Afrique: Visa francophone – Utopie ou réalité ?

Forum économique de la Francophonie
3 Décembre 2014

La mobilité des biens, services, investissements et personnes est jugée indispensable pour l'établissement d'une économie de la francophonie dynamique. Comme principale conditionnalité, acteurs du secteur privé, responsables de la sécurité et institutions internationales qui ont échangé, à bâton rompu, sur la question délimitent les chances de réussite d'un tel pari.

Un visa francophone est indispensable pour assurer la libre circulation des personnes et des biens. Des chefs d'entreprises ont défendu, sans langue de bois, cette idée au deuxième jour du Forum Economique de la Francophonie qui se tient les 1 et 2 décembre à Dakar. Cette proposition est tellement « pharaonique » dans un contexte mondial complexe avec la propension des pays à renforcer leur dispositif sécuritaire, que certains observateurs la jugent « utopique ». La tendance générale qui s'est dégagée des échanges est que : « les Occidentaux ont peur de la percée des Pays Emergents dont la Chine en Afrique » alors qu'ils ne veulent pas lever les barrières qui entravent leurs échanges avec les pays du continent. Une situation jugée paradoxale dans un contexte où l'économie de la Francophonie piétine.

Le président de la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal (CNES), M. Mansour Kama fustige : « Nous avons l'impression que lorsque nous (entrepreneurs africains, ndlr) allons demander un visa, il y a une vieille lune française qui veut que derrière chaque demandeur, il y ait un émigré potentiel ». Ce qui, à son avis, n'est pas le cas car « un chef d'entreprise demande un visa pour la France soit pour aller rencontrer son partenaire ou chercher des équipements ». Un état d'esprit qui amène les acteurs africains à diversifier leurs relations et à aller voir vers d'autres horizons. « C'est ce qui fait qu'une femme ou un jeune qui veut acheter des équipements pour monter une petite entreprise pensera d'abord à aller en Chine ou en Inde en ayant facilement un visa de transit par Dubaï plutôt que de prendre Air France et aller à Paris ; d'où un manque à gagner pour la France », relève M. Kama.

Youssouf Ouedraogo, Conseiller spécial du Président de la Banque Africaine de Développement, pour sa part, lie cette situation à une absence de volonté politique. Cet ancien Premier ministre du Burkina Faso demande aux occidentaux, surtout la France, de ne pas s'étonner de voir les Africains se tourner vers d'autres horizons. « Que les gens ne s'étonnent pas aujourd'hui de voir que la plupart des étudiants ne vont plus en France. Même le Canada, les Etats-Unis, la Chine donnent plus de facilités, de même que la Turquie qui veut s'implanter ». A son avis, les Etats du Nord francophone ont un grand travail à faire, comme l'illustre les scènes « humiliantes » observées aux niveaux des ambassades.

Pour relativiser sa position, il reconnait la nécessité d'opérer un contrôle au niveau des frontières pour des questions de sécurité, du moment que même les espaces économiques intégrés africains (CEDEAO, Union Economique du Maghreb Arabe, la CEMAC…) s'y mettent. « C'est normal qu'il y ait des points de contrôle de sécurité mais ça ne doit pas être l'objectif final parce que l'impression qu'on a, c'est que le Nord a mis des barrières et élevé son mur de tel sorte que le passer oblige à mourir en Méditerranée ».

Le blocage persiste malgré un cadre juridique et réglementaire déjà établi

Cette panoplie de contraintes ne décourage pas pour autant les acteurs économiques de la région francophone. Richard Attias, Producteur Exécutif du Forum Economique de la Francophonie se demande si les pays qui ont la langue française en partage peuvent espérer voir un jour leurs chefs d'entreprises disposer d'une carte francophone économique à l'image de ce qui se passe dans la région APEC, en Asie Pacifique, où cet outil permet à tout entrepreneur de passer les frontières rapidement avec un Guichet unique de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique. Une facilité qui va des Etats-Unis à la Chine en passant par le Vietnam, l'Amérique Latine.

Le blocage constaté dans l'édification d'un visa francophone étonne Youssouf Ouedraogo du moment que le cadre juridique et la réglementation pour des incitations sont déjà établis. Devant cet état de fait, cet ancien Premier Ministre prolonge sa réflexion jusqu'au niveau de l'application. « Le constat est qu'on subit les mêmes humiliations. On fait des queues interminables devant certaines ambassades. On refuse nos demandes et sans suite. On ne peut pas continuer avec ce schéma. L'absence de bons modèles empêche de répondre à cette problématique ». Ce qui l'amène à se demander : Est-ce difficile d'instaurer un visa francophone ? De quoi a-t-on peur ? Avant d'ajouter : « Si l'Afrique est aujourd'hui au cœur de cette Francophonie, il va falloir faire quelque chose ».

Toute action à entreprendre devra impérativement partir d'un existant à renforcer avec des réformes. De l'avis de Mansour Kama, des réformes sont à mener en matière de droit du travail, du cadre juridique qui constitue un élément de sécurisation des risques auxquels sont exposés les entrepreneurs ou investisseurs. « L'OHADA constitue déjà un jalon important sur le plan juridique pour permettre de normaliser les activités. Nous devons continuer à faire les réformes nécessaires par rapport à sa consolidation et surtout à une formation des chefs d'entreprises, administrateurs pour que la gouvernance et la transparence soit au cœur de la gestion des entreprises ». Selon le patron de la CNES, il sera nécessaire aussi de regarder, en termes de réforme, ce qui permet de débloquer les investissements et faire en sorte que les activités puissent se démultiplier.

Sur le plan du droit du travail, M. Kama estime qu'il y a des efforts à faire pour que la mobilité évoquée puisse être un des éléments phare et que mobilité et flexibilité constituent la réponse complémentaire au cadre de production, des activités et services.

Dans cette même dynamique, il est jugé important de « libérer les ailes du secteur privé » francophone. Une thématique que les initiateurs du Forum Economique ont posée en pensant aux régimes fiscaux, au soutien à l'innovation et à l'aide au financement qui, selon eux, sont autant de piliers nécessaires à la mise en place et à la floraison du secteur privé. Les échanges sur ce sujet ont cherché à voir comment faciliter la circulation des capitaux au sein de l'espace francophone, notamment la collecte et la mobilisation de l'épargne ? Et quels outils mobiliser pour faciliter l'accès au financement du secteur privé ?

Ces questionnements permettent à Mme Evelyne Tall, Directeur Général adjoint d'Ecobank d'appeler à « laisser circuler ceux qui doivent circuler notamment les chefs d'entreprises et hommes d'affaires, les étudiants… » A son avis, cette libre circulation doit d'abord être renforcée au niveau de l'Afrique avant le reste de la zone francophone. Ainsi se demande-t-elle : « A quand le passeport francophone africain ? » Dans cet élan de construction d'une francophonie économique, Mme Tall pense qu'il sera nécessaire d'harmoniser les régimes fiscaux et lois bancaires, et faire de la Francophonie un catalyseur pour accompagner les entreprises des pays membres.

M. Karim Baina, Président de SAORIO Holding, EVP Swissport Maroc, pour sa part, appelle à sonner la révolution dans le monde du transport aérien pour dynamiser les échanges. Un objectif dont la conditionnalité est, selon lui, de parvenir à obtenir une « indépendance aérienne » de l'espace francophone !

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