Le secteur bancaire ouest africain respire la forme. La Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Bceao) maintient ses taux directeurs à un niveau jugé satisfaisant mais le coût de la location de l'argent est toujours élevé auprès des consommateurs. Une problématique qu'Abdoulaye Bio Tchané a minutieusement décortiqué pour nous. Ancien cadre à la Bceao, à l'Uemoa, à la Boad et au Fmi, ancien ministre de l'Economie et des Finances du Bénin et actuel président du Cabinet de consulting (Aci) et du Fonds de garantie Africain (Afg) créé par la Bad, cet Economiste, financier et banquier donne, dans cet entretien qu'il a accordé à allAfrica.com, des pistes de réflexion allant dans le sens de faire du système financier de la sous-région un véritable outil de développement économique et social accessible, et qui sera au service des populations.
1- Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle de l'environnement bancaire en Afrique de l'Ouest ?
Le secteur bancaire ouest-africain se porte relativement bien. C'est l'un des secteurs en forte croissance. Il y a des consolidations en cours. Il y a de nouvelles demandes d'autorisation de licences et d'agréments et il y a une rentabilité qui s'accroît. Il faut noter quand même que la principale difficulté, qui est le faible accès de nos populations aux banques demeure. Il y a de gros efforts à faire par tous les acteurs notamment les banques mais aussi les gouvernements et les autorités économiques de nos différents pays.
2- On enregistre de plus en plus l'arrivée de grands groupes internationaux sur le marché bancaire ouest-africain. Qu'est ce qui explique cet intérêt ?
D'abord c'est une bonne chose parce qu'il y a quelques années, les grands groupes quittaient l'Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui, nous constatons un engouement qui vient du fait que l'environnement économique est meilleur et nous enregistrons des taux de croissance de plus en plus élevés. Deuxièmement, il y a des secteurs de plus en plus rentables et en particulier des opportunités d'affaires que les banques internationales veulent saisir. Cette situation est au bénéfice de tout le monde. J'espère que l'arrivée de grands groupes bancaires va améliorer le faible accès des populations aux banques.
3- Malgré cet engouement, le taux de bancarisation est toujours faible au niveau de la zone. N'est-ce pas un paradoxe ?
Il y a plusieurs raisons qui font que le taux de bancarisation est relativement bas. Parce qu'il faut aller dans les zones rurales notamment et dans les zones à plus faible densité. Cela coûte beaucoup aux banques. Néanmoins, il y a des mesures qui peuvent être prises et qui, j'espère, doivent être prises pour permettre cette plus grande bancarisation. Parce qu'à situation économique égale, on constate que d'autres pays africains ont des taux de bancarisation beaucoup plus élevés que l'Afrique de l'Ouest. Dans l'Uemoa, nous avons un taux de bancarisation qui est de moins 10% alors que pour l'Afrique subsaharienne dans son ensemble, il est à une moyenne de 20%. Donc, il y a un effort interne à faire pour qu'en même temps que les grands groupes arrivent, il y ait une évolution de toutes ces banques y compris les plus petites vers les régions, vers les zones à faible densité où nous avons besoin de servir les populations notamment les producteurs agricoles, les petites et moyennes entreprises...
4- Il y a quelques années de cela, beaucoup de cas d'absorption et de regroupements de banques ont abouti à la formation de grands groupes. Est-ce une démarche payante dans un environnement très sensible aux chocs exogènes ?
Justement, dans un environnement qui est très sensible aux chocs externes, nous avons besoin de banques solides avec une capitalisation forte qui résiste à ces chocs externes mais aussi ceux endogènes. Pour cela, la décision qui a été prise dans un certain nombre de pays, d'augmenter le capital minimum des banques et qui a conduit aux regroupements, est une bonne chose. Dans certains pays, le processus est allé à son terme. Je pense notamment au Nigeria où nous avons eu un regroupement assez fort de systèmes bancaires. Il y a des pays dans lesquels cette réforme n'est pas allée à son terme. Je pense notamment à l'Uemoa où on a besoin de faire en sorte que le capital minimum tel qu'il a été défini soit respecté par toutes les banques et que cela conduise à des considérations si cela doit être le cas. De toutes les manières, nous avons besoin de banques très solides, suffisamment capitalisées, capables de résister aux chocs mais aussi capables d'aller plus loin. Regardez ce qui s'est passé avec les banques nigérianes, elles se sont ouvertes non seulement à leur propre pays – on a eu beaucoup plus d'agences au Nigeria depuis que la consolidation a eu lieu - mais aussi elles sont fortes de cette nouvelle capitalisation. Elles se sont diversifiées dans d'autres pays du continent. Dans tous les pays de l'Uemoa vous avez quelques grandes banques nigérianes qui se sont installées et elles sont allées au-delà. Une banque comme UBA a 17 filiales hors du Nigeria. Donc c'est un effort qu'il faut non seulement saluer mais aussi encourager.
5- Malgré la surliquidité des banques ouest-africaines, les petites et moyennes entreprises et les porteurs de projets peinent toujours à trouver des financements consistants sur le long terme. Devant cet état de fait, les banques participent-elles réellement au financement du développement?
Non seulement les banques participent au financement de notre économie mais c'est dans leur intérêt. Une banque, fondamentalement, pour rester profitable doit prêter. Le travail d'une banque est de prêter et donc si elle sort de ses métiers, elle n'a plus rien d'autre à faire. Cela étant, il y un certain nombre de considérations qu'il faut prendre en compte non pas pour dédouaner ces banques-là mais pour résoudre les contraintes qui les empêchent d'aller plus loin notamment dans le financement des Pme, des petits producteurs agricoles…Par exemple, comment renforcer les fonds propres de ces entreprises, comment leur donner un plus gros accès au financement de leur capital, comment améliorer les garanties des prêts qui leur sont accordés par les banques.
Je suis heureux de présider aujourd'hui le Fonds Africain de Garantie dont le métier est essentiellement de donner plus de garanties aux Pme pour leur permettre un accès plus facile aux banques. Il faut donner un peu plus de fonds propres aux entreprises et en particulier aux Pme. C'est pour cela que l'idée qui a été développée, il y a deux ans, de créer au sein de la Bourse régionale des valeurs mobilières un guichet pour les Pme est excellente. J'espère que la Brvm va mettre cela en œuvre un jour parce que c'est la voie pour que nos entreprises puissent également accéder à des capitaux beaucoup plus importants.
6- Est-ce que les fonds d'investissement et entre autres instruments que les Etats sont en train de mettre en place peuvent restaurer l'image des Pme-Pmi auprès des banques commerciales ?
Oui parce que les fonds d'investissement répondent un peu à cette problématique des fonds propres. Pour l'essentiel, ces fonds d'investissements viennent participer aux capitales de nos Pme. Je suis membre du conseil d'administration d'un de ces fonds et je vois ce qui se passe autour. Nous avons beaucoup d'entreprises qui sont sous capitalisées mais qui, en même temps, sont extrêmement rentables. Le mariage entre les promoteurs de ces Pme et ces fonds d'investissement est une bonne démarche et facilite l'accès de ces entreprises-là au système bancaire et notamment aux crédits bancaires. C'est une bonne chose à encourager. C'est pour cela que vous voyez beaucoup de ces fonds étrangers venir sur le continent. S'il n'y avait pas d'argent à gagner vous ne les verrez pas. Ces fonds viennent parce qu'ils trouvent des projets qui sont extrêmement rentables, des retours sur leurs investissements qui sont importants. Je connais des fonds qui ont déjà levé deux à trois fois des capitaux pour financer des Pme africaines dans notre zone et ailleurs. C'est parce qu'ils trouvent des projets extrêmement rentables dans tous les secteurs : agriculture, agro-industrie, énergie surtout et de façon plus générale les infrastructures.
7- Est-ce que le dynamisme du secteur bancaire va avec le niveau d'investissement au niveau de la sous-région ?
Pas tout à fait. Nous avons besoin que les banques fassent davantage. Nous avons besoin que les banques prennent plus de risque. Mais c'est, en même temps, en travaillant avec les autres acteurs sur les contraintes, les garanties, les problèmes d'infrastructures pour leur permettre de se délocaliser dans les zones rurales.
8- La BCEAO a procédé à deux baisses de ses taux directeurs appliqués aux banques commerciales. Cette décision peine à être répercutée au niveau des clients des banques qui font toujours face à des taux d'intérêt tournant autour de 7%, selon la nature des crédits. Selon vous qu'est-ce qui explique cet état de fait ?
D'abord, je pense que c'est une bonne chose que la Banque Centrale donne ces signaux parce que nous sommes dans un environnement où la croissance a besoin d'être davantage stimulée. Nous sommes dans un environnement où l'inflation n'est pas une préoccupation. Donc, il y a de la marge pour permettre des réductions de taux d'intérêt et pourquoi pas d'autres solutions moins classiques. Maintenant, c'est un fait aussi que nous constatons dans la sous-région que chaque fois que la Banque Centrale annonce ces signaux de réduction de taux d'intérêt, les clients des banques n'en bénéficient pas. Il y a là deux choses qu'il faut essayer de corriger. Il y a l'information économique et bancaire qu'il faut donner à tous les participants à ce marché, les banques elles-mêmes, mais aussi, les opérateurs économiques qui sont les emprunteurs. Si vous avez des emprunteurs qui ne sont pas tout à fait conscients de leurs droits vis-à-vis du marché, qui ne peuvent pas exercer tout leur droit, évidement ça réduit la portée de mesures si importantes que celles que la banque centrale prend. Mais, il y a aussi certaines contraintes qui sont structurelles au marché lui-même. Si vous avez des situations de monopole sur le marché, il est évident que le prix sera celui que fixeront les participants à ce monopole. Dans la plupart de nos pays et de nos marchés bancaires, vous avez deux à trois banques qui font ce marché-là et qui dictent les taux indépendamment de ce que la Banque Centrale ou les autorités publiques peuvent souhaiter. Il faut aller vers plus de participants. Par exemple, on peut avoir douze banques dans un pays sans qu'elles ne participent réellement à la fixation des prix. Donc la question n'est pas celle du nombre de banques dans le pays mais celle du nombre de banques qui participent à la formation du taux d'intérêt. Il faut faire de sorte que le plus de banques possibles puissent contribuer à cela. C'est pour cela que l'entrée de nouvelles banques est toujours une bonne chose dans nos pays et il faut encourager cela.
9- Est-ce que réellement la BCEAO a les moyens de sa politique par rapport à son ambition de renforcer l'efficacité de la politique des taux d'intérêt?
Je crois qu'elle a quelques moyens. Ce ne serait pas juste de dire que la Bceao n'a pas de moyens mais ses moyens sont contraints par la nature du marché que nous avons, les difficultés des banques et aussi, il faut le souligner, le taux relativement élevé des crédits impayés. Nous sommes dans une zone où les crédits impayés restent relativement élevés par rapport au reste du continent ou au reste du monde. Quand c'est comme ça, les banques, en fixant les prix, en tiennent compte parce que certains payent pour d'autres. Si nous avions un taux d'impayés plus bas il est évident que les banques ne feraient pas jouer cette règle-là. Il y a tous ces éléments qui n'ont rien à voir fondamentalement avec la Banque Centrale et les outils qu'elle met en œuvre. La Bceao, elle-même, a un rôle à jouer ainsi que les banques commerciales, de même que les opérateurs économiques.
10- Quelles sont aujourd'hui les réformes qui s'imposent pour rendre l'environnement bancaire plus attractif et le crédit plus abordable pour la population ouest-africaine ?
Je crois que l'une des principales mesures doit être l'ouverture d'un système financier plus diversifié. Il faut que nous ayons un marché financier avec les banques, les fonds d'investissement, une véritable bourse régionale plus ouverte, plus attractive que ce que nous avons aujourd'hui. Il y a bien sûr les autres acteurs que sont les compagnies d'assurances…Il y a plein de métiers du système financier qui sont inexistants chez nous aujourd'hui. Exemple, dans la titrisation qui est un des secteurs très important dans les pays développés, nous avons un marché naissant. Or, c'est un instrument de financement. Il y'a d'autres outils. Maintenant, on arrive à faire du crédit immobilier sur 20 ans parce que nous avons une caisse de financement hypothécaire, parce que certains Etats ont apporté de l'aide et des subventions dans ce domaine. Il y a cinq ans encore ces instruments n'existaient pas. Donc nous devons aller vers cette diversification des instruments mais aussi des institutions dans le secteur qui permettent à tout opérateur économique et à tout épargnant de pouvoir choisir une palette d'instruments ou d'institutions. Aujourd'hui, si vous souhaitez prendre un crédit vous allez dans une banque ou un établissement de microfinance et c'est tout ce que vous avez. Mais si demain, vous avez d'autres institutions, la compétition et la concurrence sera plus intéressante. L'accès sera plus grand aux services financiers et bancaires. Et l'accès au crédit bancaire sera plus élevé. Nous avons dans nos pays pour la plupart un taux d'accès au crédit qui tourne autour de 30 à 35% du Pib. Là où vous avez des pays comme le Maroc qui sont à 70%. Donc deux fois plus de crédit au Maroc qu'il y'en a, par exemple, au Sénégal ou en Côte d'Ivoire. Nous osons aller dans cette direction et ce sont les banques et la disponibilité des autres institutions et instruments qui peuvent nous permettre d'y arriver.
11- Aujourd'hui, comment se porte le Fonds Africain de Garantie sur le plan de ses activités et ses projections?
Le Fond Africain de Garantie se porte très bien. Nous sommes engagés dans l'immédiat dans deux choses. La première est d'étendre les activités de l'institution qui sont essentiellement des activités de garantie aux prêts des Pme, au plus grands nombres de pays possible. Mais nous sommes aussi contraints par le volume des ressources que nous avons. Ce qui fait que la deuxième activité dans laquelle nous sommes engagés c'est l'accroissement du capital de l'institution. Nous sommes en train de passer aujourd'hui d'un capital de l'ordre de 50 millions de dollars à un niveau de capital de 450 millions de dollars. Ce sera intéressant d'y arriver parce qu'à ce moment nous seront capables d'intervenir dans beaucoup de pays africains.
12- Après des années d'activités dans le secteur financier et bancaire, quelle sera la prochaine destination de M. Bio Tchané ?
Le combat pour le développement est quelque chose de permanent que j'ai toujours fait. Nous sommes dans un domaine, que ce soit la banque ou la monnaie ou les finances où nous travaillons pour le bien-être des populations. Mon investissement dans ces secteurs m'a progressivement amené à être sensibilisé sur d'autres aspects de la vie de nos compatriotes notamment l'accès à l'eau potable, l'accès à l'électricité, les routes, l'accès à l'éducation, l'accès aux soins de santé primaire...Mais ces choses ne sont pas liées simplement à la finance. Ce n'est pas toujours une question d'argent ; c'est souvent une question d'organisation. Vous voyez que même dans le domaine bancaire, il y a de nombreuses entreprises qui vous disent que je suis incapable d'avoir des crédits bancaires mais c'est tout simplement parce qu'elles ne sont pas organisées. Elles ont un business qui est profitable et c'est ce que viennent faire les fonds d'investissement : prendre une entreprise qui est incapable de lever des ressources mais qui a une profitabilité avérée, la transformer pour en faire un joyau et sortir au bout de quelques années du capital de cette société-là. On le voit dans de nombreux secteurs sociaux chez nous : organiser les populations pour améliorer l'accès à un certain nombre de services, organiser l'Etat pour que nos populations puissent bénéficier des ressources de nos pays. C'est ce défi-là qui m'intéresse aujourd'hui. En même temps, je reste dans les finances et la banque puisse que j'ai un cabinet qui intervient dans l'assistance aux Etats et aux entreprises.
13- Vous faîtes le développement sous quelle casquette ? le financier ou le politique ?
Le financier. Je suis conseiller et je ne conseille pas politiquement un pays mais économiquement en lui disant que vous avez tel problème, voilà les solutions qu'il faut mettre en œuvre. Je ne vais pas aller m'ingérer dans les affaires politiques d'un autre pays africain mais je suis capable de dire à un dirigeant africain que votre secteur bancaire a des difficultés et voilà les mesures qu'il faut prendre. Vous êtes une entreprise qui est en train de s'installer ou de conduire un programme de développement, vous avez besoin de lever des ressources voilà comment vous y prendre pour accéder au marché financier régional et au marché international. Voilà les choses que je fais indépendamment de m'intéresser au sort et au vécu quotidien de mes compatriotes.