Dakar a été les 7 et 8 avril 2013 la capitale des pays de la zone franc. La soixantaine d'années d'existence de la monnaie qui lie la France aux 15 États africains ont été passées au peigne fin. Une occasion de tirer un bilan et définir les perspectives dans le contexte actuel de crise économique.
Deuxième dévaluation du franc Cfa, fixité du taux de change, arrimage du franc Cfa à l'Euro, retard dans les investissements, niveau de développement dans les pays africains membres de la zone franc… Le débat a encore refait surface sur toutes ces questions lors de la réunion de deux jours des ministres de la zone franc qui a pris fin le lundi 8 avril 2013 à Dakar.
Journalistes, universitaires, experts des institutions membres de la zone franc et autres observateurs ont saisi l'opportunité offerte pour revisiter le partenariat entre la France et quinze pays africain. Un compagnonnage que certains aimeraient replacer dans le contexte de crise actuel.
Aux yeux des ministres des finances de la zone franc, par la voix de leur homologue sénégalais, cinquante ans après l'accession à l'indépendance des pays africains, le bilan des avantages et des contraintes qu'implique l'appartenance à la zone franc pour les États qui la composent est largement positif.
Un compagnonnage ancien, au bilan mitigé
Le bilan positif tiré par les ministres des finances de la zone franc n'agrée pas beaucoup d'observateurs, vue les maux qui frappent le continent et qui ont pour noms : la persistance de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire, le manque d'infrastructures de qualité, le déficit énergétique, la faible diversification des économies, le chômage des jeunes et la précarité. A cela s'ajoutent la lancinante question du déficit de financement des économies, les risques d'instabilité financière et la faiblesse des échanges intra régionaux. Sans compter la nécessaire restauration d'un climat de paix et de stabilité politique.
Dans ce même sillage, le Premier ministre du Sénégal, M. Abdoul Mbaye a rappelé que l'activité économique dans les pays de la zone franc reste encore insuffisamment financée et que les financements octroyés ne vont pas toujours aux secteurs porteurs de croissance. C'est le cas de l'Uemoa où la contribution du secteur bancaire au financement de l'économie n'atteint pas 20% actuellement, alors qu'il dépasse 34% au Nigéria, 77% au Maroc et 145% en Afrique du Sud. A cela s'ajoute le coût du crédit qui reste anormalement élevé.
Un état de fait qui amène certains observateurs à réclamer une reconsidération des fondements de la zone franc ou un besoin de rediriger les choix de politiques économiques et monétaire afin de dissiper les nuages qu'ils entrevoient sur l'avenir de la zone franc. Un appel sous-tendu par un constat « amer » du niveau consistant des réserves déposées au niveau de la Banque de France pour garantir les monnaies africaines arrimées à l'Euro. L'Union européenne est de moins en moins compétitive. Un élément qui fait dire à certains qu'il est inconcevable que les pays africains de la zone franc soient happés par la spirale inflationniste en cours en Europe.
Dans cette démarche interpellatrice, le Pr Abdoulaye Diagne, Directeur Exécutif du Consortium pour la recherche économique et sociale (CRES) plaide pour un changement de régime de change avec plus de flexibilité. Pour lui, adopter un taux de change flexible donnerait le moyen à la Banque Centrale de fixer un taux de change en fonction de la situation qui prévaut sur le marché. Une option qui permettrait à chaque économie des pays membres de devenir plus compétitive. « Nous vivons dans un environnement où toutes les monnaies bougent et nous n'avons aucun intérêt à avoir un taux de change fixe avec l'Euro. Si on veut la stabilité monétaire dans un contexte de flexibilité, on peut y arriver. Il y a des notions de gestion de la monnaie qui nous permettent d'y arriver ». Pour M. Diagne, c'est le changement fondamental à opérer pour faciliter la transition vers une monnaie commune en Afrique l'Ouest.
Dans sa logique, comme beaucoup d'observateurs, il explique qu'après la dévaluation du franc Cfa de 1994, tous les pays africains de la zone franc ont connu une relance de leur économie. « Un taux de croissance de 5% sur à peu près 10 ans, le Sénégal, par exemple, ne l'a connu qu'après la dévaluation. Parfois on a besoin d'avoir ce correctif du taux de change pour restaurer une compétitivité perdue ».
De la sérénité malgré les craintes
Malgré ce climat de crainte et de méfiance, les autorités de la zone franc affichent la sérénité. Ils estiment qu'avec l'appartenance à la zone franc, le franc Cfa bénéficie d'une assurance de stabilité et de sécurité, qui constituent des éléments favorables aux investissements étrangers. Ils annoncent que les perspectives sont favorables dans l'ensemble des pays membres de la Zone franc avec "une accélération de la croissance" et "la poursuite de la consolidation budgétaire des États".
Une embelli affichée qui a suscité quelques invites qui se résument, entre autres, à l'adoption d'une démarche concertée, entreprendre les réformes destinées au renforcement de la gouvernance dans les affaires publiques et privées, à l'amélioration de l'environnement des affaires, à l'accroissement de la mobilisation de l'épargne interne et des ressources extérieures, à la diversification de l'offre de services financiers. Dans cette même veine, le Premier ministre du Sénégal appelle ce conglomérat de décideurs à « presser le pas » pour achever la mise en place d'instruments modernes reconnus pour leur efficacité à promouvoir le financement sains des économies.
Il a aussi rappelé les réformes déjà identifiées par le Conseil des ministres de l'Uemoa en 2012 qui sont, entre autres, la réduction de l'asymétrie d'information sur les marchés avec la mise en place de bureaux d'information sur le crédit, la mise en œuvre d'une fiscalité plus incitative et mieux harmonisée au sein des unions monétaires, la mise en place de structures efficaces d'appui et d'encadrement des PME/PMI et du secteur agricole.
Convergence, intégration régionale et gestion des participations publiques comme leviers de relance
Face à ces nouveaux défis, les ministres de la zone franc comptent mettre l'accent sur le triptyque convergence, intégration régionale et gestion des participations publiques. Le ministre de l'économie et des finances de la France, Pierre Moscovici a souligné que depuis 1994, beaucoup d'avancées ont été accomplies mais l'intégration régionale est un chantier permanent. A son avis, « l'intégration régionale peut représenter un potentiel de croissance de 2% » avant d'aviser qu'un groupe de travail présidé par la Commission de l'Uemoa a été mis en place et accordera une priorité particulière aux infrastructures. Ceci compte tenu du besoin d'infrastructure évident en Afrique notamment dans les pays de la zone franc. « Il y a des liquidités disponibles, il faut faire rejoindre les besoins et les disponibilités », a souligné M. Moscovici.
A cela s'ajoute la gestion des participations publiques qui, selon lui, peut être un levier très utile au développement économique des pays de la zone franc. Autant de questions dont la réflexion va continuer en attendant la prochaine réunion des ministres des finances de la zone franc prévue le 03 octobre 2013 à Paris.