La crise qui sévit au nord Mali préoccupe tous les pays de la sous-région. L'intervention militaire impulsée par la France a certes soulagé les populations autochtones mais les conséquences risquent de compliquer davantage les choses pour les pays de la sous-région avec les djihadistes qui se sont évaporés dans la nature. Cheikh Tidiane Gadio, l'ex patron de la diplomatie sénégalaise fait une analyse de la situation avant d'émettre des suggestions devant permettre de prévenir tous ces foyers de tension qui menacent le continent africain.
Quelle lecture faites-vous de la situation de crise qui prévaut au Mali ?
La situation au Nord-Mali a évolué de façon très favorable pour les populations en général et pour le Mali. Il y a encore quelques semaines, on s'interrogeait sur le début des opérations pour libérer le nord-Mali. Il y avait une controverse entre certains experts des Nations Unies qui estimaient que ni la CEDEAO encore moins le Mali n'étaient prêts, et qu'il y avait beaucoup de préalables à satisfaire et à remplir avant de déclencher une opération.
Mais le bon Dieu n'était pas d'accord avec une telle analyse. Il a choisi d'accélérer les choses et les occupants djihadistes, ont pris une décision intéressante qui consistait à vouloir aller plus au Sud. Un pays ami, la France a décidé de prendre ses responsabilités et ça a quelque part accéléré les choses parce que les hostilités ont commencé. Les terroristes ont été repoussés dans leur retranchement. Ils font preuve d'une résistance extraordinaire mais ça ne surprend personne parce que la grande erreur qui a été commise c'est d'avoir accepté, au mois d'avril dernier, d'installer la crise malienne dans la durée.
On n'a jamais vu un État souverain brutalement attaqué par des occupants qui commencent à commettre des atrocités, à mutiler, à amputer les gens…Et la communauté internationale dit : « oui prenons d'abord le temps de comprendre cette crise ; il faut que la classe politique malienne nous organise des élections ; il faut qu'on rétablisse d'abord l'ordre constitutionnel ; c'est au sud que la reconquête du nord commence parce qu'il faut mettre de l'ordre au sud… ». On est entré dans des considérations qui, dans le principe, peuvent être justifiées. Mais, dans les faits ne tenaient pas compte du fait que des atrocités étaient commises au quotidien. Des violations très graves contre les droits humains et des crimes contre l'humanité étaient commises contre les populations de Gao, Tombouctou, Kidal et des zones occupées. En plus on a reçu un autre signale que : « plus on laissait durer cette crise, plus on allait créer une situation de dégâts irréversibles ».
C'est par exemple l'attaque systématique contre le patrimoine historique culturel et religieux de l'Afrique à travers la profanation des sanctuaires des Saints de Tombouctou. Ça nous fait tous mal parce que c'est comme un couteau qu'on glisse dans le cœur de beaucoup d'Africains.
La déclaration de certains dirigeants des Nations Unis étaient surprenantes. Ils étaient plus préoccupés par les conséquences d'une intervention militaire en parlant d'exode des populations, de tueries indistinctes, que les gens vont prendre des revanches sur les Touaregs… Ils sont entrés dans des considérations qui faisaient fi du fait que des atrocités étaient commises chaque jour. Là aussi je n'ai pas compris et quand un des envoyés spéciaux de l'ONU déclare que rien ne pourra être fait avant septembre. Est-ce qu'il réalisait qu'il disait aux djihadistes deux choses : « vous avez jusqu'à septembre. Si vous avez des choses à faire, comprenez qu'en septembre une opération pourrait être déclenchée. Donc les djihadistes ont été informés, comme la communauté internationale, de notre plan de travail et ils se sont préparés. C'est pour cela que la résistance est très farouche parce qu'ils s'y attendaient un peu. L'autre élément aussi que j'ai évoqué plusieurs fois c'est qu'une erreur d'analyse peut conduire à des désastres humains.
J'estime que la décision de la CEDEAO de considérer la crise malienne comme une crise interne à la CEDEAO était une erreur. La preuve c'est que cette crise n'est pas née dans la CEDEAO. Elle est née dans une zone de l'Afrique qui regroupe les trois communautés régionales que sont l'UMA du Maghreb arabe avec l'Algérie et la Mauritanie qui sont immédiatement interpelés. Ensuite, cette crise concerne une partie de l'Afrique de l'Ouest (le Mali, le Sénégal, le Burkina, le Niger…) Plus loin, vous avez toute la bande saharo-sahélienne avec ce qui s'est passé en Libye et l'arsenal libyen qui s'est perdue dans le désert aux mains de groupes terroristes. Ces gens se sont déversés sur toute la bande saharo-sahélienne y compris vers le Tchad, plus loin aux Shebabs de la Somalie. Donc voilà une crise qui, dès sa naissance, était une crise africaine. Moi j'aurais compris qu'on appelle immédiatement un sommet extraordinaire de l'Union Africaine ou qu'on appelle un sommet de la CEDEAO, élargi aux leaders de chaque communauté régionale pour avoir un mini-sommet continental sur le Mali.
Imaginons qu'en avril l'Afrique du Sud donne un ultimatum aux groupes terroristes, que l'Algérie soutienne cet ultimatum et s'implique, que l'Angola aussi élève la voix, que la Tanzanie et le Tchad fassent la même chose et tous ces pays viennent en renfort, des pays de la ligne de front que sont les pays de la CEDEAO et les pays de l'UMA (Union du Maghreb arabe, ndlr). Tous prennent le problème à bras le corps dès le mois d'avril où le mois de mai dernier, on en serait pas là.
Maintenant, je suis heureux que ce soit lancé, c'est parti. Je lance un appel à tous ceux qui veulent parler de bilan de la classe politique malienne, bilan des militaires maliens, quels sont leurs responsabilités, pour leur dire qu'on ne peut pas faire trop de choses en même temps. La priorité aujourd'hui c'est de régler la question du nord-Mali. Que le Mali recouvre son intégrité territoriale, que les occupants terroristes soient chassés du territoire et ensuite qu'on puisse sécuriser ce pays une bonne fois pour toute pour qu'on revienne après aux questions institutionnelles internes, une transition politique rapide, des élections libres et démocratiques, remise sur pieds des institutions… Tout cela est important mais ça ne peut pas être superposé à la mission actuelle qui est une mission sacrée de l'armée malienne soutenue par ses frères et sœurs du continent et par une puissance et amie comme la France. Il s'agit d'abord de restaurer l'intégrité territoriale du Mali.
Comment appréciez-vous l'intervention militaire française au moment où beaucoup d'intellectuels l'assimilent à de l'ingérence ?
Moi, je ne soutiens aucune critique contre l'intervention militaire française. Voilà pour une fois, une action posée par la France en Afrique qui est loin des polémiques sur la Françafrique, la puissance coloniale… Il faut que tous ceux qui critiquent l'intervention de la France, nous donnent une alternative crédible en nous disant que tel jour ou telle heure, quand les djihadistes marchaient sur Bamako, voilà ce qu'on aurait dû faire et ce qui aurait réglé le problème. A défaut de cette alternative que personne ne me dise que je suis contre l'intervention de la France. Ça frise un peu l'enfantillage pour dire les choses honnêtement. La France s'est sacrifiée en mettant ses enfants, ses soldats sur le terrain après avoir dit pendant longtemps qu'elle était prête à aider le Mali au plan logistique, au plan renseignement mais qu'elle ne pouvait pas engager des troupes sur le terrain. Et tout d'un coup la France accepte non seulement d'aider le Mali, mais d'engager des troupes et de ne pas faire qu'une guerre aérienne. Je crois que si on ne remercie pas la France qu'on s'abstienne de faire des critiques faciles. Ce n'est pas très décent.
Est-ce que la France n'est pas seule sur le terrain vue l'attitude des autres pays occidentaux?
Je trouve que c'est dommage que la France intervienne et que les autres ne viennent pas tout de suite dans les plus brefs délais pour que ce pays allié ne soit pas seul sur le terrain. Mais la France est une puissance militaire qui peut, en 24 heures, répondre à une demande comme celle du président Dioncounda Traoré et intervenir. Le Sénégal, je suis sûr, aime beaucoup le Mali, est solidaire avec ce pays mais il était peut être difficile à notre président (Macky Sall, ndlr), à nos leaders de prendre la décision dans les 24 h et de l'exécuter. On n'a pas cette logistique disponible. Le cœur y est mais la logistique ne suit pas.
Malgré cela j'aurais suggéré que le Sénégal, le Burkina, la Côte d'ivoire, la Guinée, le Togo, le Nigéria…symboliquement ne laissent pas la France pendant tout une semaine, seule sur le terrain. Même s'ils envoyaient 50 ou 60 hommes, comme ça était fait finalement. Il fallait faire quelque chose parce que c'était extrêmement gênant que l'Angleterre, les États-Unis et autres aient encouragés la France sans vraiment intervenir et d'un autre côté que les Africains donnent l'impression de trainer les pieds. Je pense que c'est une impression mais je sais que dans leurs cœurs ils étaient pressés de venir au Mali et d'en découdre avec les occupants terroristes.
Est-ce qu'il n'est pas temps que les pays africains mettent en place un mécanisme de veille pour faire face à de pareille situation ?
Il existe ce mécanisme mais le problème c'est qu'il n'est pas opérationnel. L'Union africaine a un mécanisme comme ça, la CEDEAO aussi. Je pense qu'il faut accélérer l'unité politique de ce continent.
En 2004-2005 il y avait deux millions de jeunes africains sous les drapeaux. On a besoin de 10 mille soldats au Mali et c'est tout un problème. Au Darfour, on avait besoin de 20 mille hommes, ça a pris plus de cinq à six ans, on arrivait toujours pas à réunir ce nombre. Donc il faut dire que l'Afrique a un sérieux problème pour mobiliser rapidement des forces militaires, les faire monter en puissance rapidement et exécuter des missions ou des missions de prévention, de mécanismes d'alerte précoce.
Théoriquement, on a les forces militaires en attente donc on a une sorte de dispositif qui permet dans chaque armée d'avoir quelques soldats qui sont pré positionnés pour aller en mission très rapidement dans les 24 à 48 heures. Mais c'est théorique parce que quand le problème se pose après ça prend neuf mois pour pouvoir envoyer des soldats sur le terrain.
L'Afrique doit réfléchir sur ce qui nous arrive. Pourquoi tous ces conflits ? Pourquoi tous ces coups d'état qui reviennent ? Pourquoi ces nouvelles menaces comme les terroristes, les narco trafiquants ? Tout le monde sait que la Guinée-Bissau est prise en otage par les narcotrafiquants. Tout le monde sait que les occupants terroristes voulaient libérer une partie du Mali et en faire leur sanctuaire pour mener leurs autres combats contre le Sénégal, contre la Mauritanie… Donc, il est urgent que l'Afrique sache que c'est devenu une question centrale. C'est la raison pour laquelle on a mis en place l'Institut Panafricain de stratégie (Paix, Sécurité et Gouvernance). On pense que la gouvernance, aujourd'hui, doit fusionner du point de vue de la démarche avec les problèmes de paix et de sécurité car c'est indissociable.
En plus il nous faut des think tank de réflexion stratégique. Il ne faut pas que les Africains gèrent au quotidien des crises. Quand on trouve une solution c'est comme si on rentrait à la maison pour attendre la crise suivante. Quand est ce qu'on sera prêt pour avoir une vision globale de où est ce que nous voulons mener l'Afrique ? Sur la question de l'unité politique, l'unité continentale, sur la question de la défense commune, sur la question de la diplomatie commune, du commerce extérieur commun, de la politique extérieure commune, la question des infrastructures continentales, des routes, des ponts, des aéroports, des chemins de fer…Il y a tellement de choses à faire et il y a tellement de potentiels.
Avec un milliard d'habitants, plus du tiers des ressources naturelles du monde et une jeunesse extraordinaire. Quand le reste du monde vieilli, l'Afrique rajeunie. On a plus de 500 millions de jeunes qui sont prêts à mettre leur énergie comme des forces vives à bâtir l'Afrique. Donc qu'est ce qui nous reste ? C'est pour cela qu'il est urgent de remettre de l'ordre dans ce continent et de se mettre au travail.
Vu ce qui se passe en RDC, en Centrafrique avec des groupes rebelles qui dictent leur loi et imposent des points à discuter à la table des négociations. Est-ce que l'intégrité territoriale de nos pays n'est pas menacée ?
On a hérité de pays issus du découpage colonial et il y a énormément de problèmes. La paix et la sécurité sont devenues des questions essentielles. Vous avez de vieux conflits comme la RDC qui durent depuis plus de 50 ans. Vous avez des crises comme en Somalie où on avait complétement détruit le pays et l'État. Vous avez la crise du Soudan qui malheureusement a abouti à la partition du Soudan en deux pays. Vous avez la crise du Mali qui est très sévère… Donc l'Afrique a son lot de crises un peu partout sur le continent.
Maintenant, ce qui s'est passé en République Centrafricaine pose le problème dans les deux sens. Quand un chef d'État prend des engagements dans un accord de paix avec sa rébellion, il est important de les tenir. S'il ne le fait pas aussi et que les rebelles veuillent se rappeler à son bon souvenir en montant une opération comme ça, ce qui créé un précédent en Afrique. Dans certains pays on pense que si vous voulez changer un gouvernement, si vous voulez avoir des ministres, il faut prendre les armes et après on vous appelle à une table de négociation. Après on se retrouve dans des situations tout à fait incongru où rebelles et gouvernements sont tous assis ensemble pour parler.
Certains vous diront que si le pouvoir concerné était légalement élu et légitime, on le soutien intégralement et on combat les rebelles. Mais si le pouvoir a eu une élection difficile et contestée, si les rebelles rappellent à la communauté internationale des engagements non pris, on se retrouve dans une situation assez difficile. Mais il ne faut pas que ce soit un précédent et une méthode de résolution des crises en Afrique.
Par exemple, au Sénégal on a eu une crise politique, on s'est battu. Pendant un an tout le monde était dans la rue mais personne n'a pensé prendre les armes. Toute personne qui aurait pensé à ça se serait retrouvé complétement isolée et même combattue par les Sénégalais. Il nous semble qu'il est possible de déboulonner un régime en utilisant des moyens pacifiques. Je pense qu'il faudrait que les autres pays d'Afrique apprennent de cette expérience et que la culture de la violence, la culture de la rébellion, de viol, de gens violentés et mutilés disparaisse.
Quand j'ai appris récemment qu'en RDC 40 mille femmes ont été violées, je vous jure que j'ai été meurtri. Vous vous rendez-compte que c'est la population d'une petite ville ça. Et quand vous voyez ces femmes africaines marcher sur les routes de l'exil avec un enfant sur le bras et tout ce qu'ils ont pu sauver sur la tête ; quand vous regardez leur visage vous vous rendez compte qu'on a un problème. Il faut que les Africains se réveillent. Il est temps de construire l'Afrique et non de la détruire. On ne peut pas continuer à accuser les Français, à accuser le système colonial ou le passé… Continuer à accuser l'extérieur c'est vraiment sous-traiter sa propre responsabilité. Ça nous déresponsabilise et ça nous infantilise aussi. Il faut qu'on comprenne que les problèmes de l'Afrique seront gérés par les Africains qui doivent prendre toute leur responsabilité.
L'Afrique et nos pays sont plus grands que chacun d'entre nous pris individuellement ainsi que nos petites ambitions d'être président, ministre ou tout ce que l'on veut. Les hommes passent mais l'Afrique est là, nos pays, nos Etats et les pauvres populations.
Je pense qu'il est urgent de régler la crise du Congo particulièrement. Pour moi le Congo c'est toute la souffrance et la tragédie de l'Afrique depuis l'indépendance. Mais aussi c'est tout l'espoir de l'Afrique parce que c'est le coffre-fort du monde. Quelqu'un disait que « c'est le coffre-fort du monde mais les Africains n'ont pas la clé ». Donc il faut absolument qu'on se réveille. Le Congo peut être au cœur de la renaissance africaine si on arrive à ramener la paix, la sécurité, la stabilité et la réconciliation nationale.