Les anciens présidents du Nigeria (Olusegun Obasanjo), du Cap-Vert (Pedro Pires) et l'ex secrétaire général des Nations Unies (Kofi Annan) militent pour la décriminalisation ou la dépénalisation de l'usage de la drogue. Ils l'ont fait savoir dans le premier rapport sur la drogue en Afrique de l'Ouest de la Commission Ouest-Africaine sur les Drogues (WACD). Dans leur démarche, ces leaders africains invitent les États à des actions plus intensives contre les grands trafiquants et à traiter la question de la drogue comme un problème de santé publique.
« Dépénaliser ou décriminaliser l'usage de la drogue ». C'est ce que revendiquent Olusegun Obasanjo, Koffi Annan et Pedro Pires. Ils l'ont exprimé dans un rapport intitulé : « Pas seulement une zone de transit : Drogue, Etats et société en Afrique de l'Ouest », lancé le jeudi 12 juin à Dakar. Réunis au sein de la Commission Ouest-Africaine sur les Drogues (WACD), ces leaders africains ont décliné une autre manière de s'attaquer aux problèmes de trafic et de consommation de drogues.
A leur avis, il convient de considérer l'usage de drogues avant tout comme un problème de santé publique. « Les usagers de drogues ont besoin d'aide et non de sanctions ». Avant d'estimer que la consommation et la détention de drogues pour un usage personnel ne devrait pas constituer un crime. Une position qui a fait tiquer la plupart des observateurs.
Pour lever tout équivoque devant cette proposition qui risque de soulever beaucoup de vagues, ces « soldats » de la lutte contre la drogue ont estimé que « l'expérience montre que la criminalisation de l'usage de drogues aggrave les problèmes sanitaires et sociaux, pèse lourdement sur le système pénal et encourage la corruption ».
Dans leur rapport, ils ont clairement montré que décriminaliser l'usage de drogues constitue l'un des moyens les plus efficaces pour en réduire l'usage problématique dans la mesure où cela est susceptible de faciliter l'accès au traitement pour ceux qui en ont besoin.
Partageant son expérience vécue en prison, Olusegun Obasanjo pense que beaucoup de jeunes drogués rencontrés en milieu carcéral ont vu leur situation empirer à cause de la drogue qui circule dans beaucoup de prisons avec la complicité des gardes pénitentiaires. Pour lui, la place des jeunes drogués n'est pas dans les prisons mais dans les centres de rééducation.
L'ancien président du Cap-Vert, pour sa part, se demande « est-ce qu'on doit châtier les victimes de la drogue ». A son avis, des solutions plus humaines doivent être envisagées pour les usagers de la drogue afin de contribuer à leur réinsertion sociale.
Sur cette même lancée, Kofi Annan précise qu' « on ne cherche pas à encourager la consommation de la drogue mais à aider les politiques à gérer ce problème parce qu'il est incompréhensible pour une mère de famille de concevoir que son fils soit condamné à deux ans de prison pour usage de drogue alors que le grand trafiquant circule librement ». Cette remarque colle avec les grandes observations du rapport qui souligne que « nous abhorrons les trafiquants et leurs complices, lesquels doivent être jugés avec la plus grande fermeté ». L''application de la loi ne doit pas se faire au détriment des personnes pauvres, vulnérables et moins éduquées.
Dans son rapport, la Commission s'est offusquée du fait que la drogue ait pris le dessus sur beaucoup de structures qui devraient constituer un garde-fou notamment l'administration et la justice. Ces nouveaux soldats de la lutte contre la drogue invitent les États de l'Afrique de l'Ouest à copier sur ce qui se fait de mieux ailleurs.
C'est ainsi que le cas du Guatemala où l'usage de la drogue est réglementé, a été cité en exemple. Le ministre des Affaires étrangères de Guatemala, M. Fernando Carrera qui a pris part à l'événement de Dakar, qualifie le rapport de courageux et visionnaire. A son avis, les politiques de lutte contre la drogue doivent être constamment évalués pour mieux les adapter aux changements et créer les conditions d'une coopération internationale accrue dans ce domaine.
C'est ainsi que les membres de la Commission parlent de réformes à mener sur la justice en matière de drogue. Ils pensent que l'Afrique de l'Ouest ne doit pas devenir la nouvelle ligne de front de la « guerre contre la drogue » laquelle n'a d'ailleurs permis, ni de réduire la consommation, ni d'évincer les trafiquants. Ils enjoignent la communauté internationale à partager le fardeau crée par l'essor du trafic en Afrique de l'Ouest, qui ne produit ni ne consomme la plupart des drogues qui transitent par la région.
Pour eux, les nations dont les citoyens consomment de grandes quantités de drogues illicites se doivent d'apporter leur contribution et de proposer des solutions humaines afin de faire reculer la demande. Ils exhortent également les dirigeants de la sous-région à unir leurs efforts pour changer les lois et les politiques qui se sont révélées inefficaces, en collaboration avec la société civile, qui doit être pleinement impliquée dans ce processus. A leur avis, c'est le seul moyen permettant de protéger les populations, mais aussi nos institutions politiques et juridiques, des dommages causés par les drogues illicites.
Présidée par l'ancien président du Nigéria Olusegun Obasanjo, la Commission est composée de personnalités d'Afrique de l'Ouest issues de la sphère politique, la société civile, les secteurs de la santé, de la sécurité et le domaine judiciaire. Créee en 2013, elle est un organisme indépendant et peut donc s'exprimer de manière directe et impartiale.
La Commission s'inquiète du fait que la région soit devenue une nouvelle plaque tournante du trafic mondial de drogue. Un phénomène qui, selon elle, déstabilise des États déjà faibles, en charriant corruption et insécurité. « L'Afrique de l'Ouest n'est ni le plus grand producteur, ni le grand consommateur de drogue mais son statut de zone transit a de graves conséquences sur sa population ». Un état de fait engendré par la corruption avec les élites et les trafiquants qui exploitent les faiblesses institutionnelles.
La Commission Ouest-Africaine sur les Drogues s'est également inquiétée du lien entre les trafiquants et les extrémistes qui, selon elle, semble relever davantage de l'opportunisme que de l'idéologie. Pour elle, une militarisation de la lutte contre le trafic de drogue n'est pas une solution, car elle pourrait accroître l'influence politique et la popularité des groupes impliqués dans le trafic de drogue, et éventuellement attiser la violence, comme cela a été le cas dans d'autres régions.