La construction de l'Aéroport Internationale Blaise Diagne (AIBD) au Sénégal a occasionné le déplacement de quelques 3000 personnes vivant dans 342 ménages. Issus de Kessoukhate, Kathialite, Mbadate, trois villages qui se trouvaient sur le site de la nouvelle infrastructure aéroportuaire qui s'étend sur 4500 hectares. Ces populations ont été réinstallées à quatre kilomètres, dans une nouvelle localité baptisée Médinatoul Salam. Ils y mènent une « nouvelle vie » tout en préservant leurs us, coutumes et cultes.
Fatou Diouf, mère de famille originaire de Kessoukhate, respire la forme en cet après-midi de samedi 13 septembre 2014. Rencontrée à Médinatoul Salam, localité située à quatre kilomètres de l'Aéroport International Blaise Diagne (AIBD), à 45 km au sud-est de Dakar dans la région administrative de Thiès, Fatou dit être fière de sa « nouvelle vie ».
Bien installée dans sa taille basse wax, cette mère de famille partage le « renouveau » qu'elle vit dans ce site de recasement. « J'ai l'impression de retrouver une seconde jeunesse. La différence est évidente quand je compare mon quotidien actuel à celui d'avant où l'on manquait de tout. Aujourd'hui, on a de l'eau, de l'électricité. J'ai deux réfrigérateurs que j'utilise pour la vente d'eau et de crème glace ». Avant de se rappeler : « tous les jours, on faisait la queue de quatre heure du matin à 10 h pour ne revenir à la maison qu'avec deux bassines d'eau ». Une situation que Fatou Diouf renvoie aux calendres grecques du moment que, à l'en croire, « les femmes de Médinatoul Salam peuvent maintenant se permettre de dormir jusqu'à huit heures du matin, se lever et s'occuper des tâches ménagères ». Dans un élan de fierté Fatou montre les bornes fontaines installées dans les coins de rue. « Pour le moment, on va chercher de l'eau au coin de la rue mais on attend avec impatience que toute les maisons soient raccordées au réseau de la SDE ».
La même satisfaction est affichée par Marie Pouye, la quarantaine, mère d'un enfant et rencontrée à quelques encablures. « Je viens de Thiamboukh. Je ne regrette pas d'avoir aménagé à Médanatoul Salam parce que je ne suis plus traumatisée par les infiltrations qui m'empêchaient de dormir et endommageaient mes affaires en période hivernale. L'argent que je déboursais pour faire réparer la clôture de notre concession est aujourd'hui réaffecté à d'autres dépenses ».
La position de ces deux femmes renseigne sur une première opération de déplacement-recasement de populations que le Sénégal est en train de réussir dans le cadre de grand projet d'infrastructure. Un cas d'école que le directeur général de l'AIBD SA, M. Abdoulaye Mbodji qui annonce le premier atterrissage d'avion en juillet 2015, exhibe avec fierté devant un parterre de journalistes convoyés pour les besoins d'une visite de chantier. A l'en croire, les travaux de l'aéroport sont à un niveau d'avancement de 75%, à la date du vendredi 12 septembre 2014.
Dans ce projet d'aéroport, AIBD SA comme ses partenaires ont voulu éviter de tomber dans les mêmes travers retenus dans la plupart des réalisations d'une telle envergure qui, malgré leur caractère d'utilité publique, lèsent souvent les populations autochtones. A titre d'exemple, on peut citer les cas des populations affectées par l'extension des sites d'exploitation des Industries Chimiques du Sénégal (ICS) à Mboro et celles touchées par le tracé de l'Autoroute à péage Dakar-Diamniadio qui ont certes été dédommagées mais pas relogées. Des pratiques dont la résultante est la dislocation des structures familiales.
Les stigmates du départ
« Se déplacer c'est partir et partir c'est mourir eu peu », souligne le sociologue de l'AIBD SA, M. Kaly Niang. Quitter définitivement un lieu d'origine peut toujours renvoyer à l'image d'une histoire qui s'efface surtout pour des villages qui sont nés d'une concession qu'un certain N'guer Kal Ciss avait fondé au 16ème siècle. « C'est l'un des rares villages qui a su résister aux aléas du temps », souligne le Dr Niang qui n'a pas manqué de prévenir sur des probables conséquences au plan psychologique (angoisse, amertume, dépression) que de tels déplacements peuvent causer s'ils ne sont pas bien encadrés.
Malick Ciss, en provenance de Kessoukhate, trouvé en pleine discussion sous un arbre à palabre avec deux de ces voisins, le souligne avec un pincement au cœur. « J'ai 55 ans, père de famille de onze enfants. Changer n'est pas chose aisée. Quitter un lieu qui t'a vu naître ainsi que tes arrières grands parents, ne peut pas se faire sans conséquence sur le plan moral et affectif. Mais nos conditions se sont nettement améliorées et çà se répercute même sur l'état de santé de nos femmes et l'éducation de nos enfants ». Même son de cloche pour Fatou Diouf : « Partir c'est difficile mais il faut s'en remettre à la décision divine».
Pour se consoler, Malick Ciss, très à l'aise dans son boubou basin de couleur verte et assorti d'un bonnet blanc, confie : « Le retour sur ce lieu est symbolique pour moi. A l'âge de sept ans, c'est ici que mon père m'amenait pour m'apprendre à cultiver. A l'époque, ce village s'appelait Tokhou (Déménagement, en français). Si 50 ans après, j'aménage dans ce même lieu, je pense que c'est une partie de mon histoire qui est rétablie ».
Pour faire face à toute éventualité, un volet « pris en charge psycho-social » figure en bonne place dans le dispositif du projet. Une tache facilitée par l'ONG M.S.A. Le sociologue de cette organisation, Pape Dia, affirme que le déplacement n'était pas chose aisée car « ce sont des populations très attachées à leurs terres ».
Des indemnisations agricoles et des champs à affecter
Pour éviter de sevrer ces populations composées essentiellement d'agriculteurs, tous les chefs de ménages ainsi que les propriétaires terriens devront recevoir des indemnisations. Les évaluations de la Commission Départementale de Recensement et d'Evaluation des Impenses (CDREI) de Thiès chiffrent à 191 le nombre de personnes éligibles sur le site de l'aéroport, pour un montant de 425.904.000 F Cfa et 29 personnes sur le site de recasement, pour une enveloppe de 38.792.000 F Cfa.
Par ailleurs, des indemnités de pertes de récolte pour les propriétaires agricoles qui, à cause des travaux de l'aéroport, ne peuvent pas cultiver leurs champs, sont également prévues. Une mesure qui n'a pas manqué de soulever quelques polémiques. Aliou Faye, chef de village de Mbadate, village qui a été le dernier à résister au déplacement, fustige la baisse observée sur le barème annoncé et les conditions dans lesquels les populations ont quitté le village. « On nous a forcé manu militari à quitter alors qu'on était pas d'accord sur toutes les conditions de notre recasement ». Entre autres griefs, M. Faye ajoute : « Beaucoup de gens sont partis sans emporter la plupart de leurs bagages, ce qui est regrettable ». Et de poursuivre : « Le barème d'indemnisation agricole qui était fixé à 750 mille F Cfa par an est ramené à 443.7000 F Cfa. Nous trouvons cette somme vraiment dérisoire. Nous acceptons le principe d'indemnisation mais il faut qu'il y ait des concertations au préalable pour arrêter un barème consensuel qui ne lèse aucune des deux parties ».
Sur ce sujet, le directeur général d'AIBD SA note que les populations déplacées recevront des champs qui leur permettront de continuer à exercer des activités agricoles. A l'en croire, un déclassement de 304 hectares de la forêt de Thiès est effectif par décret N°2014-371 du 27 mars 2014. Le découpage et la distribution des parcelles seront réalisés par le Groupe Opérationnel de Thiès.
Les lenteurs notées dans cette dernière opération alimentent l'impatience chez certaines personnes rencontrées. Babacar Ciss, 73 ans, en provenance de Touly qui compte 3600 habitants témoigne. « Ces maisons de recasements sont construites sur nos champs. Les populations de Touly sont encore dans l'expectative car la majorité attendent d'être indemnisées ». Il confie qu'une réunion avec les responsables du projet a été convoquée le mercredi 17 septembre 2014 pour encore aborder cette question d'indemnisation.
Amy Ciss, fille de l'imam de Kessoukhate, rencontrée sur le chemin du domicile de son père lui emboite le pas. « Nous sommes des enfants d'agriculteurs, le retard constaté dans l'affectation des terres nous porte un grand préjudice. Mon père a été le premier à accepter de rejoindre le site de recasement et ça lui avait même valu des menaces de la part des populations. Mais puisse qu'il avait fait ce sacrifice pour encourager les autres à le suivre, il faut que les responsables de ce projet accélèrent la cadence pour permettre aux gens de reprendre leurs activités agricoles ».
Une modernité bâtie sur la base des réalités traditionnelles
Dans le cadre de l'AIBD, la population affectée est de 2500 à 3000 personnes vivant dans 342 ménages et réparties comme suit : 46% à Kessoukhate, 36% à Kathialite et 18% à Mbadate, qui était situé dans l'enceinte du chantier de l'aéroport. A en croire, le directeur environnemental et social d'AIBD SA, Mme Aïssatou Thioubou, aucune de ces localités n'était électrifiée ni raccordée à un réseau d'alimentation en eau potable. L'habitat, de type traditionnel, était assez sommaire. Les seuls équipements socio-collectifs étaient deux écoles de six classes (à Kessoukhate et Kathialite), des puits, des cimetières et des mosquées de même qu'une case de santé non fonctionnelle. La réalité est toute autre dans le site de recasement.
Déplacées à quatre kilomètres de l'aéroport, les populations se familiarisent avec leur nouveau cadre. Un site qui, au finish, devra comprendre un réseau de 13,5 km de voirie principale et secondaire, renforcé par un réseau de drainage performant.
Des cases de fortune, les ménages sont aujourd'hui logés dans des habitations de 400 mètres carrés comprenant trois chambres, un salon, une cuisine et des toilettes. L'espace non occupée donne aux propriétaires la possibilité d'aménager un jardin potager, un enclos pour animaux, voire un petit commerce. Le Dr Kaly Niang en charge de l'action sociale d'AIBD, souligne que les maisons ont été construites tout en préservant la logique de concession. « Les maisons ont été réalisées en tenant compte de la dynamique communautaire fondée sur les relations de proximité, familiales et de voisinage qui existaient avant le déplacement ».
Sur cette lancée, M. Niang a fait savoir que dans un souci d'équité, la catégorie de population dite vulnérable, composée de veuves chefs de ménage et de chefs de ménage non propriétaires, estimée à 87 familles n'a pas été laissée en rade. AIBD SA a prévu d'attribuer à ce dernier groupe des parcelles aménagées de 200 mètres carrés. Un état de fait confirmé par Mme Adama Seck, la trentaine révolue, veuve venant de Kessoukhate. S'afférant sur son mouchoir de tête, elle confie : « Ici, la cohabitation se poursuit dans la paix mais ce qui ne nous rassure pas trop c'est le retard noté dans la délivrance des titres de propriétés pour les maisons et les champs. Il faut que les responsables du projet s'attèlent à régler ce problème le plus rapidement possible pour éviter des conflits à l'avenir ». A son avis « ce problème expose plus les veuves à qui on exige de fournir un certificat de décès, d'hérédité…Ce qui relève d'un parcours du combattant si l'on sait comment fonctionne l'administration dans ce pays ».
Afin de rendre le site de recasement viable, des équipements socio-collectifs sont en cours de réalisation dans la zone commune aux trois localités. Il s'agit, entre autres, d'une école primaire de 12 classes, d'une case de santé, d'une grande mosquée et cinq petites mosquées, d'un cimetière clôturé et d'un centre socioculturel.
Assane Diouf, élève de 18 ans et chauffeur de moto Djakarta en période de vacances affirme : « En tant qu'élève je prie pour que la construction de l'école se termine le plus rapidement sinon je serais obligé de parcourir plus de distance pour aller étudier à Toglou qui est à quelques kilomètres d'ici ». Reconverti dans la conduite de moto jakarta en période de vacances, le jeune Assane se réjouit de sa nouvelle activité. « Les recettes que je gagne avec ma moto me permettent de préparer ma prochaine année scolaire en assurant mes frais d'inscription, l'achat d'habits et de fournitures scolaires. Ce qui permet d'alléger les charges de mes parents ». Ce candidat malheureux du Brevet de Fin d'Etudes Moyennes (BFEM) espère, qu'avec ces nouvelles conditions, pouvoir poursuivre ses études et réussir sa vie.