Afrique de l'Ouest: Les réserves d'International Crisis Group sur la force africaine contre Boko Haram

30 Novembre 2015
interview

La force militaire africaine que des Etats africains, en majorité ceux du Bassin du Lac Tchad, sous le leadership du Nigéria, comptent mettre en place, verra-t-elle jour ? La question s'impose, vu les nombreuses réserves et interrogations émises par International Crisis Group. En marge de la conférence de presse tenue le jeudi 26 Novembre 2015 à Dakar, sur la montée l'extrémisme violent en Afrique de l'ouest, au Mali et dans le Sahel, son Directeur du projet Afrique de l'Ouest, M. Rinaldo Depagne (au milieu sur la photo d'illustration) a déterré les causes qui risquent d'annihiler les efforts contre le terrorisme en Afrique. Il a également esquissé des pistes de solutions que les Etats africains pourraient prospecter dans leur quête permanente de solutions.

Qu'est ce qui explique la montée en puissance des groupes armés observés ces dernières années en Afrique de l'Ouest ?

La montée en puissance des groupes armés en Afrique de l'Ouest est certainement liée au recul ou la disparition des Etats. Dans les deux points particuliers où ces groupes sont actifs le Bassin du Lac Tchad, particulièrement le Nord-Est du Nigéria et le Nord du Mali, il est observé, au cours des dernières années, une disparition de l'Etat qui y a enlevé sa police, ses services, ses dispensaires, ses écoles... Des gens sont venus combler le vide.

Devant ce cas de figure, il faut que l'Etat revienne dans ces zones. Il ne faut pas qu'il le fasse uniquement par force avec l'armée mais aussi avec des services publics. D'où la pertinence de l'annonce faite par le Président nigérian, Muhammadu Buhari, de la mise en place d'un Plan Marshall au Nord Est de son pays. Maintenant, ce plan destiné particulièrement à l'Etat de Borno pose beaucoup de questions notamment sur sa faisabilité compte tenu des problèmes de circulation d'argent que connait le Nigéria.

Quelles sont les chances de réussite de la force armée africaine récemment initiée contre Boko Haram ?

C'est une force qui, d'abord a été mise en place pour combattre le crime organisé. Pour rappel, dans les années 90 le Bassin du Lac Tchad et particulièrement le triangle où se rejoignent le Cameroun, le Tchad et le Nigéria a été extrêmement criminalisé. Cette force n'a jamais vraiment fonctionné, ensemble sur le long terme parce que les Etats membres ne s'entendent pas entre eux. Ils ont un contentieux historique et des problèmes de leadership. Donc, évaluer les chances de réussite de cette force est très difficile sachant qu'elle fait des annonces mais ne s'est jamais réellement mise en place.

Dans les stratégies de lutte contre Boko Haram, ce qui fait défaut c'est certainement le fait que les gens pensent qu'il suffit d'éliminer la présence physique des personnes qui rentrent dans ces mouvements armés. Le problème c'est que les gens continuent d'y adhérer. Donc, il faut se battre non seulement contre ces menaces et assurer la sécurité des populations mais se battre contre les causes qui font que les jeunes gens adhèrent aux groupes extrêmement violents.

Est-ce que l'affiliation de Boko Haram à l'Etat islamique ne risque pas de compliquer davantage la situation ?

C'est peut-être une déclaration un peu théâtrale. Pour l'instant, du côté de l'intéressé, on n'a même pas répondu à la demande d'affiliation. C'est comme si vous demandiez à une jeune fille en mariage et qu'elle ne vous répondait même pas. Vous pouvez forcément la désirer mais elle n'est pas obligée de vous épouser.

Avec les successions d'attentats notés présentement dans le monde, est-ce qu'il n'y a pas des risques de ramification de DAESH en Afrique ?

Je ne saurais l'affirmer car on ne connait pas les intentions de l'Etat islamique. Mais on sait qu'il a pris position en Libye. Un pays qui partage des frontières avec d'autres de la région, en particulier, avec un pays du Bassin du Lac Tchad qui est le Niger. Ce qui est problématique. Effectivement, on sent qu'il y a actuellement une volonté d'expansion de cet Etat islamique.

Que doivent faire les gouvernants africains pour mieux réussir la lutte contre les groupes armés dans le continent ?

Ils doivent plus faire attention à leur population. Ils doivent exclure de leur environnement les personnes qui sont impliquées dans des réseaux de financement qui vont alimenter ces terroristes, même s'ils sont indirects. Il faut aussi rester très ferme avec ça et ne plus négocier avec des gens qui finalement représentent un danger pour leur pouvoir propre. Ils doivent aussi tenir leurs promesses vis-à-vis des populations. On connait, par exemple, le problème environnemental qui touche le Lac Tchad. On a une organisation dont la Commission du Bassin du Lac Tchad mise en place depuis 1964 et qui n'a pas fait grand-chose pour arranger les problèmes environnementaux que connaissant depuis cette époque, les populations. Ces dernières donc ont perdu confiance en leur Etat et qui pour certains, dont les plus jeunes, adhèrent à des mouvements comme Boko Haram, spontanément sans être obligés de le faire.

Quelles méthodes mettre en place pour contrecarrer la communication des groupes terroristes ?

L'Etat et les autorités religieuses devraient, à tout prix, répéter que ce qui est présenté comme islam par ces groupes armés, n'est pas la religion. La deuxième chose c'est de contrôler beaucoup plus qu'on ne le fait aujourd'hui les prêches et le discours. Il faut avoir une autorité de ce qui est dit dans les mosquées et de sanctionner les gens qui tiennent des propos absolument violents qui n'ont rien à voir avec le message religieux d'une grande majorité de croyants dans les pays concernés.

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