Le secteur privé à la rescousse de l'intégration régionale en Afrique du Nord

26 Mars 2014
communiqué de presse

Qui a dit le secteur privé ne se sent pas concerné par l'intégration régionale ?

Tout prouve, au contraire, que les acteurs qui animent ce secteur se sentent de plus en plus interpelés par les enjeux économiques, politiques et sociaux du processus d'intégration, surtout dans la région d'Afrique du Nord, caractérisée aujourd'hui par des transitions politiques difficiles nées du Printemps arabe, la stagnation des économies de ses pays membres, la porosité des frontières et l'amplification des risques sécuritaires .

La conjugaison de tous ces facteurs entraine des effets négatifs sur la croissance, les exportations, les investissements et l'emploi. C'est la raison pour laquelle les acteurs du secteur privé sont entrain de se mobiliser pour donner un nouvel élan à l'intégration régionale, perçue désormais comme un objectif stratégique cardinal, au vu des enjeux socioéconomiques et politiques qu'elle comporte pour l'avenir de la région toute entière.

En effet, l'intégration régionale continue de représenter pour les pays d'Afrique du Nord aussi bien une opportunité à saisir qu'un défi à relever, d'où le dilemme pour les dirigeants de la région qui ont du mal à atteindre de manière pérenne les objectifs du processus d'intégration dans lequel leurs pays se sont engagés à l'orée des années quatre vingt dix. Les ressorts de cette intégration sont principalement : l'édification d'un marché commun, la convergence des politiques macro-économiques, la mise en oeuvre harmonisée des politiques sectorielles et le renforcement des relations de bon voisinage, de paix et de sécurité dans la région.

L'UMA, un processus d'intégration à activer

Prenons le cas de l'Union du Maghreb Arabe (UMA), cette instance régionale qui regroupe l'Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie et qui vient de fêter ses 25 ans d'existence. Malgré la prise de conscience des peuples de la région qui ne cessent de l'appeler de tous leurs voeux, malgré les efforts des gouvernements successifs des pays qui en sont membres, l'UMA semble encore un objectif lointain, une cible filante presque, car sa concrétisation dans les faits continue de buter sur de multiples obstacles d'ordre politique, géopolitique et administratifs. Parmi les difficultés d'ordre pratique qui entravent un progrès réel dans ce sens : la complexité des procédures, les doubles barrières douanières, la faible ouverture aux systèmes d'investissement étranger, la lente réforme des systèmes de fiscalité et l'insuffisance des infrastructures.

Représentant pourtant un marché de quelque 90.000 millions d'habitants, l'UMA a un très bas niveau d'échanges commerciaux tel que le montre cet indicateur répété à l'envie : le commerce intra-maghrébin ne représente que 3% des échanges globaux de ces pays, ce qui représente le taux d'intégration le plus faible au monde. Selon des chiffres officiels, aucun des cinq pays ne compte un de ses voisins maghrébins comme partenaire commercial majeur !

Par ailleurs, depuis la création de l'UMA en 1989, trente sept accords ont été signés, mais rares sont ceux qui ont été concrétisés. Depuis 2005, plusieurs sommets ont voulu réactiver l'idée de l'UMA, mais ce n'est que lors de la 5eme Conférence sur l'intégration économique maghrébine, tenue le 8 janvier 2013 à Nouakchott, que la Banque maghrébine d'investissement et de commerce extérieur (BMICE) a pu entrer en activité.

Cette non-intégration a un coût élevé qu'il n'est pas difficile de calculer et se traduit aujourd'hui par un paysage économique plutôt morose, des économies fragmentées et un potentiel de croissance largement sous exploité. Pourtant, une intégration plus poussée des pays du Maghreb, associée à un régionalisme ouvert, pourrait entrainer une augmentation du produit intérieur brut de 50 pour cent en dix ans. Elle pourrait aussi créer pour chaque pays entre 2% et 3% de PIB supplémentaire par an, comme l'a affirmé récemment Christine Lagarde, Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), en se basant sur des études faites par ce dernier.

L'audacieux pari du secteur privé sur l'intégration régionale

Ce potentiel pousse quand même à l'optimisme et incite à l'action, d'autant plus que la progression dolente du processus d'intégration en Afrique du Nord est de plus en plus décriée par tous les acteurs politiques et économiques, surtout depuis le sursaut du printemps arabe en 2011. Parmi ces acteurs, le secteur privé qui commence à devenir plus « entreprenant », et en qui beaucoup voient aujourd'hui un moteur principal de l'intégration économique régionale, capable d'accélérer la croissance, relever le défi de l'innovation, de la réduction du chômage et du développement des échanges.

Sommes nous donc entrain d'assister à l'entrée en scène d'un nouvel acteur, qui, lassé d'attendre que les politiques de la région mettent en oeuvre l'intégration régionale, a décidé d'en relancer le processus à sa manière ? Le secteur privé maghrébin est-il assez développé pour prendre ainsi les devants ? La réponse est oui, puisque le secteur privé est entrain d'élargir son espace d'initiatives et de prérogatives dans la région. C'est dans cette perspective que se sont inscrites quelques initiatives récentes du secteur privé nord-africain, dont :

- Une table ronde organisée en Tunisie en février 2013 par le Maghreb Economic Forum sur le thème « L'intégration maghrébine : un moteur pour la création d'emplois ? » qui a souligné qu'il n'y avait aucune raison objective pour que le Maghreb reste désuni, tant il se distingue par de nombreux facteurs rassembleurs plus importants que ceux qui pourraient différencier ses peuples . La réunion a aussi identifié les grandes pistes d'action commune - donc intégrante - qui existent dans maints domaines comme l'énergie, le transport et l'interconnexion des systèmes financiers, et qui offrent des opportunités réelles pour l'accélération de coopérations sectorielles pouvant conduire à un maillage progressif des économies maghrébines.

- Une table ronde tenue en partenariat avec la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique en octobre 2013 sur le thème « Intégration financière et coopérations fonctionnelles en Afrique du Nord : le rôle des acteurs privés ». À cette occasion, les participants ont convenu que l'intégration financière représentait l'un des paramètres structurants du projet de marché régional car elle peut dynamiser les échanges commerciaux et promouvoir les investissements intra-Afrique du Nord. La table ronde a ainsi recommandé entre autres actions à entreprendre la création d'un fonds régional de soutien à la PME et la mise en place d'une plateforme d'information et d'échanges sur la région, en partenariat avec les organisations patronales. Une autre recommandation à l'adresse de l'Union Maghrébine des Banques et l'Union Maghrébine des Employeurs porte sur la nécessité de former un lobby d'influence auprès des décideurs, afin de les aider à formuler et concrétiser dans les faits des politiques adéquates pour promouvoir et accélérer l'intégration financière.

- Le troisième Forum des Entrepreneurs Maghrébins tenu à Marrakech les 17 et 18 février 2014 auquel la CEA a aussi participé dont le thème - et l'objectif- était justement de «relancer l'intégration économique de l'UMA à travers une initiative du secteur privé ». Le Forum a réaffirmé la volonté des patronats maghrébins à s'investir davantage dans le débat sur l'intégration régionale et contribuer de manière plus concrète aux actions destinées à la promouvoir. Le Forum a pris acte de la signature d'un Protocole d'entente entre l'Union Maghrébine des Employeurs et l'Union Maghrébine des Banques visant à mener ensemble cette action, et adopté une feuille de route relative à « l'Initiative Maghrébine pour le Commerce et l'Investissement ».

Au cours des débats, le modèle de l'Asean a souvent été cité en exemple en tant que modèle pouvant inspirer les pays de l'UMA. Comme l'a expliqué David Laborde, Chercheur à l'International Food Policiy Research Institute, contrairement à l'Union européenne, le processus d'intégration au niveau de l'ASEAN s'est fait par le bas. Le secteur privé y est en avance par rapport aux gouvernements qui essaient de le rattraper et de répondre à ses besoins.

Ce modèle est -il envisageable dans notre région ?

Quoiqu'il en soit, une remise à niveau diligente et bien structurée du processus d'intégration en Afrique du Nord n'est plus un choix. Elle est aujourd'hui une nécessité pour réussir le pari de la transformation structurelle qui s'impose à la région, si celle-ci veut se construire en bloc économique puissant, à l'instar des pôles de croissance d'Europe, d'Amérique et d'Asie. Le secteur privé est assez bien outillé pour être l'un des piliers de cet ambitieux projet et y jouer le rôle qui lui revient de droit et de fait, mais comment assurer la convergence sur la durée entre la détermination du privé et la volonté du politique ? C'est là toute la question.

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