Dakar — L'Afrique a besoin de médias forts et responsables pour instaurer une « citoyenneté active », socle d'un développement économique et social. La conviction est des sommités du continent qui l'ont expliqué au cours d'un débat de haut niveau tenu ce mercredi 7 novembre à l'amphithéâtre de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Le 5ème Forum des Leaders des Médias d'Afrique (Amlf) frappe d'entrée, dans sa recherche de solutions pour le développement humain et la transformation économique du continent. Lors de la réflexion convoquée autour du thème « Médias et Citoyenneté », dans le cadre d'une table-ronde tenue, mercredi 7 novembre à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, en prélude à l'ouverture officielle de cet événement, des intellectuels africains ont circonscrit les contours d'une presse responsable devant aider à l'instauration d'une citoyenneté active.
Le directeur général de l'Ong COCIDEV Africa, M. Amadou C. Kanouté estime que compte tenu des enjeux de l'heure, l'Afrique gagnerait à instaurer une « citoyenneté active ». Un choix nécessitant une communication avec les citoyens qui demandent à être informés de ce que font leurs dirigeants qui ont l'obligation de les entendre. Cette même dynamique impliquerait également un échange avec les leaders dans l'optique de garantir plus d'efficacité des politiques publiques mais aussi de communiquer avec les détenteurs des outils de communication que sont les médias. Un dernier maillon devenu incontournable et stratégique dans une logique de développer une citoyenneté pérenne et bénéfique.
Pour une bonne réussite de ce processus, l'accès à l'information par les populations est cité comme condition sine qua non dont la résultante est une articulation parfaite entre société civile et médias. Cet environnement répond à un certain nombre de conditionnalités notamment un cadre réglementaire favorisant la libre expression, l'accès à l'information et une corporation des médias consciente de sa responsabilité d'éthique et de déontologie.
Il est aujourd'hui certain que la citoyenneté s'exprime dans la place publique. Ce qui a été démontré lors des derniers événements du printemps arabe parti de la Tunisie avant de faire un effet de tâche d'huile dans les autres pays de l'Afrique du Nord. Une révolution dans laquelle la presse a joué un rôle crucial surtout avec l'action des nouveaux médias communément appelés « médias sociaux ».
Une analyse pointue opérée lors de cette table-ronde organisée par l'Initiative des médias d'Afrique (AMI) et le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria), permet de percevoir l'effet « couteau à double tranchant » des médias.
Une brèche qui a permis de rappeler les guerres ethniques et conflits religieux survenus au Nigeria, au Rwanda, en Côte d'Ivoire où les médias ont beaucoup influé dans la survenue de ces événements aux conséquences horribles.
En plus de cela, l'effet néfaste des médias a, selon la Fondatrice et Directrice générale de Femmes Africa Solidarité (Fas), Mme Binta Diop, accentué le fossé entre groupes sociaux. A son avis, le mal de l'Afrique réside dans la mauvaise gouvernance et le déficit de leadership qui font qu'une grande partie de la population dont les femmes et les enfants, est marginalisée. Une situation dont la presse est en partie responsable à cause du traitement réservé à la question. Mme Diop estime que la presse devrait cesser de présenter les femmes et les enfants comme des victimes mais plutôt des acteurs de développement.
Un constat qui permet au PDG de la Fondation Mo Ibrahim, Mme Hadeel Ibrahim, de souligner la puissance de l'influence des médias sur les sociétés. Un état de fait qui soulève ainsi un ensemble de défis majeurs que devront relever les médias surtout ceux traditionnels.
Il s'agit entre autres de redéfinir la place des journaux dans un contexte rendu de plus en plus complexe par l'avancée technologique. Aujourd'hui, l'expression « la voix des sans voix » n'est plus l'apanage seule ou l'exclusivité des médias. N'importe qui peut communier avec le reste du monde avec son téléphone portable, sa tablette ou son ordinateur connecté à internet. Ce qui rend la concurrence grandement ouverte dans un environnement économique très étriqué.
Ce qui fait penser au Président du conseil d'administration et directeur général de Media Trust Limited du Nigéria, Mr. Kabiru Abdullahi Yusuf que certaines dérives de la presse s'expliquent par une volonté des médias de chercher à survivre dans un environnement économique complexe. Une situation qui les oblige à s'enfermer dans une démarche partisane, de propagande ou défendant les intérêts d'un groupe.
Une équation à laquelle ont pourtant su résister les médias de certains pays africains. Le secrétaire général adjoint du Bureau pour la démocratie, les droits de l'homme et le travail du département d'Etat américain (Bureau of Democracy, Human Rights and Labour – US Department of State) a cité l'Afrique du Sud, le Kenya où les médias sont généralement puissants pour faire face à une quelconque influence.
Un sujet qui va permettre à Mr Amadou Mahtar Ba, le PDG d'Ami de remettre sur la table la problématique de l'accès aux ressources financières. A son avis, c'est dans l'intérêt de la société, des gouvernants et du secteur privé d'avoir des médias développés pour aider et contribuer à la dynamique d'ensemble.
Sur cette même lancée, Mame Less Camara, journaliste et analyste politique invite à plus d'investissements dans le domaine de la formation pour amener les médias à mieux s'investir dans la citoyenneté.
Mme Aminta Diaw Cissé, responsable de programme au Codesria, pour sa part, pense que la réflexion doit s'articuler autour de deux questions principales : « Est-ce que les médias doivent être le miroir de la société ? Est-ce que les médias doivent être un outil de transformation de la société ? ». Un questionnement qui ouvre une nouvelle page de réflexion.