Président de la République du Sénégal,
Président en exergue de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO
Dakar, 12 septembre 2015
Monsieur le Président Muhammadu Buhari, hôte du Sommet,
Mes chers Collègues,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président de la Commission de la CEDEAO,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Représentant spécial et Chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest,
Mesdames, Messieurs,
Après notre Sommet extraordinaire du 13 septembre à Dakar, nous voici à nouveau réunis pour délibérer sur une situation d’urgence qui interpelle notre sous-région.
Je voudrais remercier notre frère Muhammadu Buhari pour avoir bien voulu nous accueillir dans des délais si courts. Merci, également à vous, chers collègues pour votre présence ici, toutes affaires cessantes.
Comme nous le savons tous, le 17 septembre dernier, des éléments du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), ont interrompu le processus de transition au Burkina Faso, en déposant le Président Michel Kafando, le Premier Ministre et les membres du Gouvernement.
Dès le 18 septembre, je me suis rendu à Ouagadougou, en compagnie de notre Collègue Thomas Boni Yayi, pour m’enquérir de la situation, engager des consultations avec tous les acteurs, et aider à trouver une issue à la crise.
Le Président de la Commission, Kadré Désiré Ouédraogo, et le Représentant spécial pour l’Afrique de l’ouest du Secrétaire général des Nations Unies, Mohamed Ibn Chambas, étaient déjà sur place pour les besoins d’une réunion du Groupe international de soutien et d'accompagnement pour la transition au Burkina-Faso.
Ensemble, nous avons rencontré toute la classe politique et les autres parties prenantes, y compris la société civile.
Avec le Président Boni Yayi, je me suis longuement entretenu avec le Président Kafando, à sa résidence, et avec le Général Diendéré.
J’avais tenu à rencontrer personnellement le Président Kafando pour m’enquérir de ses conditions de détention, recueillir son analyse de la situation, ses préoccupations et avis et savoir s’il était disposé à poursuivre ses fonctions de Président de la transition ; ce qu’il a accepté. Et nous avons eu un échange approfondi sur tous les points pouvant aider à une solution pacifique de la crise.
Après le départ du Président Boni, je me suis rendu au Palais de Kossyam dimanche en compagnie du Président Kadré et de M. Chambas, pour rencontrer à nouveau le Général Diendéré et les représentants du RSP, dont des officiers et des hommes de troupe.
Cette rencontre tenait moins à des négociations qu’à un exercice de pédagogie.
J’ai clairement expliqué à tous la gravité extrême de l’acte qu’ils ont posé, ses conséquences néfastes sur le pays, et les risques sérieux qu’ils encourent. J’ai réitéré avec force la ferme opposition de la CEDEAO à toute prise de pouvoir par la force, et exigé la remise du pouvoir sans condition aux autorités de transition.
J’ai rappelé que dans toute démocratie normale, le militaire a l’obligation de se soumettre à l’autorité civile ; et qu’il n’appartient pas au RSP de dicter ses conditions au pays et d’interférer dans la scène politique.
Voilà, mes chers collègues, l’état des lieux au Burkina Faso. Notre rôle est d’arrêter l’escalade pour éviter au pays d’emprunter la pente dangereuse de la violence. Il y a eu des morts et des blessés. Des biens ont été saccagés. Des familles entières et leurs biens sont ciblés en raison de leur appartenance à tel ou tel camp. Certains, ayant peur pour leur vie, sont entrés en clandestinité. De tous les bords, il y a des extrémistes irréductibles.
Pour preuve, le dimanche 20 septembre, dans l’enceinte même de l’hôtel où je logeais, j’ai vu, de mes propres yeux, des civils battre violemment d’autres civils.
Je me dois, dans ces conditions, de vous exprimer, chers collègues, ma grave préoccupation. J’alerte solennellement notre Sommet sur la gravité de la situation au Burkina
Faso, alors même que notre sous-région est déjà sérieusement éprouvée par d’autres sources d’instabilité.
Il y a urgence à agir pendant qu’il est encore temps pour éviter l’impasse et le chaos.
C’est l’objet du projet d’Accord politique de sortie de crise que j’ai présenté à toutes les parties prenantes dimanche et que je soumets à votre appréciation.
Ce projet tient dument compte de la décision prise par l’Union Africaine, conformément à ses textes, de condamner le coup d’Etat, de suspendre immédiatement le Burkina Faso des instances de l’Union Africaine, d’exiger la libération des autorités détenues et le rétablissement du régime de transition, sous peine de sanctions ciblées contre les auteurs du coup.
Il s’inspire également des sept points de convergence proposés par les médiateurs de la Commission nationale de réconciliation, composée de l’archevêque Paul Ouédraogo, de l’ancien Président Jean-Baptiste Ouédraogo, du Secrétaire général du Ministère de la défense et du Chef d’Etat-Major général des Armées.
Nous avons également tenu compte des avis et préoccupations du Président Kafando et de tous les autres protagonistes ; de manière à intégrer toutes les sensibilités et proposer, au-delà de la situation engendrée par le coup d’Etat, une perspective de solution globale et durable.
Le document que je soumets à notre Sommet comprend, pour l’essentiel, les points saillants suivants :
D’abord, il y a l’exigence, non négociable, de la libération de toutes les autorités détenues, le rétablissement du régime de transition et la réinstallation du Président Kafando dans ses fonctions.
Je rappelle que c’est la CEDEAO elle-même qui a aidé à installer le régime de transition consensuel après l’insurrection populaire d’octobre 2014. Nous avions, sur cette base, demandé et obtenu de l’Union Africaine et des partenaires de ne pas appliquer des sanctions au pays. Nous ne pouvons, par conséquent, accepter l’interruption d’un processus que nous avons validé.
Ensuite, le retrait des militaires du gouvernement pour ce qui reste de la transition me parait fondamental, parce que l’armée, tout comme la classe politique et les organisations de société civile, est fortement divisée. Il faut, à tout prix, éviter un affrontement au sein même de l’armée burkinabé.
Le projet d’Accord préconise, également, un processus électoral ouvert, inclusif, libre et transparent. Ce sont des principes universels en démocratie. Il y va de la sincérité et de la crédibilité de tout scrutin qui se veut démocratique. Autrement, le vote portera en lui-même les germes d’une contestation post-électorale.
En outre, nous avons voulu prendre en compte des questions particulièrement délicates, qui nécessitent un traitement à long terme pour la stabilité même du pays.
C’est le cas de la réforme des forces de défense et de sécurité, notamment le Régiment de sécurité présidentielle. Dès le début du régime de transition, la question s’est posée de savoir s’il pouvait prendre en charge le règlement d’une question si controversée, et jusqu’à présent pas résolue. C’est pourquoi, à l’entame de la mission de facilitation que vous m’aviez confiée suite à l’insurrection populaire d’octobre 2014, j’avais suggéré, dans un souci de stabilité du régime de transition, de laisser le soin au futur Président élu de régler ce dossier sensible ; parce qu’il en aura l’autorité et la légitimité populaire.
Mes chers collègues,
Toutes considérations faites, il reste la question vitale de la réconciliation nationale, sans laquelle aucune cohabitation n’est possible au sein d’une Nation indivisible.
On peut humainement comprendre et accepter les frustrations et les rancœurs.
Mais quand on est condamné à bâtir un destin commun, arrive un moment de l’histoire où il est tout aussi humainement nécessaire de pardonner et de se réconcilier pour donner du sens au commun vouloir de vie commune.
C’est l’objet de la proposition d’amnistie contenue dans le projet d’Accord. Il ne s’agit guère d’encourager l’impunité, mais de contribuer à l’apaisement des cœurs, de favoriser la concorde nationale et d’ouvrir la voie à une dynamique de paix durable.
Ce que d’autres peuples ont réussi, y compris pour vaincre l’odieux système d’apartheid, nous considérons que le peuple Burkinabé a la même grandeur d’âme et le même esprit de dépassement pour le réussir et surmonter cette phase critique de son histoire.
Voilà ce qui fonde la proposition d’amnistie.
Et dans le même esprit, je recommande à notre Sommet qu’à titre de solidarité humanitaire, l’Organisation dégage une enveloppe d’un million de dollars pour indemniser les familles des personnes décédées et les blessés suite aux évènements consécutifs au coup d’Etat du 17 septembre.
En votre nom et au mien propre, j’adresse notre message de condoléances et de compassion aux familles endeuillées, ainsi que nos vœux de prompt rétablissement aux blessés.
Je lance à nouveau un appel solennel à toute la classe politique, aux autorités civiles et militaires, à toutes les forces vives du Burkina Faso et au peuple Burkinabé tout entier, pour épargner ce pays que nous aimons tous du malheur d’un conflit.
Si le pays bascule dans la violence, on ne parlera plus d’échéance électorale à respecter, ni d’urnes à convoyer, ni de bulletins de vote à décompter ; mais d’armes à convoyer, de morts et de blessés à compter. Ce serait une sombre perspective pour le pays, pour notre sous-région et pour notre continent.
Alors, que tous ceux qui attisent le feu et poussent au chaos arrêtent. Et que chacun fasse son examen de conscience devant l’histoire.
Je vous remercie de votre aimable attention et déclare ouvert les travaux de notre Sommet.