Tribune signée par la Présidente de la République du Libéria Ellen Johnson Sirleaf, le Président de la République de Guinée Alpha Condé et le Président de la République de Sierra Leone Enest Bai Koroma.
L'épidémie d'Ebola en Guinée, au Sierra Leone et au Libéria est la plus sévère enregistrée depuis que la maladie a été diagnostiquée pour la première fois en Afrique Centrale en 1976.
L'impact de l'épidémie sur le plan socio-économique a été dévastateur, tirant un trait sur les progrès significatifs que nos trois nations venaient d'accomplir alors qu'elles sortaient enfin de décennies de conflits ou de régimes autoritaires et mauvais gestionnaires.
La région a enregistré à ce jour un total de 24 872 cas et 10 311 décès, soit près de dix fois le nombre total de décès causés par toutes les autres épidémies d'Ebola. L'épidémie a frappé au moment où nos Etats avaient engagé des réformes de grande envergure et laissé derrière eux un passé chaotique.
La propagation incontrôlée de la maladie a exposé les faiblesses de nos systèmes nationaux de santé et de sécurité, nos structures régionales et la capacité de coordination et de réponses des institutions mondiales de santé publique. Nous étions tous mal préparés pour faire face à cette implacable maladie.
Aujourd'hui, nous sommes plus près de gagner la lutte internationale contre le virus Ebola, grâce à une réponse locale et internationale coordonnée, améliorée et adaptée. Bien que la lutte pour contenir et éradiquer la maladie ne soit pas encore terminée dans toute la région, sa propagation a ralenti, et nous devons maintenant commencer à planifier notre rétablissement.
Nous, les chefs d'États des trois pays touchés, nous sommes réunis à Conakry en Guinée, le 15 février, avec la Côte d'Ivoire, afin d'adopter une stratégie commune pour l'éradication de l'épidémie dans la sous-région, et travailler au rétablissement socio-économique post-Ebola. Cette rencontre a été suivie par une réunion des bailleurs de fonds, à Bruxelles, le 3 mars, et une coordination de nos comités techniques à Freetown, au Sierra Leone, le 16 mars.
Nous allons continuer à consolider ces efforts quand nous serons à Washington DC, mi-avril, pour les sessions du printemps du FMI et de la Banque mondiale.
En tant que nations, nous sommes déterminées à atteindre le zéro cas d'Ebola. Nous sommes en train de partager l'information, l'expertise technique, et des systèmes de santé communautaires novateurs, tout en intensifiant les stratégies d'éducation du public. Nous sommes déterminés à redresser les services de santé et à construire des systèmes de soins plus solides, accessible et fiables pour nos citoyens. Nous avons également mis en place des programmes et des pratiques WASH afin de protéger nos enfants, mesures qui peuvent ensuite être partagées dans les familles.
Pour se rétablir d'Ebola, il faut aussi revitaliser nos économies lourdement impactées. Nous devons recréer les conditions pour offrir un cadre de vie sûr et stable à nos populations, créer des emplois, relancer l'investissement et renforcer le secteur privé, qui doit redevenir le moteur de notre développement.
En tant que région, nous sommes engagés à renforcer notre coordination et améliorer le partage d'information en temps réel. Nous avons vu à quel point la propagation du virus Ebola a été facilitée par l'histoire et les cultures partagées par nos pays, la maladie ayant pu ainsi facilement traverser les frontières et se déplacer des régions rurales plus reculées vers les centres urbains. L'épidémie a obligé à fermer certaines frontières, interdisant l'accès aux soins et aux proches. Nous n'acceptons pas que notre proximité et nos relations étroites deviennent un handicap.
Nous voulons que nos infrastructures, nos politiques de santé, nos atouts économiques bénéficient à nos populations au travers des frontières, et créent des liens qui encouragent la collaboration et la production des moyens de subsistance. Et ce, grâce aux systèmes de soutien communautaire et des couloirs économiques pour le développement.
À nos partenaires internationaux, nous demandons votre soutien pour un plan de relance économique commun, avec l'accent porté sur des solutions pratiques capables de renforcer la croissance économique et la création d'emplois. Cela doit être accompagné de mécanismes pour financer la reconstruction de nos systèmes de santé, d'éducation et de protection, mis à mal par l'épidémie.
Cinq éléments sont indispensables à notre effort de relance.
Le premier concerne la construction de systèmes de santé publique résilients, en mettant l'accent sur la formation des travailleurs de santé communautaires, l'extension de la couverture dans les zones rurales, et la création de centres régionaux d'excellence pour les maladies infectieuses. Cela comprend également des programmes d'eau et d'assainissement à l'échelle nationale, ainsi que des centres bien équipés dédiés au contrôle des maladies infectieuses dans chaque pays.
Deuxièmement, nous devons porter des efforts importants sur les infrastructures pour relier nos pays par les routes, les réseaux d'électricité et les télécommunication. Nous demandons à la Banque africaine de développement de prendre l'initiative en créant un fonds pour les infrastructures, qui soit une extension de l'Initiative du fleuve Mano. Lancée en 2013, celle-ci a comme objectif l'intégration régionale des quatre pays, principalement par le transport et les infrastructures d'électricité. Aussi, il convient de reconnaître que les programmes prévus à l'origine, voici une dizaine d'années, doivent être exécutés d'urgence.
Troisièmement, il faut encourager la reprise économique en soutenant le secteur privé qui a été pénalisé par la hausse du coût des affaires dans la région. Concrètement, cela signifie un meilleur accès aux crédits pour le secteur privé local, un appui technique pour les politiques de réformes, et des indispensables incitations pour garantir et attirer l'investissement privé. Le retour à la normal des transports aériens dans et hors de nos pays est tout aussi important pour les activités économiques dans la région.
Quatrièmement, si le secteur privé doit permettre d'améliorer les conditions de vie et de réduire la pauvreté à long terme grâce à l'emploi, les groupes vulnérables les plus touchés par la crise Ebola ont dès maintenant besoin d'une aide spécifique. Nous n'avons pas de véritable système de sécurité sociale et nous avons besoin d'appui technique et financier pour pouvoir effectuer des transferts en espèces ciblés et fournir toute autre forme de soutien nécessaire aux survivants, aux orphelins et aux familles les plus touchées par le ralentissement économique dans nos pays – ceci est urgent.
Enfin, nous demandons une annulation totale de notre dette extérieure, conformément à la recommandation de la Commission pour l'Afrique des Nations Unies et de l'Union africaine. Ce qui nous permettrait de récupérer de la flexibilité budgétaire, permettant le co-financement de la reconstruction des systèmes de santé, avec le soutien international.
Nous exhortons nos partenaires internationaux à s'engager dans nos plans de relance, dans le même esprit de collaboration et d'urgence qui nous a aidés à combattre le virus Ebola. Avec votre aide, nous pouvons construire des systèmes de santé, des infrastructures et des structures d'intégration régionale qui seront plus solides qu'avant le début de l'épidémie.
Nous portons une responsabilité collective pour les milliers de vies perdues et les dizaines de milliers d'autres touchées par cette épidémie. Nous avons aujourd'hui l'obligation collective de renforcer nos systèmes nationaux, régionaux et internationaux pour qu'ils protègent la vie et l'avenir de nos peuples.