Imaginer un monde meilleur pour l'Afrique et par les femmes. C'est ce qu'ont tenté les participants de la table ronde que le Groupe Allafrica Global Media a organisé le 7 mars 2015 à Dakar, pour célébrer la journée internationale de la femme. Un exercice au terme duquel un plaidoyer fort est lancé comme le point d'orgue devant lever les barrières pour une autonomisation durable de la femme, vecteur d'un développement humain du continent.
« Le développement ne peut se réaliser si 50% de la population concernée (les femmes) est exclue des opportunités que le développement est à même d'offrir ». Cette remarque a été lancée par le Représentant Résident du PNUD au Sénégal et Coordonnateur Résident du Système des Nations-Unies. Mme Fatoumata Bintou Djibo, invitée d'honneur, s'exprimait lors de la table ronde organisé le samedi 07 mars 2015 à Dakar, dans le cadre de la journée internationale de la femme. Les représentations diplomatiques du Nigéria, du Cameroun, du Zimbabwe à Dakar ont pris part à cette rencontre.
Cette situation actuelle de la femme est jugée paradoxale et discriminatoire au moment où l'Afrique compte 60% des terres arables de la planète, 12% de réserves pétrolières du monde, une réserve inestimable d'énergies renouvelables et 30% des réserves minérales. Un ensemble d'éléments que certains observateurs considèrent comme ce qui pourrait constituer la base de la valeur ajoutée pour la transformation structurelle de l'Afrique. A condition que, à leur avis, les politiques misent sur sa population jeune et les femmes.
Face à ces potentialités non négligeables, les femmes représentent 52% de la population du continent mais elles n'ont malheureusement pas un accès égal aux opportunités économiques, politiques, sociales et culturelles. Un état qui confirme l'opportunité de l'exercice d'évaluation de l'amélioration de la situation économique des femmes, la promotion de l'égalité des sexes, l'élimination de toute forme de discrimination contre les femmes, la promotion de la participation politique des femmes. Une démarche qui, selon l'Administrateur pays d'Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) au Sénégal, Hawa Ba, entre dans le cadre de la dynamique de l'Union Africaine (UA) faisant de 2015 : Année de l'Autonomisation des Femmes et du Développement de l'Afrique pour la concrétisation de l'Agenda 2063, dans le cadre de la Décennie de la Femme Africaine (2010-2020).
Stopper la souffrance des femmes du monde rural
Il est noté que le nombre de ménages ayant pour chef une femme s'accroît rapidement dans les zones rurales dans de nombreux pays en développement, du fait de l'exode rural masculin faute d'emplois et d'activités rémunératrices. En Afrique subsaharienne, 31% des ménages ruraux sont dirigés par des femmes. Ce tableau pousse le Représentant Résident du PNUD au Sénégal et Coordonnateur Résident du Système des Nations-Unies, à placer le monde rural au centre des préoccupations. « Nous ne devons pas oublier les femmes du monde rural parce qu'elles continuent à souffrir du manque de soin de santé, les enfants meurent avant l'âge de cinq ans, les tâches ménagères ne sont pas allégées… » A son avis, les femmes du monde rural ont besoin des femmes leaders pour qu'elles puissent émerger, dépasser et améliorer leurs conditions de vie.
En milieu rural, souligne Mme Djibo, l'accès et le contrôle des ressources productives notamment la terre est cruciale, pour renforcer le pouvoir économique des femmes. En Afrique, 70% de la production agricole dépend des femmes mais elles ne possèdent que 2% de la terre. Un constat qu'elle juge surprenant du moment que les femmes produisent 60 à 80% des aliments dans la plupart des pays en développement. A l'en croire, les femmes rurales consacrent l'essentiel de leurs revenus au bien-être de leurs familles et de leurs sociétés. « Ce qui compromet l'épanouissement et le développement de leurs activités ».
Le Coordonnateur Résident du Système des Nations-Unies s'engage, à côté de la Directrice des opérations de la Banque Mondiale pour le Sénégal, Mme Véra Songwe, a mené un plaidoyer auprès des autorités pour amener à une meilleure prise de conscience sur les problèmes des femmes. Dans cette démarche, l'aspect agriculture-production-foncier occupe une place de choix. Ce qui suppose des efforts à faire pour que la femme ne soit pas lésée en milieu rural en faisant d'elles des propriétaires terriens.
Des défis énormes malgré les réalisations
Au fil des débats, il est apparu que malgré les nombreuses réalisations en faveur des femmes, les défis restent énormes. Les panélistes se sont réjouis du fait qu'il existe des potentialités et la volonté des femmes africaines à mieux s'organiser, à se mobiliser et s'investir davantage dans tous les secteurs. « Elles demandent juste à ce qu'on leur offre une chance pour un égal accès aux ressources et aux moyens », note Hawa Ba. Citant le Pr Samir Amine qui définit le développement comme étant la construction d'une nouvelle civilisation, Mme Ba y ajoute : « c'est une civilisation dans laquelle les femmes ont pleinement les moyens pour jouer leur rôle ».
Un sacerdoce qui, de l'avis de la Directrice des opérations de la Banque Mondiale pour le Sénégal, Mme Véra Songwe, passe par l'évaluation de l'accès des femmes à l'outil de production notamment le foncier. Pour elle, il s'agira également de veiller à l'uniformisation des règles du jeu en réglant la question de la représentation des femmes dans les instances de décision économique et sociale.
Concernant l'éducation des filles et des femmes, Mme Songwe estime que le problème ne se limite plus à l'accès mais à la qualité de l'enseignement dispensé aux filles. D'après elle, dans le combat de l'égalité des femmes, il faut agir dans la chaine de valeur qui va de la formation de la femme ministre, à la fille qui va à l'école en passant par la femme prix Nobel, l'assistante sociale…
Sur cette lancée, la Présidente de l'Union des Femmes chefs d'Entreprises du Sénégal (UFCE), Mme Nicole Gakou, s'est offusquée de l'absence de données réelles permettant de mesurer l'apport des femmes dans l'économie. C'est ainsi qu'elle attire aussi l'attention des observateurs sur le fait que « l'amalgame fait entre les activités génératrices de revenus, la lutte contre la pauvreté et l'entreprenariat féminin ou émergence de femmes dirigeantes d'entreprises a dévoyé les objectifs des outils de promotion de la femme mis en place ».
Pour Mme Gakou, l'émergence tant chantée par les politiques se fonde aussi sur l'accompagnement des femmes dans leur participation aux activités de production, à l'héritage, dans les réformes foncières, à l'acquisition du savoir… Une panoplie de défis qui lui font dire que : « il est temps que les autorités parlent avec nous et non de nous ».
Unique homme du panel, M. Boureima Diadié, Représentant Adjoint du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) estime que la journée du 8 mars est également celle des hommes. Dans son invite, il a beaucoup insisté sur l'aspect complémentarité en estimant que « la contribution de la femme dans le développement économique et humain est l'affaire de tous ».
Devant cette problématique, M. Diadié met ainsi l'accent sur l'importance pour les pays à réussir la transition sur le dividende démographique notamment sur l'éducation des filles, la santé de la reproduction, les mariages précoces… En plus de cela, il met le doigt sur la persistance des violences faites sur les femmes notamment les mutilations génitales féminines, les inégalités relatives au statut de la femme en freinant leurs potentialités, l'égalité de genre notamment sur le domaine de l'éducation.
Sur cet élan, la Conseillère en Sciences Humaines et Sociales pour l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), Mme Marema Touré Thiam estime que « les femmes n'ont uniquement pas un rôle à jouer dans le développement mais elles en sont le moteur ». A son avis, sur la question soulevée, beaucoup choses ont été acquises mais les défis restent énormes. Ce qui, pour elle, nécessite une réforme de la société.Mme Thiam pense ainsi que l'autonomisation des femmes c'est le début et la condition pour construire une société juste, de paix. «L'autonomisation des femmes pourrait se traduire en autonomisation de l'humanité et un progrès pour tous à la seule condition qu'il ne soit pas un simple slogan mais reflète la réalité ».
Les filles invitées à s'inspirer des femmes leaders
Aux jeunes filles Mme Fatoumata Bintou Djibo de lancer : « Il faut vous appuyer des femmes leaders pour avoir de l'ambition pour aller de l'avant. Il faut oser car le leadership est important dans tous les secteurs dans lesquels les femmes s'investissent ». Avant de préciser : « Les femmes peuvent arriver au même niveau que les hommes mais il faut de l'abnégation, du travail et de l'engagement. Plus il y aura de femmes leaders, plus les conditions des femmes seront améliorées ».
Mme Moussoukoro Diop, ingénieur en informatique, de son côté, encourage les filles à entrer dans le monde du digital. Elle avance que grâce à l'internet, des femmes se sont battues contre des causes comme les violences faites sur elles. « C'est un moyen qui nous offre une autre tribune et la possibilité de mener des combats en faveur des femmes et des filles. L'internet permet aussi de créer d'autres métiers et offre plusieurs opportunités de création d'emploi ».
Acteur des sciences sociales, le directeur exécutif du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), Dr Ebrima Sall, abordant la question par la recherche, souligne que la problématique de l'autonomisation de la femme en Afrique a déjà été posée il y a 20 ans. Pour lui, le point de départ c'est l'autonomie que les femmes africaines ont sur les questions évoquées. M. Sall invite les acteurs à se départir des concepts élaborés depuis l'occident et consolider des modèles africains. Avant d'insister sur la nécessité d'asseoir une paix durable en Afrique pour espérer un développement.
Invitée d'honneur de cette table ronde, Mme Djibo a relevé que la formation adaptée et pointue ainsi que le renforcement de capacité sont revenus dans presque tous les discours. Selon elle, il y a urgence à fournir d'autres types d'encadrement dont les femmes auront besoin pour arriver à un niveau supérieur et mieux réaliser leur autonomisation.
Sur la question du financement, Mme Djibo estime que le système des Nations Unies ne peut que faire le plaidoyer auprès des gouvernements pour que la tranche de femmes biens formées puisse avoir plus d'opportunités à pouvoir s'investir dans le secteur privé. Aujourd'hui, pour réussir le développement, souligne-t-elle, le secteur privé doit tirer la croissance mais tirer aussi toutes les opportunités et le potentiel d'un pays. « La femme a un rôle important à jouer dans ce domaine ».