Quelles sont les caractéristiques qui classent un pays dans le cercle des Etats-Fragiles ? Un Etat fragile par rapport à quoi ? Ce sont entre autres questions auxquelles experts du développement et acteurs ont invité la Banque africaine de développement (Bad) à une réflexion lors d'un atelier régional, les 30 et 31 janvier 2014 à Dakar.
Malgré la définition que chaque organisme colle à ce concept, l'« Etat fragile » ne semble pas agréer beaucoup de pays africains. Même s'ils acceptent d'être soutenus, les pays du continent qui sont souvent logés dans ce lot veulent être édifiés de l'état de leur fragilité.
Fragilité par rapport à des facteurs exogènes comme les cours mondiaux du pétrole, fréquences des crises politiques ou alimentaires, niveau de pauvreté…Autant de caractéristiques qu'autorités nationales et décideurs politiques provenant des pays de la sous-région, ainsi que des représentants de partenaires techniques et financiers veulent que la Banque considère dans ses politiques et activités à mettre en œuvre au niveau de l'accompagnement des pays bénéficiaires.
Durant ces assises de Dakar, il a été souligné que la stabilité socio-politique est fondamentale et qu'il est réducteur de se focaliser sur la question de création de richesses sans se pencher sur les causes de la fragilité. D'autre part, des acteurs de développement ont souligné que le problème de gouvernance et de leadership se pose à travers la définition d'Etat fragile.
Selon le secrétaire général du ministère de l'économie et des finances du Sénégal, M. Ngouda Kane Fall, l'Afrique est le continent du futur et une réserve de croissance dans le monde mais la fragilité reste un défi majeur. A son avis, il ne tient qu'aux Africains de relever les défis du futur et d'offrir aux générations futures un meilleur environnement.
Face à cette kyrielle d'interpellations, la Bad qui se veut un peu plus rassurante a démontré l'importance du concept dans les politiques de développement. Lors de la table ronde consacrée à la thématique, M. Samer Haches du département de l'assistance des Etats fragiles à la Bad a souligné qu'avant, la banque parlait de pays qui sortait de conflit. Pour montrer l'évolution actuelle du concept, il a brandi l'exemple de la Tunisie, pays mieux nanti que beaucoup d'autres en Afrique, mais dont la fragilité a été mise à nu après un soulèvement des mouvements sociaux.
Presque tous fragiles en Afrique de l'Ouest et du Centre ?
Après un tour d'horizon, les représentants de l'Unicef ont mis le doigt sur l'évolution de la notion d’État fragile vers celle de Nation en situation de fragilité. Selon eux, « en Afrique de l'Ouest et du Centre presque tous les États sont en situation de fragilité ». La fragilité est en train de se régionaliser à cause de l'aspect voisinage.
La Bad attire l'attention sur le fait que, généralement, dans les États fragiles, il est noté l'absence de bons systèmes de suivi et d'évaluation mais aussi de données statistiques fiables.
Sur cette même lancée, il est indiqué qu'aucune stratégie ne peut être entretenue pour les pays sensibles sans cerner les causes. C'est dans ce sens que la communauté des bailleurs s'était constituée en 2011 au Tchad pour aborder ensemble le développement de ce pays. Il a été jugé nécessaire de délimiter les zones à risque mais aussi d'inviter la société civile tchadienne dans l'évaluation et le suivi des projets et programmes en instaurant un dialogue et développant une approche communautaire.
Les acteurs sont également appelés à militer pour la promotion de la transparence et de la bonne gouvernance.
Dans cette dynamique, le représentant résident de la Bad au Togo, M. Serge N'Guessan, a fait état de son pays d'accueil qui, de 2000 à 2005, a connu un coup d'arrêt avec un niveau de détérioration et de délabrement très avancé. Ce pays qui, dans les années 90, constituait l'eldorado de l'Afrique de l'Ouest, a croulé sous le poids d'une crise socio-politique avec des relations très polluées entre les politiciens et la société togolaise.
Devant cette situation, les services de la Bad dans ce pays, appellent à une réconciliation des acteurs. Ils invitent les autorités à instaurer dans leur démarche la gestion axée sur les résultats, sur les projets et programmes de développement, à accélérer les réformes surtout celles « sensibles » et ayant des impacts politiques. A cela, s'ajoutent la cohérence des politiques publiques et la diversification de l'économie.
Un leadership pour faire face au phénomène de fragilité
Au terme de cette radioscopie, les gouvernants africains sont priés de développer un leadership nécessaire pour faire face au phénomène de la fragilité. En plus d'un engagement politique, les autorités doivent imprimer de la sincérité dans leurs actions et faire de sorte que les principes d'évaluation ne soient pas manipulés par les politiciens pour des soucis de rente et de continuer à rester aux affaires.
Pour rappel, la Bad vient d'approuver sa nouvelle stratégie à dix ans 2013-2023 dont les deux objectifs stratégiques sont la croissance inclusive et la transition vers une croissance verte. La stratégie à dix ans propose cinq priorités opérationnelles notamment le développement des infrastructures, l'intégration régionale, le développement du secteur privé, la gouvernance et les compétences. Elle met également en exergue trois domaines d'intérêt particulier des états fragiles, l'agriculture, la sécurité alimentaire, et le genre.
Selon la banque, il est important, pour guider la mise en œuvre de cette stratégie, de poser un regard rétrospectif sur ce qui a marché et ce qui a moins bien fonctionné au niveau de ces axes d'intervention stratégiques. Dans ce contexte, les récentes évaluations conduites par le département de l'évaluation de la Bad permettent d'éclairer les actions passées de la Banque.
En plus de la question sur la fragilité des États, l'opportunité a été offerte, lors de l'atelier de Dakar, de partager et discuter des résultats et recommandations des évaluations récentes, dans des domaines stratégiques importants pour la région comme l'eau et assainissement, les infrastructures, l’intégration régionale, le secteur privé. Les questions sectorielles critiques identifiées devraient servir à la Banque et ses partenaires dans la formulation des futures stratégies et politiques, en partant d'un diagnostic rigoureux des causes des succès et des échecs du passé. Des voies et moyens d'amélioration de la conception, la mise en œuvre, ainsi que le suivi et évaluation des projets dans le futur ont été esquissés. Ce qui devrait aider à mettre en lumière les meilleures stratégies et pratiques de partenariats avec les gouvernements et autres parties prenantes.