La RDC est un pays de la taille de l'ensemble de l'Europe occidentale, ayant d'énormes richesses minières qui permettent de fabriquer les objets de la vie moderne, de téléphones portables et tablettes aux circuits imprimés et panneaux solaires. Elle est également, selon de nombreux témoignages, le pire endroit pour être une femme.
Le mois dernier, Bineta Diop – désigné par Time magazine comme l'une des femmes les plus influentes au monde – a répondu aux appels des femmes locales et a visité la région orientale de la République Démocratique du Congo (RDC) ravagée par les conflits. Une visite dont elle a failli ne pas revenir.
Alors qu'elle était dans la ville de Goma avec une délégation de huit personnes, celle-ci a été prise par le mouvement rebelle du M23 – la plus récente d'une série de milices et d'armées qui ont fracturé la société et l'économie de la région pendant plus d'une décennie. Cinq millions de personnes ont trouvé la mort et des millions d'autres ont été déplacées. Toutes les parties au conflit en cours ont eu recours à la violence sexuelle comme arme.
«La RDC est appelée la capitale du viol », affirme Diop. «Nous y sommes allées par solidarité avec nos sœurs pour leur dire: « Vous n'êtes pas seules ». Et nous y sommes allées pour comprendre comment elles voient les problèmes et ce que nous pouvons faire pour les aider. »
La notion de missions de solidarité est une que Femmes Africa Solidarité (FAS), l'organisation fondée par Diop, a poursuivies pendant de nombreuses années. Elle fait partie d'une stratégie visant à mettre en œuvre les principes de la résolution 1325 des Nations Unies, adoptée en 2000. Le bureau du Conseiller spécial des Nations Unies sur l'Egalité entre les sexes déclare que: « La résolution réaffirme le rôle important des femmes dans la prévention et la résolution des conflits, les négociations de paix, la consolidation de la paix, le maintien de la paix, les interventions humanitaire et la reconstruction post-conflit. Elle souligne aussi l'importance de leur égale et pleine participation à tous les efforts de maintien et de promotion de la paix et de la sécurité. »
Les pourparlers de paix en cours sur l'Est du Congo qui se tiennent dans la capitale ougandaise Kampala, semblent, pour beaucoup, une raillerie de ces idéaux.
Où sont les femmes dans ces négociations?
Bineta Diop, racontant sa visite dans l'est de la RDC lors d'un appel téléphonique depuis Genève, a déclaré que la pression internationale sur le M23 a contribué au retrait de celui-ci de Goma. «Il s'agit d'une bonne chose », a-t-elle indiqué. « Mais à quoi devons-nous nous attendre? »
Un groupe interrégional, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, parraine les négociations ougandaises, qui ont commencé avec des allégations haineuses et des contre-accusations entre les représentants du gouvernement de la RDC et le M23. Les gouvernements du Rwanda et de l'Ouganda prennent également part aux pourparlers.
« Nous ne devrions pas laisser les dirigeants parler entre eux », explique Diop. « Les discussions ne devraient pas être fermées comme d'habitude. Les groupes de femmes et la société civile devraient être informés du contenu des négociations. Les femmes devraient participer aux négociations. »
Au Rwanda, les femmes occupent 56 pour cent des sièges au Parlement et le Président Paul Kagamé est un champion lorsqu'il s'agit des droits des femmes. Mais son gouvernement, qui dans le temps était un favori des groupes d'aide internationale pour son rôle dans la reconstruction du pays après le génocide, a vu une partie de cette aide symboliquement arrêtée sur la base d'accusations selon lesquelles le Rwanda est la puissance derrière le M23.
Kagamé et son gouvernement ont nié avec véhémence les accusions selon lesquels ils soutiennent le groupe rebelle. « Nous n'avons aucun intérêt dans l'instabilité du Congo», a déclaré Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères du Rwanda. « Les accusations à l'encontre du Rwanda sont fabriquées pour s'adapter à certains récits, une certaine pensée au sujet du Rwanda et de l'Afrique. » Faisant référence au M23, elle a déclaré qu'« un groupe de mutins de l'armée congolaise n'offre pas de gage de sécurité. »
Au cours des derniers jours, un certain nombre de messages twitter de l'Est du Congo ont affirmé que des troupes rwandaises accompagnaient ouvertement les convois du M23 . Que cela soit vrai ou non, les inquiétudes au sujet du rôle du Rwanda dans le traumatisme que connait actuellement la région persistent. Les diplomates internationaux disent que les preuves du soutien du Rwanda à la rébellion sont solides. Les organisations de femmes sont inquiètes.
"Nous avons donné un prix à Kagamé», explique Diop, en reconnaissance de son soutien aux femmes. « Mais », dit-elle, « il ne devrait pas s'occuper seulement des femmes du Rwanda. Il devrait également s'occuper des femmes de la RDC. »
Une catastrophe humanitaire
FAS travaille à attirer l'attention sur les préoccupations des femmes congolaises, dont l'une, dit Diop, « est la question de l'impunité. Les gens qui commettent des viols ne sont pas tenus pour responsables. Ils sont promus. Ils peuvent même devenir chefs dans la police. »
Lors de son séjour à Goma, Diop a participé à un séminaire du FAS, financé par l'Union européenne, qui avait pour objectif d'aider les femmes à planifier des actions positives pour revendiquer leurs droits au regard de la Résolution 1325. La Finlande et la Norvège soutiennent un projet régional que le FAS est en train de mettre en œuvre dans la région des Grands Lacs et qui comprend la RDC, le Rwanda et le Burundi.
« Cela peut constituer un point de départ», affirme Diop, « pour le dialogue entre les groupes de femmes» pour affermir leurs voix et faire leur entrée dans le processus de paix. Sa mission de solidarité a été soutenue par le Fonds des Nations Unies pour la Population et l'UNIFEM, en alliance avec les femmes de l'Association des Femmes Solidaires pour la Paix, le partenaire local du projet dans les provinces orientales du Nord et du Sud Kivu en RDC.
« Nous voulons qu'elles ne se considèrent pas comme des victimes, mais qu'elles se considèrent comme des actrices – des actrices constructives pour sortir leur pays de cette crise », a-t-elle dit.
Il s'agit d'une tâche difficile au cœur d'un conflit, dont l'ampleur et la brutalité sont sidérantes. Diop s'est plusieurs fois retrouvé dans des situations de conflit et post-conflit – au Libéria et en Sierra Leone, où les combats ont poussé des centaines de milliers de personnes à se réfugier en Guinée voisine. Elle était au Tchad avec les réfugiés du Darfour aux côtés de l'ancienne présidente irlandaise Mary Robinson.
Goma maintenant, dit-elle, est le pire qu'elle ait vu. En dehors de la ville peuplée d'un million d'habitants, on trouve des camps remplis de personnes déplacées qui ont abandonné leurs maisons. Elle a vu des femmes avec des bébés assis dans la rue, n'ayant pas d'abri depuis le début de la saison des pluies. Beaucoup d'entre elles lui ont dit qu'ils n'avaient pas reçu de rations alimentaires depuis Août. Quand elles vont dans la campagne pour chercher du bois de combustible à vendre, elles sont attaquées. Souvent, les attaques portent la marque d'une horrible inventivité; les membres du personnel médical signalent des blessures internes qu'ils n'ont jamais imaginées, encore moins vues.
Alors que Diop était dans un camp, de nouveaux arrivants ont commencé à affluer. « J'ai demandé à un petit garçon, « Où sont tes parents? Il a répondu qu'il ne savait pas. D'où venez-vous? « Il a fait un geste vers les collines environnantes. C'est hier dans la nuit que nous avons entendu les coups de feu. »
Sachant que la région est habituellement instable, Diop et son groupe ont effectué leur voyage en bateau sur le lac Kivu jusqu'à la ville de Bukavu sur le bord sud du lac. A l'hôpital de Panzi, où le Dr Denis Mukwege venait d'échapper à un assassinat en Octobre, ils ont trouvé un groupe déterminé, mais démoralisé de personnel et de patients. Le médecin, un critique franc de la culture du viol, est un chirurgien qualifié qui, pendant 16 ans, a réparé les cas de fistule – une complication fréquente et invalidante de violence sexuelle. Ils ont plaidé auprès du groupe de FAS en insistant pour qu'une sécurité adéquate soit assurée par la communauté internationale afin que le médecin puisse retourner à son poste.« Il est celui qui sauve nos vies », a-t-il été déclaré au groupe. « Les corps de ces femmes ont besoin d'être réparés. Nous avons besoin de lui. »
Course vers la frontière
Affligé par tous les défis auxquels les populations de la région sont confrontées, le groupe du FAS pris le chemin du retour en traversant le lac. Le pire était à venir.
Après une traversée de trois heures dans une tempête qui les avait laissés malades, leur escorte, fournie par le groupe de maintien de la paix des Nations Unies, la Monusco, était demeurée introuvable. Ils avaient trouvé leur hôtel vide, et le personnel local leur avait dit de quitter la région le plus rapidement possible. Les combattants du M23 étaient arrivés dans la ville. Bientôt, le groupe fut pris dans le conflit. Les habitants fuyaient dans toutes les directions, dit Diop.
«J'ai appelé la Monusco ». Ils lui ont dit qu'ils ne pouvaient plus fournir une escorte au groupe. « Nous sommes tous dans le complexe, nous ne pouvons pas le quitter», a indiqué Diop. L'échec des 20 000 Casques bleus à empêcher un petit groupe de rebelles d'entrer dans la ville faisait écho à l'impuissance choisie des forces onusiennes pendant le génocide au Rwanda. Actuellement, le retrait des soldats de la paix des nations unies à la base et la décision de ne pas protéger la ville sont en train d'être examinés par les enquêteurs des Nations Unies.
« J'ai demandé: pourquoi vous ne nous évacuez pas? », raconte Diop. « Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas donner le signal que Goma était en train d'être évacuée. L'aéroport était fermé. Ils ont suggéré que nous nous rendions à la frontière du Rwanda. »
Les membres de la délégation de huit personnes, dont un caméraman congolais de Kinshasa, ont pris ce qu'ils pouvaient comme bagages et sont partis dans le chaos. Mais quand ils ont finalement atteint la frontière, ils ont été bloqués par les gardes-frontières de la RDC. Ils n'avaient pas de visas pour le Rwanda.
Après une impasse de plus en plus chargée de tension, Diop – qui avait un passeport diplomatique sénégalais – fut autorisé à traverser la frontière afin de négocier avec les autorités rwandaises. Elle reçu l'autorisation de téléphoner à Pro Femme, une organisation regroupant des groupes de femmes à Kigali, qui avait travaillé avec FAS sur la mise en œuvre de la Résolution 1325. Le groupe avait déjà été en contact avec le bureau de Genève de FAS, qui essayait de localiser Diop et le groupe.
Après de longues consultations entre les organisations internationales et les gardes-frontières rwandais, les huit membres du groupe furent autorisés à entrer au Rwanda, où Pro-Femmes organisa leur transport à Kigali. Pour l'un des membres du groupe, cependant, il y avait un autre problème à régler. Le caméraman congolais avait laissé son passeport à la maison – n'ayant pas prévu de quitter le pays. Il a fallu qu'il attende à Kigali que sa femme ait envoyé son passeport, afin qu'il puisse s'envoler vers Nairobi, au Kenya, puis revenir en RDC.
« Un océan de besoins »
Dans une déclaration au Conseil de sécurité des Nations Unies, Diop a rendu compte de son voyage et exhorté la communauté internationale à agir concernant les besoins les plus urgents des civils pris dans les combats. « Une réforme du secteur de la sécurité est nécessaire», a-t-elle déclaré au conseil. « Le niveau de sécurité est si mauvais, » dit-elle, « que vous ne savez pas par où commencer. » Mais elle cite l'exemple du Libéria, qui a été en guerre pendant deux décennies, où le viol avait également atteint des proportions dramatiques.
La formation des femmes comme agents de police, et leur déploiement dans les quartiers, a constitué une amélioration très importante de la sécurité des femmes, dit-elle, et le fait d'avoir un contingent de femmes indiennes dans la force de maintien de la paix au Liberia a également été utile.
En RDC, «L'aide humanitaire devrait venir dans les camps pour les personnes déplacées. Il doit y avoir une aide psychologique en faveur des femmes. »
Barbara Shenstone, coordinateur des secours d'urgence des Nations Unies pour la région, a déclaré à l'agence de presse IRIN que l'attention accordée à d'autres conflits ne l'est pas à la RDC, même si le nombre de personnes touchées dans l'Est est beaucoup plus important. D''après elle, l'appel à l'aide humanitaire est très loin de répondre aux besoins.
« Aujourd'hui, l'appel a permis de couvrir environ 60 pour cent du financement. La communauté humanitaire avait demandé 791 USD millions cette année. Il s'agit d'un pays immense – un océan de nécessité – et qui est considéré en quelque sorte comme une situation d'urgence perdue ou oubliée. Il n'a pas, pour de nombreux pays, le même poids, ou le même intérêt stratégique que d'autres pays qui ont connu de violents embrasements, tels que la Syrie ou l'Afghanistan. »
Ce qui hante Bineta Diop est qu'elle et son groupe pouvaient partir, tandis que d'autres ne le pouvaient pas. «Les populations avec lesquelles nous avons été pendant une semaine, elles sont là-bas. Les organisations de femmes sont là-bas. Elles n'ont pas le choix. » Et, a-t-elle ajouté, Elles n'ont pas le soutien qu'elles méritent.
«C'est une situation très dramatique. La communauté internationale doit trouver des solutions. Cela a assez duré. »