Les rapports quotidiens faisant état de cadavres jetés dans les rues et la rhétorique dangereuse employée par le gouvernement qui évoque les images de précédents massacres commis au Burundi ont attiré l'attention du monde sur la menace très réelle de violences collectives dans le pays. Le président du Sénat du Burundi s'est récemment adressé à des dirigeants communautaires de la capitale, Bujumbura, en ces termes : « …vous devez [les] pulvériser, vous devez [les] exterminer – ces gens ne sont bons qu'à une chose : mourir. Je vous en donne l'ordre. Allez-y ! »
Ces commentaires sont assortis de mesures déjà prises par le gouvernement qui sont susceptibles de provoquer des violences collectives. La semaine dernière, le Conseil de sécurité des Nations Unies a répondu par l'adoption d'une résolution condamnant la vague de violence montante et menaçant d'imposer des sanctions. Le ministre des Affaires étrangères du Burundi, Alain Nyamitwe, a minimisé les inquiétudes internationales et régionales et a souligné la conviction de son gouvernement qu'il est « sur la voie de l'application de meilleures solutions aux situations présentes dans le pays ».
Toutefois, les rapports de plus en plus nombreux qui signalent la commission de violations des droits de l'homme et d'abus commandités par le gouvernement donnent à penser qu'il en est autrement et que certaines des institutions de l'État chargées de mettre fin aux violences sont en fait coupables d'un grand nombre d'entre elles. Les brutales agressions de l'opposition armée visant les forces de sécurité et les rapports indiquant l'entrée au Burundi d'éléments armés de l'extérieur ne font qu'exacerber ce cycle de violence. Le Burundi se trouve au bord d'une généralisation de la violence et d'une reprise de la guerre civile.
Depuis l'annonce émise en avril par le président Nkurunziza de son intention de briguer un troisième mandat en violation de « l'accord d'Arusha », qui a défini les conditions d'un partage du pouvoir pour mettre fin à 12 ans de guerre civile au Burundi, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a recensé au moins 240 homicides dans le pays. Si toutes les parties impliquées dans la crise, y inclus les éléments armés de l'opposition, ont une part de responsabilité dans l'escalade de la violence et les assassinats politiques en représailles de part et d'autre au cours de ces derniers mois, des rapports toujours plus nombreux signalent que les forces de sécurité burundaises, en particulier la Police nationale et le Service national des renseignements du Burundi, sont responsables d'exécutions extrajudiciaires, de tortures, et d'arrestations et de détentions arbitraires dans le pays. L'Imbonerakure, segment jeunesse du parti majoritaire, est de même impliqué dans un grand nombre d'actes de violence, notamment à l'intérieur du pays, et s'oppose à l'exode des populations civiles qui tentent de fuir à l'étranger.
Plusieurs exécutions extrajudiciaires récentes ont retenu l'attention internationale du fait de leur brutalité gratuite. En octobre, les forces de police ont tué par balle un caméraman de la télévision de l'État, puis ont ordonné à son épouse, à leurs deux fils adolescents, à leur neveu et à un garde du corps local de s'allonger à terre dans la rue et les ont tués d'une balle dans la tête. Des rapports faisant état de tortures sont tout aussi troublants. En août, Amnesty International a publié un rapport intitulé « Just Tell Me What to Confess To » [Dites-moi ce que je dois avouer], qui documente le recours de la Police nationale et du Service national des renseignements du Burundi à la torture et aux mauvais traitements, notamment à de violents passages à tabac de détenus à coups de barres de fer, pour leur extorquer des aveux.
Il s'agit bien d'une crise, crise des droits de l'homme, crise humanitaire et crise de sécurité, qui se déroule actuellement au Burundi, dont la violence risque de s'accroître et qui risque de s'étendre de jour en jour. Les propos incendiaires proférés par le président Nkurunziza et d'autres hauts fonctionnaires de l'État ces derniers jours ont amené les habitants de certains quartiers à prendre la fuite, contribuant ainsi à la crise croissante des réfugiés (plus de 200 000 Burundais ont déjà fui le pays) et risque de précipiter le Burundi dans l'abîme de la violence et des tueries collectives.
Nous devons tous nous efforcer de mettre fin au carnage et tenir responsables de leurs actes les auteurs d'atteintes aux droits de l'homme. Toutes les parties, et tout particulièrement les forces de police et de renseignement du Burundi, doivent s'engager publiquement et immédiatement à cesser toute action violente. Il faut que soit menée une enquête crédible et indépendante sur les violations des droits de l'homme et les abus, notamment sur les homicides et les actes de torture commis par tous les camps, et que soit pris le ferme engagement de tenir les auteurs des violations responsables.
L'appel de l'UA, de l'ONU et de la Communauté de l'Afrique de l'Est à l'ouverture immédiate d'un dialogue et d'un processus de médiation régional offre le meilleur espoir de résoudre la crise et de prévenir une aggravation de la violence. Le Burundi ne peut pas se permettre de repousser davantage la reprise du dialogue. Le gouvernement et l'opposition doivent manifester clairement, immédiatement et de bonne foi leur attachement au dialogue et aux pourparlers de paix. Toute partie, y inclus les acteurs extérieurs, qui ne respecte pas ces conditions ou qui continue de propager la violence doit être condamnée et faire face à des conséquences internationales et régionales. Le Procureur de la Cour pénale internationale, Mme Fatou Bensouda, a averti récemment les parties responsables d'incitation à la violence collective au Burundi qu'elles s'exposaient à des poursuites de la Cour.
Enfin, le président Nkurunziza devrait manifester sa volonté de résoudre la crise en appelant publiquement toutes les parties à s'abstenir d'actes de violence et en condamnant publiquement ceux qui appellent les citoyens à prendre les choses en main eux-mêmes. Les membres de l'opposition devraient en faire autant. Il nous reste une petite fenêtre d'action entr'ouverte pour rétablir la raison et le bon sens à la place du chaos et de la folie qui se répandent dans tout le pays. Nous nous tournons vers la région pour prendre immédiatement l'initiative de convoquer les parties prenantes à des pourparlers de paix à Kampala ou à Addis-Abeba. J'exhorte toutes les parties à faire le bon choix avant que le Burundi ne plonge véritablement dans l'abîme.
Tom Malinowski est secrétaire d'État américain adjoint pour la démocratie, les droits de l'homme et le travail. Contribution parue dans Jeune Afrique