Dakar a abrité, le 16 juillet 2016, la conférence internationale sur « La justice pénale internationale face aux crimes sexuels et à caractère sexiste ». AllAfrica Global Media, avec l'appui de nos confrères de la chaine de télévision panafricaine ATN/OUEST TV, a profité de la présence, dans la capitale sénégalaise, de Mme Fatou Bensouda, Procureur de la Cour Pénale Internationale (Cpi), pour l'interpeler sur l'importance de cette rencontre mais aussi sur les sorties enregistrées en Afrique et qui accablent la juridiction internationale qu'elle dirige.
Quelle est l'importance de cette conférence internationale ?
Cette conférence organisée par le ministre de la Justice du Sénégal et aussi par le Président de l'assemblée des États parties, a eu lieu à Dakar et je me réjouis du fait que ce soit un état africain qui l'accueille. Cette conférence a un but assez particulier, parce que nous parlons de crimes sexuels basés sur le genre. Un thème extrêmement important car cela démontre pourquoi nous devons réagir, et réagir avec efficacité à ce fléau lors des conflits.
Il y a eu plusieurs interventions lors de l'atelier de ce matin et cela prouve à nouveau l'importance de communiquer sur ce thème.
En tant que Procureure Générale de la CPI, la première décision que j'ai prise a été de faire de ce thème un objectif prioritaire dans mon département. En 2014, j'ai publié un document sur la politique stratégique concernant le traitement des crimes sexuels basés sur le genre par la CPI.
Ce document a fait l'objet de plusieurs consultations avant la version définitive. Consultations avec les ONG, les États, les Académiciens, avec le personnel lui-même parce que le personnel doit nécessairement assumer une grande partie de responsabilité de cet important aspect et aussi avec différents partenaires des Nations Unies avant que le projet ne soit finalisé en 2014 en marge de l'Assemblée Générale des États parties.
Avec cette politique, mon objectif primaire était de montrer, premièrement son importance mais aussi la transparence que nous souhaitons avoir quand nous faisons face à un sujet aussi délicat ; et aussi, bien entendu, publier un document stratégique est important mais le plus déterminant est surtout sa mise en œuvre. Et nous en sommes là.
Nous essayons d'exécuter cette politique, en tous les cas et en même temps, j'ai essayé de faire en sorte d'intégrer les sujets concernant les crimes sexuels basés sur le genre dans nos travaux et cela, des préliminaires à la phase des enquêtes criminelles jusqu'à la poursuite judiciaire.
Et je crois que j'ai un rôle à jouer en tant que Procureure Général de la CPI. Utiliser mon département pour m'assurer qu'un fléau aussi sérieux que celui-ci est au moins traité au niveau de la Cour Pénale Internationale et aussi montrer que ces crimes ne sont pas uniquement des cimes 'normaux', parce que malheureusement, au fil des ans, lorsque ces crimes sont commis, on dit souvent que c'était inévitable, cela devait se produire, comme si c'était des trophées de guerre, mais là n'est pas le cas. C'est un crime très sérieux, je pense, que nous devons traiter et dans mon département, nous faisons tout notre possible pour que ce sujet soit toujours abordé sérieusement.
Quel est le dispositif existant pour lutter contre ce fléau ?
Pour les crimes les plus sérieux, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerres, les génocides qui ont été commis, de Nuremberg à Tokyo, du Tribunal International de l'ex Yougoslavie, du Rwanda (le tribunal International du Rwanda), la Cour de justice spéciale de Sierra Leone et le Tribunal spécial du Liban ; tout ceci sont des efforts qui ont été fournis au niveau International pour assurer que Justice sera faite pour ces crimes au moment où ils sont commis et spécialement si les juridictions locales ne parviennent pas ou ne sont pas en mesure de les juger.
Donc, ces efforts veulent tout simplement dire que la justice criminelle est importante et enfin en 1988, lorsque la communauté internationale s'est réunie à Rome, la décision de créer, non seulement une juridiction ad hoc, mais plutôt une juridiction permanente qui sera mandatée pour juger ces crimes dont je viens de parler, les crimes internationaux, à chaque fois que l'État impliqué n'arrive pas ou n'est pas en mesure de juger ce genre de crimes.
Donc, c'est un jour assez important aujourd'hui et je pense que cela traduit toute l'importance du travail bien fait en matière de Justice, de l'importance des états de droit, toute l'attention particulière donnée à ces crimes commis dans les différentes parties du monde.
La Cour Pénale Internationale n'a pas une bonne réputation en Afrique et certains Chefs d'États menacent de la quitter. Quelle est votre opinion ?
Tout d'abord je veux rectifier. Bien sûr qu'il y a des gens qui n'aiment pas la CPI, ou qui préconisent leur retrait de la CPI en tant qu'États africains. Je vais d'abord m'exprimer en tant qu'africaine, et je dirai que si cela devait se produire, je pense que cela serait une régression pour le continent. Le continent Africain a beaucoup fait, a beaucoup travaillé pour la création de cette Cour.
Le dernier État qui a contribué pour la phase finale du projet de réalisation de cette Cour est le groupe Africain et les premiers cas de références de la CPI sont les parties des États Africains. Et contrairement à ceux qui pensent que la CPI est là pour poursuivre l'Afrique, normalement, c'est tout le contraire, parce qu'actuellement, et vous avez entendu le Ministre le dire, et c'est la réalité ; les États africains ont demandé à la CPI d'intervenir, parce qu'ils ont dit qu'ils pensent qu'ils ne sont pas en mesure, ou n'ont pas les moyens de juger ces crimes. En plus, en tant qu'États parties, nous intervenons dans ces cas à la demande des États africains. Donc, cette idée de penser que l'Afrique n'est pas acceptée par la CPI est loin de la vérité.
Aujourd'hui, la plupart des cas que nous traitons, comme je vous l'ai dit, sont leur demande. Nous collaborons étroitement, nous travaillons ensemble et vous avez entendu le Ministre guinéen, vous avez aussi entendu le ministre de la République centrafricaine qui parlait de collaboration et du travail important que la CPI est en train de faire dans les différents pays.
Pour ma part, parler de quitter la Cour serait un grand pas en arrière pour l'Afrique en tant que Continent. Aussi, il serait préférable d'indiquer les pays qui n'apprécient pas la CPI. C'est très important car vous ne pouvez pas me dire que ce sont les victimes qui n'aiment pas la CPI parce que ces victimes aspirent à la justice.
Dans toutes les situations où nous avons eu à intervenir, les victimes ne recevaient aucune forme de justice. Seule la CPI luttait, faisant face à toutes sortes de défis pour que justice soit faite. Donc ceux qui se disent victimes de la CPI sont en train d'inverser les rôles. Les vraies victimes, ceux qui ont souffert de ces crimes atroces, ces crimes odieux, que ce soit des viols ou autres cas d'abus sexuels, que ce soit des meurtres, tortures, crimes de grande envergure et qui répondent de la compétence de la CPI, ces victimes la réclament, la CPI. Ils sont par milliers. Et je pense que ce petit nombre de personnes qui véhicule cette propagande de 'victimes de la CPI' devrait faire face à la réalité et connaitre les vraies victimes de la CPI, les vraies victimes qui devraient être soutenues par la CPI.