Afrique: Ebrima Sall, Secrétaire Exécutif du CODESRIA – « La coopération entre la Chine et l'Afrique doit être mutuellement bénéfique »

15 Septembre 2016
interview

Un symposium sino-africain s'est tenu les 11 et 12 août 2016 à Mombasa (Kenya) sur le thème « La coopération gagnant-gagnant, le développement commun ». Il a été co organisé par l'Institut de recherches sur l'Afrique à l'Université normale du Zhejiang, le Fonds de développement Chine-Afrique, le Consortium pour la recherche économique en Afrique et le Kenya Institute for Public Policy Research and Analysis. Des dizaines de chercheurs, des médias et des think tanks chinois et africains qui ont pris part à cette rencontre ont repensé les priorités de la coopération sino-africaine selon les dix plans d'action proposés par le président chinois au Sommet de Johannesburg en décembre dernier. L'accélération de l'industrialisation et la modernisation de l'agriculture y sont des priorités... De retour de Mombassa, le Secrétaire Exécutif du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria), M. Ebrima Sall analyse pour allafrica.com les enjeux de cette nouvelle orientation voulue dans le partenariat Afrique-Chine mais aussi le rôle que les think-tanks africains doivent jouer dans cette nouvelle dynamique.

Vous revenez d'un symposium sur la « Coopération gagnant-gagnant pour le développement » tenu le 12 Août à Mombassa (Kenya). Quelles sont les grandes résolutions issues de cette rencontre?

C'était un symposium des think-tanks et des médias d'Afrique et de la Chine. Elle a réfléchi sur la coopération Chine-Afrique pour un développement mutuellement bénéfique. Des participants d'une vingtaine de pays d'Afrique ont pris part à cette rencontre ainsi que la Chine. Il y a eu des universitaires, des représentants de gouvernement des deux pays…L'idée était de partir des conclusions du Sommet sur la Coopération Chine-Afrique (Fcsa) qui s'est tenu à Johannesburg au mois de décembre de l'année dernière. C'est la première fois que ce sommet s'est tenu sur le continent africain avec la participation de plusieurs chefs d'Etat africains et celui de la Chine. Il y a eu la déclaration de Johannesburg qui a été adoptée et qui revient sur celle précédente de Beijing adoptée il y a 10 ans. Le texte de Johannesburg a repris la question de la coopération pour essayer d'identifier de nouvelles priorités.

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Il y a trois documents de référence qui ont guidé les discussions à Mombassa. Le premier c'est l'Agenda 2063 adopté par l'Union africaine. Le deuxième est relatif à l'Agenda pour les Objectifs post-2015 adopté par le Sommet de Nations Unies en septembre de l'année dernière. Le troisième c'est le centième anniversaire du Parti Communiste Chinois qui va être célébré en 2021. Les militants de cette formation politique ont envie de porter le développement de la Chine à un certain niveau d'ici 2021. Du coup, on a pratiquement une période de dix ans sur lequel portera un certain nombre d'initiatives. L'idée c'est de dire qu'il y a des objectifs communs pendant cette période là et des ambitions de réaliser un certain nombre de choses sur le plan du développement aussi mondial que celui de l'Afrique et de la Chine. Il faut donc voir comment la Chine et l'Afrique peuvent coopérer pour atteindre ces objectifs que le vieux continent s'est fixé pour les dix premières années de l'Agenda 2063. Il y a celui que la Chine s'est fixée pour 2021 mais également l'agenda 2030 des Nations Unies.

La discussion portait sur beaucoup de questions notamment l'intervention de la Chine en termes de partenariat sur le plan du commerce, les investissements… Il fallait voir de quelle manière ce partenariat pourrait participer à la transformation de l'Afrique. Les gens ont examiné la question de la transformation industrielle. Il fallait réfléchir sur quelle manière avoir à la fois les infrastructures industrielles et un développement agricole de l'Afrique et faire en sorte d'y arriver par l'investissement ou la coopération.

Les gens sont tombés d'accord sur le fait que la coopération doit être mutuellement bénéfique, basée sur le respect mutuel et ancrée sur une connaissance fondée de l'Afrique et de la Chine ; qu'on fasse l'effort de se connaitre, connaitre la culture et l'histoire des uns et des autres mais aussi mesurer l'importance de l'intervention de la Chine en Afrique qui se chiffre en termes de milliards.

L'une des étapes les plus importantes du symposium de Mombassa c'est qu'avant même de démarrer les travaux, les participants sont allés visiter un site qui va abriter la construction d'une voie ferrée devant relier Mombassa sur la Côte-Est (la deuxième ville du Kenya et l'un des ports maritimes les plus importants de l'Afrique de l'Est) et Nairobi, d'une part, mais également Kisumu. En moyen terme ça pourrait aller jusqu'au Rwanda, le Congo… C'est un projet de 3,5 milliards de dollars dans sa phase actuelle. Il surplombe une réserve naturelle. Les travaux sont très avancés. Ce qui a donné un contenu réel à la discussion lors du symposium. On a vu comment ça va transformer le paysage. Le projet participe à l'intégration régionale car ça relie le Kenya à l'Ouganda et probablement le Rwanda et le Congo. C'est également 38 mille emplois créés. C'est des zones économiques spéciales qui vont sortir de terre ainsi qu'un parc industriel qui sera construit à plusieurs niveaux.

L'un des aspects intéressants de ce projet est que les matières premières utilisées pour la construction sont, pour l'essentiel, tirée de l'économie locale et régionale.

Donc on peut s'attendre à une orientation nouvelle dans la coopération entre l'Afrique et la Chine?

Je pense que ceci est une manifestation d'un infléchissement de l'orientation. En tout cas, il a l'air d'être assez intéressant, du moment où ce qui guide cette coopération c'est justement ces trois objectifs partagés. On voit bien dans l'Agenda 2063, l'Afrique est la principale préoccupation. Dans celui de 2030, c'est global et la Chine y a formé des connexions. Donc il y a intérêt à coopérer parce que le moyen par lequel on peut arriver à atteindre des objectifs multiples qui sont dans l'intérêt de tous les pays. S'il y a quelque chose de nouveau c'est la sensibilité sur des questions qui ont été posées au départ. Il y a plusieurs années, l'une des grandes questions qui revenait dans le cadre des négociations Chine-Afrique c'est l'absence de transfert de technologie. Ça a été pris en compte maintenant car on a rencontré une femme ingénieure formée en Chine et qui travaille sur le site. Ce qui montre que les Chinois sont en train de préparer les gens à faire de la réparation des trains s'ils tombaient en panne, là maintenant de voirie au fur et à mesure. Il y a beaucoup de gens qui vont aller faire des études en Chine pendant la période. Des Chinois viennent aussi former des gens sur place.

La deuxième chose c'est qu'on avait l'impression que tout venait de la Chine. Donc c'était un exécutoire en marché. Ils amenaient leurs matériels et même parfois leur propre main d'œuvre. On n'embauchait pas le personnel local africain. On n'utilisait pas les matières premières et ça ne permettait pas de faire la croissance ou des performances économiques. Maintenant, on voit qu'il y a des efforts qui sont faits. Un début de prise en compte de ces facteurs là avec l'utilisation des matières premières locales pour la construction de la voie ferrée au Kenya et avec la main d'œuvre locale à plusieurs niveaux.

Il y a également une sensibilité sur la question environnementale parce que la voie ferrée va traverser une réserve naturelle et c'est fait de telle sorte que des aménagements sont réalisés de manière à ce que les animaux puissent traverser sans être handicapés dans leur déplacement. Le train va passer au dessus du paysage sans pour autant endommager l'environnement. Ce qui reflète une sensibilité écologique également.

Je pense que cette démarche est encourageante car ça montre qu'il y a une sensibilité par rapport aux premières inquiétudes que les gens ont eues suite à certains projets gérés par la Chine. Maintenant, il reste des questions auxquelles il faudrait faire attention. Il faudrait porter une attention particulière sur les populations locales qui vivent dans une pauvreté. Ils peuvent être embauchés pour travailler sur le chantier mais ce qui va arriver c'est que le foncier va coûter beaucoup plus cher car il sera très prisé dans cette zone-là. Si on ne fait pas attention, les spéculateurs vont envahir cette zone, s'approprier les terres. Donc, en plus de leur utilisation dans les chantiers, il faudrait que les populations soient prises en compte à tous les niveaux, que leur vie change positivement et d'une manière beaucoup plus durable.

Quelle sera le rôle des think tanks africains dans cette nouvelle dynamique afin de permettre au continent d'en tirer le maximum de profit ?

C'est de participer à la réflexion et apporter leur input dans les discussions sur comment ces relations pourraient être gérées de telle sorte qu'elles puissent être bénéfiques réellement à l'Afrique et à la Chine. Mais également, il faut que nous Africains, qu'on soit plus conscient du fait qu'on a beaucoup apporté à ces relations-là. On n'a pas que les matières premières à mettre sur la table. En parlant de développement commun, il ne faudrait aussi voir ce que la Chine apporte mais aussi voir quel est l'apport de l'Afrique et sa contribution à ces efforts. Je pense que l'Afrique a beaucoup à contribuer et les think-tank peuvent aider à faire ressortir ça. Quels sont les atouts ? Qu'est ce qu'elle met sur la table et qui est bénéfique à la Chine et qui permettrait aussi à ce partenaire du continent de pouvoir atteindre ses propres objectifs?

L'autre chose, c'est un rôle de monitoring, de suivi, d'évaluation et d'alerte. Je pense aux populations locales qui risquent d'être les grands perdants en voyant leurs terres faire objet de spéculation. Les think-thank devraient suivre ces dossiers, évaluer ce qui se fait, décortiquer les discours et les projets qui peuvent être formulés à tous les niveaux mais également avoir une force de proposition par rapport à des alternatives possibles, par rapport à une manière d'aller plus loin. Ils vont produire les données et les preuves qui permettront d'améliorer les politiques qui sont formulées ou d'ajuster le tir là où il va falloir le faire.

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