La prise en otage du Président de la transition au Burkina Faso et de son Premier ministre, a découlé d'un putsch militaire dirigé par l'ancien aide de camp du Président Blaise Compaoré. Cette situation confuse ne laisse pas indifférent AllAfrica Global Media, même si le président de la transition a finalement été libéré ce vendredi matin. Son envoyé spécial (Aliou Goloko) qui est présentement à Ouagadougou pour représenter le président du Groupe, Amadou Mahtar Ba, au Festival International de la Liberté de la Presse (FILEP), a profité de sa présence dans le pays pour faire un round-up de la situation.
A un mois de la fin de la transition politique survenue au lendemain du soulèvement populaire de l'année dernière, au Burkina Faso, le pays semble faire un retour à la case départ avec le changement intervenu à la tête de l'État.
Pris en otage pendant 48 heures avec son Premier ministre et certains membres de son gouvernement en plein conseil des ministres, puis relâché ce vendredi matin, le Président Michel Kafando a été destitué par les éléments de la Garde Républicaine burkinabé (GRB). Des sources sécuritaires proches du Palais présidentiel ont confié à la presse que le président de la transition serait en bonne santé chez lui. Le Conseil national pour la démocratie (CND), dirigé par le général de Brigade Gilbert Diendéré, dans un communiqué lu ce vendredi matin à la télévision nationale, a déclaré qu'elle consent à libérer Michel Kafando et tous les ministres.
Le sort du Premier ministre, Isaac Yacouba Zida reste toujours confus. Certaines indiscrétions laissent croire qu'il serait toujours entre les mains de la garde présidentielle. Ce qui, aux yeux d'observateurs, sonne comme un règlement de compte du moment que la nomination de ce dernier au poste de chef de gouvernement a toujours été contestée par la garde républicaine.
Le dénouement de cette affaire serait le fruit d'une rencontre, le jeudi 17 septembre, entre le CND et une délégation de la communauté internationale notamment une délégation composée des Nations Unies, de l'Union Africaine, de la CEDEAO, de l'Union européenne, des Etats-Unis et de la France. Des organisations qui, de manière unanime, avaient condamné le putsch avant de brandir des menaces de sanctions. Elles exigent également le respect du calendrier de la transition avec la tenue des élections le 11 octobre prochain.
Dans la même veine, le CND, toujours dans son communiqué, en plus de consentir à la libération de Michel Kafando, président de la Transition et de tous les ministres qui étaient pris en otage par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), accepte le principe du dialogue. Ces "putschistes" affirment aussi être favorables à l'établissement de contact pour une sortie de crise au Burkina. Dans un autre communiqué diffusé dans la journée de ce vendredi, le CND annonce que l'ouverture des frontières terrestres et aériennes est effective à partir de vendredi 18 septembre à 12 heures.
Une évolution qui va certainement faciliter la venue du Président en exercice de la Conférence des chefs d'État et de gouvernement de la CEDEAO, Macky Sall. Le chef de l'exécutif sénégalais et son homologue béninois, Yayi Bonni, sont attendus à Ouagadougou ce jour, pour mener une médiation, en vue du rétablissement de l'ordre constitutionnel du pays.
Trois morts annoncés
Le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui détient actuellement les reines du Burkina Faso ne compte pas jouer le rôle de simple observateur dans ce qui adviendra dans le pays. Cette unité d'élite créée par l'ancien président Blaise Compaoré vient de mettre fin à près de onze mois de transition qui allaient sceller le passage à une démocratie nouvelle et pleine avec la tenue des élections prévues le 11 octobre prochain.
Les hommes de Gilbert Dindere dont la « vox populi » appelait à la dissolution redeviennent maîtres du jeu politique au Burkina. Ils avaient ainsi, à la suite d'un premier communiqué après les événements, lu sur les différentes antennes télé et radio du pays, mis fin aux fonctions des leaders de la transition, dissout le Conseil national de la Transition (CNT) et décrété un couvre feu. Ces militaires ont également fermé toutes les frontières du pays avant d'annoncer la création prochaine d'un gouvernement de large consensus. Un état de fait qui chamboule carrément le schéma de transition jusque-là déroulé pour remettre le Burkina sur les rails d'une nation démocratique.
Depuis le début des opérations, les éléments du RSP patrouillaient à travers la ville pour dissuader tout mouvement de foule, histoire de tuer dans l'œuf toute velléité de contestation de leur forfait. Des tirs de rafales se faisait entendre dans différents endroits de Ouagadougou, la capitale burkinabé.
Selon des sources hospitalières, on compte trois morts et une vingtaine de blessés internés dans plusieurs établissements sanitaires de la ville.
Le CNT fait de la résistance
Le Conseil national de la Transition (CNT) ou plutôt ce qu'il en reste, ne compte pas laisser faire aussi facilement.
Cherif Sy, le président du parlement de la transition, a appelé le peuple burkinabé à ne pas se faire après sa victoire acquise contre le régime totalitaire de Blaise Compaoré dont le RSP était vu comme le bras séculier.
Par voix de presse, il s'est autoproclamé nouveau président du CNT avec l'empêchement de Michel Kafando. Il reconnaît, toutefois, son impuissance devant la force militaire du RSP lourdement armée et en possession d'une bonne partie de l'armement du pays.
L'ancien journaliste qui présidait, hier dans la matinée, la cérémonie d'ouverture du Festival International de la Liberté de la Presse (FILEP) dont il était le parrain, était loin de s'imaginer un tel scenario quelques heures plus tard.
A ce jour, il serait dans un endroit sécurisé et tenterait d'organiser la riposte afin que le CNT soit rétabli dans ses droits et puisse conduire la transition à son terme.
La classe politique burkinabé reste aphone sur la situation à l'exception des membres du CDP, le parti de Blaise Compaoré dont un des hauts responsables a dit ne pas condamner ce coup de force.
La société civile qui a fait preuve de courage en appelant à la résistance populaire n'a pas échappé à la furie militaire qui exaspère le pays. La maison de l'artiste burkinabé, Smokey, un des leaders du Mouvement charismatique Balai Citoyen a été incendiée et sa famille a échappé de peu à la vindicte des militaires qui ont visité le domicile.
Dans un communiqué, le mouvement citoyen qui a qualifié les éléments du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) de "putschistes" et de "voyous" appelle à la mobilisation de masse pour faire face. Fadel Barro du Mouvement Y'en à Marre du Sénégal qui a vivement condamné cette situation, sur sa page facebook, avise qu'"Un détachement du Rsp lourdement armé vient de tirer sur le studio de Smokey, porte parole du Balai Citoyen".
Gilbert Dinderé, le nouveau président ?
Le nouvel homme fort avait été destitué au lendemain de la chute du Président Blaise Compaoré dont il est perçu comme le frère siamois. Après 27 années de compagnonnage avec l'ancien président, le patron de la RSP cristallisait, au lendemain de l'insurrection, le rejet du système de Blaise Compaoré.
Un an, presqu'après, il revient en force avec ce putsch militaire qui le propulse à la tête du Conseil National de la Démocratie (CND) en opposition au Conseil National de la Transition (CNT).
Ancien compagnon de Blaise Compaoré et très influent responsable des services secrets burkinabés, il a été sur plusieurs fronts de combats en Afrique de l'Ouest notamment en Côte d'Ivoire, en Sierra Leone et au Liberia.
Il a également collaboré avec les forces françaises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel s'imposant souvent comme un interlocuteur de choix dans la libération des otages occidentaux auprès de l'AQMI et du MNLA dans le désert sahélien.
Ce longiligne militaire (1m96 de taille) aurait-il pris le pouvoir au Burkina Faso pour faciliter le retour de son ami et compagnon de toujours Blaise Compaoré ? Il botte en touche une telle hypothèse affirmant n'avoir parlé à son ancien mentor ni avant, ni après son coup de force.
M. Dinderé promet de rendre le pouvoir au civil mais ne veut point annoncer la date du passage de témoin à un régime civil tout comme il est resté évasif sur les motifs de son coup d'état.
Il affirme avoir le soutien de toute l'armée du Burkina Faso et devrait cependant batailler ferme pour rallier les populations à sa cause, lui, le symbole militaire des 27 années de pouvoir sans partage du régime de Blaise Compaoré.
Malgré le début du dénouement avec la libération de Kafando et l'ouverture des frontières, les heures qui suivent seront cruciales pour le pays dans lequel le calme s'installe petit à petit. Seul quelques rares mobylettes circulaient aux alentours des grandes artères de Ouagadougou mais bien loin du palais de Kossyam, dont Gilbert Dinderé devrait être le nouveau locataire. Pour combien de temps ?