fall pense que « la nouvelle législature devrait consolider ce qui s'est dessiné à la présidentielle, notamment la pluralité de notre démocratie et la fin des personnes charismatiques, des pères de la nation par qui tout commençait et tout se terminait ». A son avis, le prochain hémicycle devrait consolider cette démocratie éclatée et où la présence de tout le monde est requise.
De son côté, Cheikh Marouba Guèye de l'USAID/PGP présage d'une Assemblée nationale qui sera extrêmement intéressante, compte tenu du nombre de coalitions en lice, de leurs diversités d'approche idéologique et programmatique, de leurs caractéristiques religieuses et/ou corporatistes. « L'Assemblée à venir devrait être constituante et pourra atteindre beaucoup de bonnes choses ».
Parité absolue : les femmes pour changer le visage de l'Assemblée
Les élections de ce dimanche 01 juillet 2012 marquent également un tournant dans l'histoire des compétitions politiques de ce pays. Avec la consécration de la loi 2010-11 du 28 mai 2010 qui établit une parité absolue entre homme et femme dans toutes les fonctions totalement ou partiellement électives, les législatives augurent une nouvelle configuration de l'Assemblée nationale et une plus grande participation des femmes dans le processus décisionnel.
Martin Pascal Tine, interrogé en marge du Séminaire de formation sur la couverture médiatique des élections législatives de juillet 2012 que la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal (CJRS) a organisé en collaboration avec la Composante Élection du programme USAID/PGP, les 23 et 24 juin 2012 à Saly-Portudal (à 83 km de Dakar), pense qu'avec ce nouvel élément, « il peut y avoir un sectarisme du parlement avec la menace d'une tendance au regroupement des femmes et aider en cela par le lobbying des associations de femmes ».
Plus optimiste, M. Cheikh Marouba Guèye, rencontré à la même occasion, estime que l'application de la parité va changer le visage du Parlement sénégalais. « C'est une expérience qui, jusque-là, n'est pas de la culture sénégalaise, et qui est extrêmement importante pour le devenir de son peuple. Donc, il est essentiel que nous tous, nous puissions nous mettre à l'école de l'expérience sénégalaise et essayer d'évaluer son intérêt ».