La pauvreté en Afrique du Nord est caractérisée par la prévalence de la pauvreté rurale et touche les hommes et les femmes de manière inégale. Bien que les femmes rurales soient un élément fondamental pour la survie et la gestion de l'unité familiale, elles restent confrontées à une réelle difficulté d'accès aux ressources productives de manière générale.
Avec l'essor de la micro finance en milieu rural, plusieurs études et rapports ont montré l'importance de l'accès des femmes aux ressources financières depuis les années 90, mais elles ont souligné également les limites et les obstacles auxquels ces femmes font face. La CEA - à travers son Bureau pour l'Afrique du Nord - vient d'enrichir la recherche portant sur ce domaine par la publication d'une étude intitulée : « Améliorer l'accès au financement pour renforcer l'autonomisation des femmes rurales en Afrique du Nord : Bonnes pratiques et leçons à tirer ». Elle couvre l'Algérie, l'Egypte, le Maroc et la Tunisie.
De manière empirique, il est établi que les femmes sont plus susceptibles de consacrer davantage d'argent à l'amélioration de la santé et de l'alimentation du ménage, ainsi qu'à la scolarisation des enfants, comme l'ont démontré plusieurs études réalisées en Afrique, en Amérique Latine et en Asie du Sud. Celles-ci ont toutefois souligné l'existence d'un grand nombre d'obstacles auxquels les femmes font face dans ce domaine, dont notamment :
- Les services de micro finance demeurent presque exclusivement assurés dans les zones urbaines, et semblent avoir moins d'impact sur les femmes les plus pauvres et les plus défavorisées surtout, car elles n'y ont pas accès.
- Les conditions de vie des femmes rurales et leur accès aux infrastructures sociales de base constituent des obstacles majeurs pour leur accès aux /contrôle des ressources financières.
- L'accès des femmes à plus de ressources financières grâce à l'essor de la micro finance reste inégal comparé aux hommes, et les prêts qu'elles obtiennent sont inférieurs à ceux octroyés à ces derniers.
- La plupart des services auxquels elles ont recours ne leur accordent pas des prêts suffisamment importants pour acheter des actifs tels que des terres et des logements. Ces prêts doivent souvent être garantis ou cautionnés par un "tuteur" de sexe masculin.
- Souvent, la conception des produits de crédit n'intègre pas les besoins ou les contraintes spécifiques des femmes.
Ces constats s'appliquent dans une large mesure à beaucoup de pays d'Afrique du Nord, tel que l'a montré l'étude régionale de la CEA- Bureau Afrique du Nord qui propose une grille de lecture des discriminations auxquelles les femmes rurales font face en matière d'accès aux ressources financières. Ont été ainsi analysés les différents obstacles structurels et institutionnels marquant cette situation, dont les caractéristiques majeures sont essentiellement :
1- L'accès inégal aux ressources productives
Dans les pays en voie de développement, y compris ceux d'Afrique du Nord, les femmes rurales représentent 43% de la population active et fournissent la plus grande partie de la production agricole. Or, les femmes ont un accès moindre que les hommes aux ressources productives ainsi qu'aux opportunités d'emploi. À peine 20% des femmes rurales sont propriétaires des terres qu'elles cultivent, et seulement 10 % en Afrique du Nord. Par ailleurs, la plupart des travailleuses rurales sont des travailleuses familiales non rémunérées ou indépendantes, et sont exposées ainsi à des emplois précaires et mal rémunérés.
2- L'accès encore difficile aux ressources financières sous toutes leurs formes
Les indicateurs d'inclusion financière en milieu rural sont très faibles, et les femmes n'ont pratiquement pas accès aux ressources formelles. Les institutions de micro finance y sont les plus nombreuses et essaient de s'adapter à la demande spécifique du milieu et à celle des femmes qui y vivent et y travaillent. En milieu rural, le micro crédit reste la ressource formelle la plus importante (sauf en Algérie où les dispositifs financiers relèvent de l'Etat), et elle l'est aussi pour les femmes. L'étude de la CEA relève que l'accès des femmes au micro crédit est différent selon les pays. En Tunisie par exemple, l'accès des femmes au micro crédit en milieu rural est différent selon les deux acteurs principaux, les associations de microcrédit (AMC) et ENDA : les femmes rurales bénéficiaires des micros crédits des AMC sont peu nombreuses, alors que celles bénéficiaires des crédits d'ENDA constituent 65% du total des bénéficiaires. Au Maroc et en Egypte, l'accès est inégal entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes urbaines et femmes rurales, malgré le développement très important du secteur de la micro finance en milieu rural.
3- L'impact incertain de la micro finance
L'impact de la micro finance est censé aller au-delà de l'expansion de l'activité économique et les niveaux de consommation et améliorer le niveau de vie et d'autonomie des femmes qui en bénéficient, leur capacité à prendre des décisions et leur mobilité, ainsi que les niveaux d'éducation de leurs enfants. Mais à partir des quelques observations qualitatives que l'étude a dégagées, il apparait que si la ressource financière permet d'augmenter les revenus des ménages et d'améliorer leurs conditions de vie, elle a cependant un impact négatif sur les femmes car :
- elle ne permet pas l'épargne et l'investissement qui pourraient libérer les femmes du crédit dont le coût est élevé ;
- elle ne change pas les rapports sociaux entre hommes et femmes : augmentation de la charge de travail des femmes et baisse de la participation financière des hommes qui continuent à détenir le pouvoir dans la famille.
4. La rareté des données statistiques
S'agissant de l'accès des femmes aux ressources financières en milieu rural dans les quatre pays couverts par l'étude, ce sont les sources informelles qui dominent, et il n'existe aucune donnée nationale, régionale ou locale les concernant. Même pour les ressources formelles (propriété de la terre, du cheptel, crédit, micro crédit, etc.), les indicateurs d'accès et d'inclusion financière sont inexistants ; et lorsqu'ils sont disponibles, ils ne sont pas désagrégés, ni selon le sexe, ni selon le milieu de résidence.
En conclusion, l'étude de la CEA-AN souligne qu'il est impérieux de renforcer l'application des politiques nationales pour mieux asseoir l'égalité, car l'autonomisation économique des femmes et leur seule participation à un programme de micro finance parrainé par une association n'ouvrent pas forcément la voie à l'autonomisation sociale et politique. Aussi, l'amélioration de l'accès des femmes rurales aux ressources financières doit- elle passer par la réduction des inégalités de genre dans tous les domaines, l'amélioration de leur statut juridique, économique et social et l'évolution réelle du comportement de l'homme et des rapports sociaux hommes- femmes.
L'étude souligne également un dernier constat majeur : la remise en question des droits des femmes dans le contexte politique que connait la région d'Afrique du Nord risque d'avoir un impact plus négatif sur la condition des femmes rurales et de rendre encore plus complexes les enjeux de développement et de justice sociale .