La consolidation des performances économiques devant conduire à un développement de la sous-région peut passer par l'édification d'une monnaie commune de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). La réussite de cette solution suppose ainsi la suppression du franc CFA, en vue d'une intégration financière régionale plus poussée.
La situation économique de l'Afrique de l'Ouest a évolué, durant ce cinquantenaire, dans une morosité endémique. Un tableau qui met à nu les défaillances notées dans la manière dont le développement économique de la région est jusque-là financé. Une situation que certains spécialistes expliquent par l'absence de mécanisme intérieur de financement du développement des pays de la CEDEAO.
Le Directeur du Centre de recherche sur la politique économique (CREPOL), M. Diéry Seck, lors de l'atelier de dissémination de l'étude sur l'«Intégration régionale en Afrique de l'Ouest : Défis et Opportunités pour le Sénégal », tenu le lundi 23 mars 2015 à Dakar, prenant l'exemple de la zone UEMOA, indexe la capacité de financement au niveau interne des pays. « Les pays sont obligés d'emprunter à l'extérieur de sources privées pour le refinancement de leur programme de développement ».
Devant cet état de fait, M. Seck pense qu'il faut d'abord un modèle d'évaluation du risque pays et d'évaluation de la dette souveraine. Le directeur du CREPOL pense que redynamiser l'économie de la sous-région signifiera le passage du franc CFA à la monnaie commune de la CEDEAO. Un levier qui sera appuyé par la gestion des réserves sur le principe du Compte d'Opérations avec la possibilité pour un pays d'utiliser une partie des réserves de ses voisins afin de payer sa dette extérieure. Une facilité qui, de l'avis de M. Seck, augmente la capacité de paiement de chaque pays mais aussi contribue à diminuer le risque-pays.
Sur la base d'une simulation numérique avec une « Probabilité de Défaut sur la Dette Souveraine Sous Plusieurs Niveaux d'actifs et de Paiement », Diéry Seck pense que les pays de la CEDEAO peuvent augmenter leur capacité de financement par l'emprunt extérieur en créant une monnaie unique comme le souhaitent des Chefs d'État. Pour lui, c'est une des voies les plus prometteuses pour assurer la croissance. Avant d'ajouter que « cette solution collective semble préférable aux solutions individuelles nationales ».
Si beaucoup misent sur la mise en place d'une monnaie commune à la place du franc Cfa pour résoudre le problème, d'autres appréhendent la question sous-un autre registre. Dans les positions recueillies lors de l'atelier sur l'«Intégration régionale en Afrique de l'Ouest : Défis et Opportunités pour le Sénégal », cofinancée par la Banque Africaine de Développement (BAD) et le Canada, les délais retenues pour la monnaie CEDEAO sont « souvent utopiques ». Si l'on sait que l'Europe a mis une quarantaine d'année pour parvenir à l'Euro.
Certains observateurs indiquent des préalables à résoudre notamment le règlement des problèmes de convergence surtout sur certains agrégats macroéconomiques, l'intégration au niveau de tous les secteurs économiques, le problème des taux de change, l'arrimage à l'Euro... Dans la même foulée, des « récalcitrants » considèrent qu'à la place d'une monnaie unique il faut penser à la convertibilité des monnaies existantes. La présidente de l'Association des femmes de l'Afrique de l'ouest (AFAO) estime, pour sa part, qu'il faut clairement définir le rôle de la Banque Centrale dans le processus de la création d'une monnaie communautaire.
L'absence d'investissements intra-régionaux
La situation du développement peu enviable de la CEDEAO, comme l'explique l'étude sur l'«Intégration régionale en Afrique de l'Ouest : Défis et Opportunités pour le Sénégal », résulte de la faiblesse des investissements intra-régionaux.
Dans sa communication sur l'« Intégration financière et investissement intra-régionaux », l'Économiste en Chef en Intégration Régionale de la BAD, M. Gabriel Victorien Mougani, a mis le doigt sur la part incongrue qu'occupent les flux financiers entre pays de la région. Un constat un peu étonnant du moment où les nouveaux projets d'IDE intra-africains prennent de l'ampleur.
Selon M. Mougani le taux des Investissements intra-africains (IAI) s'est fortement accru en valeur, passant d'une part de 4,4% en 2003 à 22,3% en 2013. Des IDE généralement dominés par le secteur de l'alimentation et des produits de détail.
Dans la même foulée, il est relevé que le nombre de nouveaux projets d'IDE au sein de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) a triplé entre les deux périodes sous revue, et plus que doublé au sein de la CEDEAO et la CAE. Cependant, par rapport au total des sorties de nouveaux projets d'IDE, la part diminuée dans la CAE, a légèrement augmenté dans la CEDEAO, et augmenté assez sensiblement dans la SADC. Avant de faire remarquer que les IDE intra-régionaux sont beaucoup plus diversifiés par rapport à leurs destinations que les entrées d'IDE sur le continent.
L'Économiste en Chef en Intégration Régionale de la BAD relève que les investissements intra-africains sont une source importante de l'IDE pour les Pays africains à faible revenu (PFR). A l'en croire, c'est particulièrement le cas pour les pays d'Afrique orientale comme le Burundi (79% des IDE dans le pays sont originaires d'Afrique), le Rwanda (62%), l'Ouganda (45%) et la Tanzanie (34%). D'autres exemples comprennent la Namibie (43%), le Zimbabwe (40%), et la Zambie (35%).
Cette embellie laisse apparaître des disparités qui sont la résultante de la faiblesse des flux financiers intra-régionaux. Entre autres facteurs figurent l'instabilité politique qui décourage les investissements dans certains pays. Les pays de la CEDEAO souffrent également des politiques et codes d'investissement différents d'un pays à un autre avec des incitations qui sont en concurrence.
Les dispositions différentes entre les systèmes anglophones et francophones pour le rapatriement du capital et des profits apparaissent comme un point de blocage au développement des flux financiers intra-régionaux. De même que l'existence de dispositions qui freinent les investissements dans certains pays (capital minimum, etc.) Dans cette dynamique, le Nigeria, qui est le principal pays investisseur dans la sous-région, souffre beaucoup de quelques problèmes d'image… Sur ce point, des observateurs suggèrent le renforcement du binôme Nigéria-Ghana pour tirer le reste de la région.
Des mesures pour une intégration plus solide dans tous les domaines
Devant cet état de fait, pour une intégration beaucoup plus solide et génératrice de croissance, la BAD invite à s'attaquer à la source des lenteurs de mise en œuvre et aux déficits structurels de la compétitivité. Présentant les résultats de l'étude, l'Économiste pays Principal à la BAD, M. Toussaint Houeninvo, pense qu'il faut éliminer effectivement les mesures non tarifaires, renforcer la solidarité et la compensation régionales. Dans cette même veine, les autorités étatiques doivent travailler à mener à bien le programme de modernisation du réseau routier le long des corridors, améliorer l'entretien des routes le long des corridors, surtout l'entretien périodique. Il est également jugé nécessaire de prendre les mesures pour renforcer le positionnement dans les produits à fort avantage comparatif et se déspécialiser dans les produits à désavantage comparatif.
Les pays sont invités à poursuivre les réformes pour avoir un climat des affaires adéquat devant attirer le maximum d'investissements structurants. Des initiatives devront être prises pour poursuivre les réformes institutionnelles du secteur de l'électricité, harmoniser et normaliser les règles d'exploitation de l'énergie au sein de la CEDEAO. Il sera aussi question de mettre en place des initiatives régionales pour le développement des activités économiques le long des corridors et dans les régions avoisinantes, élaborer des plans d'actions détaillés pour des mesures spécifiques pour les transports, l'énergie, et le renforcement des capacités.
L'intégration par les échanges ne sera pas en reste. L'entrée en vigueur du Tarif Extérieur Commun (TEC) et la signature prochaine de l'Accord de Partenariat Économique (APE) avec l'Union européenne sont jugés comme étant des opportunités à cela. Le Colonel des Douanes, Moustapha Ngom, Coordonateur de la Cellule de Suivi de l'intégration du Sénégal, pense que la persistance des entraves constatées compromet gravement l'accroissement des échanges intra-communautaires et remet en cause les efforts pour la construction d'un marché commun unifié.
Pour lui, dans le contexte de mise en œuvre du TEC de la CEDEAO et des APE, « il urge de mettre en place des mesures hardies pour une libéralisation pleine et parfaite des échanges commerciaux entre les Etats membres ». Il invite aussi à la promotion d'un développement centré sur la transformation structurelle de nos économies.