La tenue du procès de Hissène Habré au Sénégal se précise. Les chambres africaines extraordinaires chargées de juger l'ex chef d'Etat tchadien ont été installées le vendredi 8 février 2013 à Dakar. Un acte qui soulage les quarante mille victimes qui, jusque-là, n'ont pas baissé les bras. Me Assane Dioma Ndiaye, Président de la Ligue Sénégalaises des Droits de l'Homme et avocat des victimes tchadiennes décortique cette situation et liste les attentes sur ce dossier.
Comment appréciez-vous l'installation récente des chambres africaines extraordinaires chargées de juger Hissène Habré ?
C'est un soulagement au terme d'un combat long, épique, qui a été marqué par beaucoup de revirements et d'incertitudes. Mais il y'a la satisfaction d'avoir vu le bout du tunnel et au moins d'être assuré que nous sommes dans un processus irréversible vers ce procès. Le deuxième sentiment est relatif à la fierté d'être africain et de constater qu'aujourd'hui l'Afrique commence à comprendre les enjeux et défis de ce nouveau monde. Cette même Afrique se départit lentement mais inlassablement de cette étiquette de terre de prédilection de l'impunité. Aujourd'hui, le message que l'Afrique lance à la face du monde c'est que le continent ne pourra plus cautionner un certain nombre de pratiques. Qu'au nom de la conservation ou de la conquête du pouvoir, que des dirigeants ou des groupes organisés puissent commettre autant de cruautés, autant de barbaries. A partir de ce procès aucun dirigeant ne pourra s'exonérer ni de par l'espace, ni de par le temps. Ce procès arrive pour quelqu'un qui, depuis plus de 30 ans, pensait s'être dissimulé dans l'espace. Il est important de savoir que le rôle fondamental de la justice pénale est de faire en sorte que nul ne puisse échapper ni au temps, ni à l'espace. Je crois que c'était important d'avoir ce résultat aujourd'hui.
Quelles sont les garanties que vous avez obtenues compte tenu des revirements notés dans le passé ?
Je pense qu'il y a d'abord cette volonté politique qui a été exprimée par les autorités sénégalaises. Mais l'acte fondateur a été sans doute l'accord conclu entre l'Union Africaine et le Sénégal. A partir de ce moment, le Sénégal s'engageait à mettre en œuvre la forme de ce tribunal ad hoc et l'Union Africaine a conçu le plan qu'elle a soumis aux autorités sénégalaises qui n'ont pas hésité à signer. Dès lors que cet acte a été scellé, je pense que nous étions dans la dynamique irréversible de ce procès. S'en est suivi un certain nombre de dispositions avec la proposition faite récemment par le Conseil Supérieur de la Magistrature pour la nomination de Magistrats sénégalais. L'Union Africaine a procédé à cette nomination et aujourd'hui, comme l'a dit le Procureur Général, c'est le dernier acte politique que l'on pose. C'est un acte de gouvernement. Maintenant, la procédure judiciaire va s'enclencher et commencera par les réquisitoires de M. le Procureur Général. Notre plus grande attente maintenant c'est que ce réquisitoire tombe.
En réalité, ce procès ne démarrera que lorsqu'il y'aura ce réquisitoire qui demandera à la Commission d'instruction d'ouvrir une information contre personne dénommée pour des crimes bien circonscrits. C'est notre plus grande attente au-delà de l'installation des chambres spéciales africaines.
Est-ce que vous avez une idée de la date du début et du temps de déroulement de ce procès ?
Nous avons cru comprendre que le Procureur Général se rendrait au Tchad et en Belgique, qui constituent les deux grandes sources d'informations, pour avoir des bases raisonnables de poursuites. Notre souhait, évidemment, nous l'exprimerons sous peu, c'est que si cela doit constituer un préalable, que le Procureur puisse se rendre très rapidement au niveau de ces pays pour rassembler le maximum d'informations qui pourront lui permettre de dresser ce réquisitoire contre personne dénommée et par rapport à des faits précis.
Dans tous les cas, depuis plus de 20 ans, nous avons mis à la disposition des autorités sénégalaises et de l'Union Africaine des documents qui attestent de façon irréfutable d'un certain nombre de faits. Maintenant, dans cette démarche, si le Procureur estime devoir se rendre dans ces deux pays, ce que nous pouvons simplement souhaiter c'est que cela se fasse rapidement pour que le procès puisse démarrer véritablement.
Certains Tchadiens ont exprimé leurs craintes suite à des actes de dissimulation de preuves qui seraient en train d'être menées. Est-ce que cela ne va pas poser de problèmes dans la recherche d'indices?
Je pense que ça c'est le lot à chaque fois qu'il y a un écart entre des faits et la tenue d'un procès. Chaque fois qu'un temps aussi long intervient, il y a forcément des probabilités de dissimulation ou de dissipations de preuves et de disparition même de victimes. Nous avons connu énormément de pertes en vie au niveau des victimes, mais le plus important c'est que ce procès se tienne. Il y'aura certainement beaucoup de problèmes mais nous avons gardé l'essentiel des archives au niveau du Tchad. Il y a la Commission d'enquête qui a été mise en place par les autorités après le départ de M. Hissène Habré. Mais pour l'essentiel, nous avons des éléments qui sont à notre disposition, qui sont à la disposition du Procureur Général et de l'Union Africaine.
Idriss Déby, l'actuel président de la République du Tchad, est souvent cité dans cette affaire. Ne pensez-vous pas qu'il y'aurait des blocages par rapport à son statut de chef d'Etat ?
Je pense que le Procureur Général a dit une chose extrêmement importante : « Aucune personne visée par le réquisitoire ne pourra se prévaloir de son rang ou de sa qualité ». Cela est clairement dit au niveau des statuts. Il n'y a pas d'exonération du fait de fonction officielle. Il n'y a pas d'immunité et ça c'est le propre des juridictions pénales internationales qui excluent toute immunité quant à une responsabilité éventuelle. Maintenant, il reste qu'il faut savoir que la justice pénale internationale vise la responsabilité la plus haute et pendant cette période qui est concernée de 1982 à 1990, il est indéniable que le plus grand responsable était M. Hissène Habré qui était le chef d'Etat. Il y a eu des exécutants et des subalternes. Nous laissons l'appréciation à M. le Procureur Spécial mais déjà le fait que M. Hissène Habré soit visé serait une grande satisfaction pour les victimes. En aucun cas, s'il y a une responsabilité, la plus grande, elle revient indubitablement à M. Hissène Habré. Maintenant, c'est une procédure ouverte ; c'est des faits qui sont portés dans les statuts et il appartiendra au Procureur Général de viser des personnes nommées.
Est-ce que vous pouvez nous rappeler le nombre de victimes concernés par cette affaire ?
Déjà le rapport de la Commission d'enquête avait abouti à quarante mille victimes. Il est évident que nous ne pouvons pas faire venir toutes ces personnes, ni se constituer partie civile pour elles. La constitution de partie civile est basée sur le volontariat. Il appartient aux victimes qui veulent participer au procès de se manifester. En ce qui nous concerne, nous avons pu rassembler plus d'un millier de victimes dont nous déposerons les dossiers au niveau des autorités judiciaires compétentes. Mais il est acquis, aujourd'hui, que ce chiffre tourne autour de quarante mille.