Le Sénégal a les taux de malnutrition chronique les plus bas de toute l'Afrique de l'Ouest. Qu'y a-t-il de particulier dans le modèle sénégalais qui fasse qu'il soit régulièrement cité en exemple ?
Globalement, 45% de la mortalité infantile de moins de cinq ans est directement attribuable à la malnutrition. Près de 9000 enfants meurent chaque jour de sous-nutrition selon le rapport de UNICEF de 2013, « Levels and Trends in Child Mortality ». La malnutrition est le plus grand contributeur à la mortalité infantile dans le monde entier - et la cause directe de 11% de la charge mondiale de morbidité. Le retard de croissance causé par une mauvaise alimentation compromet le développement mental et un enfant de 2 ou 3 ans ne sera tout simplement jamais en mesure d'atteindre son plein potentiel, condamné à une vie plus courte où ils sont également plus vulnérables aux maladies non transmissibles. Le retard de croissance est également responsable de la perte de milliards de dollars en productivité. En effet le retardant la croissance non seulement des citoyens, mais aussi la compétitivité et la croissance économique des pays les plus affectés.
Une Initiative Sénégalaise
Durant la dernière semaine du mois de Mai, le Sénégal a reçu une délégation de sept pays membres du mouvement rattaché au Secrétariat Général des Nations Unies, « Scaling Up Nutrition » (SUN). Il s'agissait pour ces pays (Bénin, Burundi, Ghana, Guinée Conakry, Niger, Pérou, Sierra Leone), d'une visite d'apprentissage devant leur permettre de s'inspirer du modèle sénégalais pour la lutte contre la malnutrition dans la région, en matière de mise en œuvre de politique de nutrition efficace. Cette tournée, la dernière en date, vient s'ajouter à celles de la longue liste de pays africains qui en matière de nutrition plébiscitent « l'école sénégalaise ».
Qu'y a-t-il de particulier dans le modèle sénégalais qui fasse qu'il soit régulièrement cité en exemple ? Pour le comprendre examinons tout d'abord la situation nutritionnelle du pays qui comporte les taux de malnutrition chronique les plus bas de toute l'Afrique de l'Ouest.
Le Modèle Sénégalais
Le Sénégal, comme tous les pays en développement, fait face à ce qu'on appelle le «double fardeau de la malnutrition» : des problèmes de carences comme pour la malnutrition infantile, l'anémie ou encore les avitaminoses, et des problèmes de surcharge tels que le surpoids et l'obésité. Selon les données de la dernière enquête nutritionnelle nationale, le Sénégal a une prévalence de la malnutrition aiguë de 8.8%. Les résultats pour le retard de croissance indiquent quant à eux une prévalence globalement satisfaisante de 19% en 2012, contre 26% en 2010.
Pour comprendre comment le Sénégal a réussi à maintenir des prévalences aussi acceptables, il faut remonter à 2002 année de création de la Cellule de Lutte Contre la Malnutrition. Un décret présidentiel la plaçant sous la tutelle de la Primature concrétisera la forte volonté politique de l'Etat de mettre en place un dispositif à même de concevoir et dérouler une politique efficace de nutrition. Une volonté politique qui s'est aussi matérialisée par une augmentation graduelle tous les ans du budget annuel consacrée par l'Etat à la nutrition, l'amenant aujourd'hui à 60% du financement global.
Pour lutter contre la malnutrition, nous avons besoin d'une approche commune dans tous les secteurs—l'agriculture, la santé et l'éducation— et des activités jointes du gouvernement, la société civile et de la recherche. Ayant très vite compris que les causes multifactorielles de la malnutrition nécessitaient une réponse multisectorielle, le pays a intégré tous les ministères techniques clés dans la composition de la CLM. Ainsi, l'ensemble des secteurs pouvant avoir une emprise sur la situation nutritionnelle sont impliqués dans la prise de décision stratégique, lors notamment de la validation du Plan d'Action et Budget Annuel de la CLM et dans la mise en œuvre d'activités pro-nutrition. Cela dans une perspective d'institutionnalisation de la nutrition dans le secteur.
Les principaux facteurs clés de succès du pays sont les suivants., Le premier est l'ancrage institutionnel au plus haut niveau qui assure à la nutrition une bonne visibilité et un engagement de l'Etat à régulièrement accroitre son investissement. Le deuxième est l'approche multisectorielle consistant à impliquer la majorité des secteurs clés tels que la santé, l'éducation ou encore l'agriculture, dans la définition de la politique de nutrition et dans la planification des interventions. Le troisième point clé de succès c'est l'utilisation des Collectivités Locales comme porte d'entrée des interventions, permettant d'assurer une bonne dynamique communautaire. Le quatrième point et pas des moindre, c'est la pertinence du dispositif articulé autour d'un Bureau Exécutif National, de Bureau Exécutifs régionaux qui coordonnent les interventions menées par des Agences d'Exécutions communautaires, choisies sur la base de leur ancrage communautaire. Ce dispositif permet à la CLM de mener avec succès, des interventions de grande échelle à travers plusieurs projets et programmes, dont le Programme de Renforcement de la Nutrition, le Projet d'iodation Universelle du Sel, le Programme de Renforcement de la Fortification et le Projet d'Appui à la Sécurité Alimentaire des ménages vulnérables.
Notre rôle conjoint dans l'avenir de la nutrition
Malgré une bonne politique de nutrition, l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) reste un enjeu majeur pour le Sénégal. Pour ce faire, les défis multiples sont à relever pour les prochaines années. Ils concernent l'augmentation des taux de couverture des interventions ainsi que leur pérennisation, une plus grande implication de tous les secteurs et le renforcement du rôle de coordination de la CLM.
Un ensemble de défis qui ont conduit le 08 Juin 2013, l'Etat du Sénégal à s'engager, lors du sommet « Nutrition for Growth »—un sommet consacre à la nutrition et la croissance— à Londres, à continuer d'investir dans le financement des interventions nutritionnelles jugées efficaces. Cette année, le dimanche 8 Juin a marqué le premier anniversaire du sommet, où les dirigeants du monde ont réaffirmé leurs engagements pris le 8 Juin 2013. Il y a 1 an, plus de 100 intervenants ont signé le «Global Nutrition for Growth compact» et collectivement se sont engagés à réduire le nombre d'enfants qui sont affectés par le retard de croissance par 20 millions, sauvant 1,7 million de vies, en atteignant 500 millions de femmes et d'enfants par des interventions efficaces.
Cet engagement a été réaffirmé dans le Plan Sénégal Emergeant, ce qui démontre encore une fois le rôle central de la nutrition dans le développement humain si cher au Président Macky Sall. En effet, la lutte contre la malnutrition sera que achevée à travers tous les secteurs et les niveaux de la population, et la coopération nationale, régionale, et internationale.
Spécialiste en Santé Publique et Développement Social, Abdoulaye Ka a démarré sa carrière dans la nutrition en 1999 comme responsable de zone du PNC (Projet de nutrition communautaire), il y a entre autres supervisé les centres de nutrition communautaires, exploité les rapports d'activités et gèré la base de donnée du projet. En 2002 il devient Responsable du suivi des Opérations de la CLM (Cellule de Lutte contre la Malnutrition). Une position qui lui confère la responsabilité de coordonner et de planifier toutes les opérations de la CLM, mais aussi d'appuyer les ministères dans l'intégration de la nutrition dans leurs plans sectoriels. Abdoulaye Ka est depuis 2011 Coordonateur National de la Cellule de Lutte contre la Malnutrition au Sénégal. Il est titulaire d'un Bachelor en Administration des Affaires et d'une Maîtrise (MSc) en Santé Communautaire de l'Université Laval, Canada.