Afrique de l'Ouest: Une approche globale des migrations demeure une priorité de développement

analyse

Les êtres humains se sont toujours déplacés et continueront à le faire, pour améliorer leurs conditions de vies et celles de leurs familles. Le phénomène ne se limite pas - comme pourraient le faire croire les medias - aux flux sud-nord.

L'Organisation Internationale des Migrations (OIM) a révélé en 2013, que plus de 230 millions de personnes résidaient hors de leur pays d'origine. Il s'agit d'une question de droits, une question sociétale, mais aussi une question centrale de développement. Aujourd'hui, il est impossible d'appréhender correctement la complexité de cette problématique, en focalisant l'analyse sur un espace géographique. Il est essentiel de choisir une approche qui se concentre sur les migrants eux-mêmes.

Aujourd'hui, l'immigration est devenue un thème trop controverse dans les processus de formulation des politiques publiques aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Dans les pays développés surtout d'Europe, il y a une forte tendance a la remise en cause des politiques et de l'apport de l'immigration ainsi que la capacité des pays à intégrer le nombre et le type d'immigrants qu'ils admettent sur leurs territoires. La restriction des politiques d'immigration en Europe combinée aux crises politiques et économiques au Sud, particulièrement en Afrique, a entrainé l'accroissement du phénomène de l'immigration clandestine avec des conséquences que l'on observe en termes de refugies et de morts. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le nombre de personnes tentant la traversée de la Méditerranée a considérablement augmenté. Ils étaient plus de 200 000 en 2014, soit trois fois plus qu'en 2011. A tiers de l'année 2015, plus de 36 000 réfugiés et migrants sont déjà arrivés par bateau dans le sud de l'Europe tandis que plus de 1 600 personnes ont péri. Ce chiffre représente près de la moitié du nombre de morts recensés (3500 personnes) sur toute l'année 2014.

%

Limiter les mouvements est égal à creuser les inégalités

Il y a deux ans, Branko Milanović, un économiste, a étudié des données statistiques concernant les revenus individuels dans le monde. Il est arrivé à une conclusion surprenante. Dans 59 % des cas, un lien étroit existe entre le niveau des revenus et le pays d'origine. Ces résultats surprenants permettent d'en déduire que le niveau d'éducation, les revenus des parents, les compétences mêmes, de façon générale, n'ont pas autant d'importance que le pays d'origine quand il s'agit des revenus des individus. Il y a donc une énorme inégalité en termes d'accès aux opportunités.

La migration du Sud vers le Nord : partie visible de l'iceberg

Bien que très médiatisée, la migration du Sud vers le Nord ne représente qu'une toute petite partie du phénomène. Contrairement aux apparences, l'espace sub-saharien, historiquement et culturellement, a toujours été une zone importante de mouvements humains, de migrations économiques et familiales, individuelles et collectives, volontaires et forcées. Cette mobilité, perçue généralement comme source d'opportunités économiques, est au centre des stratégies de survie des familles et des groupes sociaux et est profondément ancrée dans les comportements et les habitudes socio-économiques. Cela corrobore le fait que dans les différentes sous régions de l'Afrique, notamment en Afrique de l'Ouest, il y a environ 8,4 millions de migrants (soit 2,8 % de la population totale de la région). Il s'agit du groupe le plus important de la totalité des migrants en Afrique qui circule au niveau interne, intra régional, continental ou international. Ainsi, la région enregistre le nombre le plus élevé de migrants intra régionaux et, dans une moindre mesure, de migrants à destination d'Afrique du Nord et d'Europe. Seulement, il faut reconnaître que ces formes de mobilité sont moins connues ou encore sous médiatisées, notamment celles concernant les femmes.

La migration : levier de développement ?

Les pays et les organisations internationales perçoivent de plus en plus les migrations comme un phénomène dont le potentiel, en matière d'effets positifs sur le développement, peut être élevé. Selon l'édition 2014 de la note d'information de la Banque Mondiale sur les migrations et le développement, les envois de fonds officiellement comptabilisés vers les pays en développement ont atteint 435 milliards de dollars, soit une hausse de 5 % par rapport à 2013. Les transferts vers l'Afrique subsaharienne étaient estimés à 33 milliards de dollars en 2014 et devraient atteindre 34 milliards de dollars en 2015. Cependant, les opportunités économiques dans les pays d'origine ne doivent pas dans une certaine mesure occulter les effets pervers de la migration notamment les couts humains, psychiques et sociaux élevés, s'étalant sur plusieurs générations ; sans oublier la fuite des cerveaux. En effet, les individus qualifiés ont un poids de plus en plus important dans la structure éducative des migrations internationales. La fuite des cerveaux « brain drain » tend à s'accélérer et à handicaper durement le développement des pays les plus pauvres. En outre, il ressort que les transferts de fonds des immigrés vers leurs pays d'origine ne parviennent pas à compenser les pertes occasionnées par leurs départs.

Nécessité d'une approche multidimensionnelle

La question des migrations et du développement devraient rester une priorité absolue dans l'agenda politique mondial et doit être abordée de manière multidimensionnelle. En termes d'opportunités, les pays d'origine de par les bénéfices économiques induits par les envois de fonds des émigrés, tout comme ceux de destination de par les possibilités d'emploi résultant des déficits démographiques (pénuries de main d'œuvre) ne peuvent tirer profit de ce potentiel que si des politiques appropriées sont mises en place. Il convient de noter que les migrations internes tout comme internationales sont marquées par des dynamiques qui s'inscrivent dans un contexte global marqué par des inégalités de développement, des disparités démographiques, l'inexistence de perspectives d'emplois, une raréfaction des ressources naturelles, une faiblesse des revenus et des conditions de vie, des difficultés économiques croissantes et des crises politiques persistantes dans certains états traditionnels d'accueil. Aussi faudrait-il ne pas occulter les disparités dans les domaines de la démocratie, de la gouvernance, des droits de l'homme et de la sécurité des personnes. Ces dynamiques se manifestent par une diversification des formes/stratégies migratoires qui sont une réponse rationnelle aux transformations globales en cours et aux pressions de toutes sortes. Aujourd'hui, rien que les migrations féminines, qui ne sont, d'ailleurs, pas inédites, et leurs conséquences sur les questions liées au genre, doivent retenir toute l'attention de la communauté africaine. Si l'on ajoute à cela, la question du terrorisme et ses corollaires qui troublent la stabilité des pays et des populations, on comprend aisément que ces communautés, prises entre le marteau de la crise économique et financière et l'enclume des conflits et des crises politiques et sociales, soient poussées à un exode forcé.

C'est dire qu'au lendemain de la série noire des naufrages de la Méditerranée, et au moment où le « dossier migration et développement» se réinstalle au cœur du dialogue Euro-Africain, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, tout comme les Etats-parties devraient inscrire la migration et le développement dans l'agenda post 2015 comme une des priorités à débattre. Les partenaires techniques et financiers ne sauraient rater cette occasion pour mener des interventions ciblées concrètes et développer à la fois des politiques migratoires centrées sur l'homme et le développement, et instaurer des dialogues inter- Etats et multi acteurs sur la question. Le bilan macabre des derniers naufrages de la mer Méditerranée l'impose. Il est impératif de ré-analyser le phénomène, et d'entreprendre de nouvelles actions citoyennes de défense des droits des migrants et personnes déplacées, mais aussi de suivi et d'accompagnement des migrants.

Par Salimata Soumare (@Salisoumare1)

Coordinnatrice au programe gouvernance economique, OSIWA

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.