La signature prochaine des Accords de Partenariat Economique (APE) est sur toutes les langues.
Les conséquences et rebondissements attendus sont diversement appréciés. Si les autorités ouest-africaines brandissent l'arme de la mise à niveau des entreprises et industries pour faire face à toute éventualité, le secteur privé affiche une peur compte tenue du vécu des conventions ayant jusque-là liées la sous-région à l'Union européenne.
Doit-on avoir peur des Accords de Partenariat Economique (APE) ? Non ! Rétorquent autorités qui ont balayé d'un revers de main toutes les raisons avancées pour avoir peur de la signature d'un accord de libre échange entre l'Afrique de l'Ouest et l'Union Européenne. Les échanges ayant rythmé un panel sur : « Le secteur privé régional : les programmes de mise à niveau comme réponse à l'entrée en vigueur des APE en Afrique de l'Ouest ? » ont permis de lancer ce « cri de guerre ». C'était dans le cadre de la 3ème édition des Journées Mise à Niveau des Entreprises qui s'est tenue les 28 et 29 octobre 2014 à Dakar.
Le bal est ouvert par le Ministre du Commerce, Secteur informel, de la Consommation, de la Promotion des Produits locaux et des PME du Sénégal, M. Alioune Sarr. « Dans les débats sur l'APE, on met en avant la peur, les gens sont frileux ». Ce qui n'est pas une démarche raisonnable, selon M. Sarr. A son avis, la mise en œuvre de l'accord nécessite un certain nombre de réformes de la part des Etats et du secteur privé en renforçant le tissu de production ouest-africain. Même son de cloche pour le Ministre Délégué auprès du Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan, Chargé du Budget, M. Birima Mangara « l'APE arrive avec ses contraintes et ses avantages. Il peut constituer un accélérateur et ne doit aucunement mettre en cause les fondamentaux de ce qui a été fait jusque-là ».
Pour calmer les esprits, le Commissaire de la CEDEAO rassure qu'avec la signature de l'APE, l'essentiel de notre tissu industriel est hors du schéma de libéralisation. A l'endroit des sceptiques, il lance : « l'ouverture du marché ne va pas exposer nos entreprises à la concurrence mais ces dernières ont un devoir de compétitivité afin de profiter de l'accès aux marchés et permettre à nos Etats de combler les pertes en terme de fiscalité et de recette ». Une étude réalisée en 2009 au Cameroun fait état des pertes de recettes de 775 milliards de F Cfa projetés dans la sous-région. Ce qui a poussé ce pays à élaborer un plan de modernisation de son économie en vue de l'Accord de Partenariat Economique.
Par ailleurs, le ministre du commerce sénégalais estime que les pays ouest-africains doivent être vigilants sur les mesures de protection et la sensibilité des produits qui seront soumis à la concurrence, d'où l'importance du Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO. Pour Alioune Sarr, les acteurs sont appelés à s'ajuster par rapport au commerce mondial. Il considère que « nos entreprises ont l'obligation de se mettre à niveau » d'abord pour répondre à la demande intérieure mais également pour conquérir les marchés extérieurs.
Dans cette dynamique, les Etats sont attendus au premier rang avec la mise en place d'environnement des affaires favorable et un accompagnement des entreprises à travers un programme de mise à niveau régional. C'est ainsi qu'une gestion efficiente des 6,5 milliards d'euros du fonds du Programme APE pour le développement (PAPED) est prônée, ainsi qu'une vigilance envers les comités paritaires pour le respect des engagements.
En direction de l'UE, les acteurs africains appellent à éviter ce qui s'est passé à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) avec les nombreux engagements non respectés notamment sur la question des subventions agricoles.
Le secteur privé traumatisé par le passé
Malgré les nombreuses assurances, le secteur privé cache mal sa crainte et semble ne pas avoir totalement confiance en la capacité des autorités ouest-africaines à ériger des « boucliers » face à la force de frappe de l'Union Européenne jusque-là animée par une logique protectrice. « Si l'on convoque l'histoire sur la facilitation des échanges avec les Conventions de Cotonou, on a raison d'avoir peur», lance Mor Tall Kane, Directeur exécutif de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES).
Le sommeil de ce dernier est plus troublé par l'absence de contrepartie malgré les avantages qu'offraient ces conventions en plus de la baisse observée sur le commerce africain vers l'Europe. Il espère que «cette fois-ci, l'UE va abandonner son protectionnisme ».
Le directeur du bureau de restructuration et de mise à niveau du Burkina Faso, quant à lui, a mis les pieds dans le plat. Prenant exemple sur les bouteilles d'eau conditionnées en France et qui étaient mises à la disposition des participants de ce panel, il dénonce les habitudes de consommation de beaucoup de pays de la sous-région qui ont une préférence pour les produits importés. « On demande aux entreprises d'être à niveau alors qu'on ne consomme que des produits venus d'ailleurs ». A son avis, « il y a des préalables sur lesquels nous devons nous engager sinon les efforts de mise à niveau seront vains ». Ce responsable de la mise à niveau au Burkina indique des efforts à faire sur l'environnement économique des entreprises. « Si nous ne travaillons pas à notre environnement en changeant notre approche économie ; si nous ne faisons pas des efforts au niveau des innovations technologiques, la mise à niveau seule ne suffira pas pour faire face ».
Mise à niveau : La Tunisie comme cas d'école
Comme l'a stipulé la rencontre de Dakar, la mise à niveau est présentée comme un passage obligé pour parer à toute éventualité qui fera suite à la signature de l'APE. L'ONUDI l'a clairement exprimé lors de ces assises de Dakar en citant des pays comme la Malaisie, la Corée du Sud et l'Inde dont le PIB était au même niveau que celui des pays africains dans les années 70. Ces pays asiatiques sont devenus des puissances économiques suite aux investissements réalisés dans leurs industries manufacturières.
Rapporté au cas africain, la Tunisie est citée comme cas d'école. Dans ce pays, rien que le secteur de la confection fait travailler 200 mille personnes. Ce qui fait remarquer au représentant de l'ONUDI : « En France, une femme sur trois porte des sous-vêtements fabriqués en Tunisie qui n'est pas producteur de coton alors que dans des pays comme le Sénégal, le Burkina Faso, la transformation de cette matière première n'atteint même pas 10% ». C'est ainsi qu'il invite à la mise en place d'un programme de mise à niveau qui va développer des chaines de valeurs dans chaque pays. Dans cette même lancée, il juge important l'implication du secteur bancaire à l'image de la Tunisie où chaque banque compte un « M. ou Mme mise à niveau ». A son avis, il est illusoire de parler d'émergence économique sans une mise à niveau industrielle.
La délégation tunisienne explique que leur programme de mise à niveau qui est la plus vieille en Afrique a approuvé plus de 7000 demandes d'entreprises qui ont réalisé 360 millions de Dinars tunisiens d'investissement. Selon elle, les entreprises bénéficiaires ont pu augmenter le nombre d'emplois créés, booster leur chiffre d'affaire, parvenir à une maitrise énergétique… Au 31 juillet 2014, le bilan à mi-parcours du Programme de mise à niveau tunisien renseigne que 4816 de dossiers ont été approuvés, et 520.9 millions de Dinars de primes déboursées…
Devant cet état de fait, le représentant de l'Union Européenne de son côté fait remarquer qu'il est primordial que le dispositif de mise à niveau s'adapte aux besoins des petites et moyennes entreprises.
115 dossiers approuvés depuis Le Sénégal vise 2004
Le Sénégal dont 70% de son tissu industriel est constitué de PME-PMI est résolument engagé dans cette démarche. Le directeur du bureau de mise à niveau du Sénégal, Ibrahima Diouf prône une adhésion nationale à l'image de la Tunisie pour soutenir la mise à niveau. Selon lui, au Sénégal, 115 dossiers d'entreprises ont été approuvés depuis le démarrage du programme en 2004 dont 25% font de l'exportation. Ce qui, à son avis, représente un montant global de 83 milliards de F Cfa d'investissements prévus, dont 63,4 milliards de F Cfa d'investissements approuvés et 14,3 milliards de F Cfa de prime octroyées en contrepartie, dont 7,35 milliards de F Cfa décaissé au profit des entreprises bénéficiaires et 36,3 milliards de F Cfa d'investissements réalisés.
Ainsi, M. Diouf renseigne que sur les 115 dossiers approuvés, il est noté une augmentation de 9% des emplois permanents et 7,9% des emplois cadres montrant que le programme de mise à niveau se présente aussi comme un levier pour contribuer de manière significative à la création d'emplois. A cela s'ajoute qu'une quarantaine de nouveaux produits ont été développés par les entreprises dans le cadre de leur Plan de mise à niveau.
En dépit des bienfaits de la mise à niveau, des pays de la sous-région accusent un retard par rapport à ce concept. Face à cette situation, un ancien expert de l'UEMOA, M. Bala Diongue estime que la mise à niveau est une solution ou une réponse à la mise en œuvre de l'APE. Il recommande de s'imprégner de l'expérience de l'UEMOA sur la question afin d'avoir une approche régionale d'application nationale.