Afrique: Convention Cadre pour la lutte antitabac - 7e session de la Conférence des Parties de l'OMS (COP7)

8 Novembre 2016

Dehli — Traçabilité des produits du tabac : le Kenya et le Burkina Faso au service d’une société privée?

L’Organisation mondiale de la Santé, l’agence de l’Organisation des Nations Unies chargée de la santé, se réunit en Inde du 7 au 12 novembre pour discuter des questions relatives à la règlementation, y compris la traçabilité des produits du tabac. Il s’agit là pour la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac (CCLAT) de l’OMS, de se doter de  moyens techniques pour surveiller les mouvements des produits du tabac dans le monde entier, comme le prévoit son « Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac ». Ce protocole vise à éliminer toutes les formes de commerce illicite de produits du tabac en sécurisant la chaîne logistique, notamment en instaurant des systèmes de traçabilité afin de contrôler les flux.

Au cours de cette COP7, les parties discuteront d’une proposition du Kenya et du Burkina Faso qui devrait à terme imposer un nouveau système de suivi des mouvements des produits du tabac dans le monde entier, avec pour objectif de lutter contre le commerce illicite du tabac.
Ces deux pays africains feraient pression pour obtenir une opposition à tout système de suivi et de traçabilité du commerce du tabac qui serait  « fourni par l’industrie du tabac directement ou indirectement ». Une telle mesure appliquée obligerait les entreprises de l’industrie du tabac à se soumettre à la technologie approuvée par l’OMS, dans tous les pays qui auront ratifié le protocole. Le Protocole est supposé entrer en vigueur 90 jours après sa 40è ratification. A ce jour, seuls 24 Etats l’ont ratifié.

Dans les faits, ce système supplanterait les systèmes de traçabilité que certains pays ont déjà prévu de mettre en place, à l’instar du Burkina Faso où un arrêté a été pris dans ce sens, depuis décembre 2015. Qu’adviendra-t-il de ces dispositions prises en toute souveraineté ? Il en est de même pour la Cote d’Ivoire qui a pris le parti de rendre obligatoire la traçabilité des produits du tabac à travers l’instauration d’un système de traçabilité par arrêté ministériel rendu officiellement public en septembre 2016.

EXCLUSION DE L’INDUSTRIE DU TABAC DU SYSTEME DE SUIVI ET DE TRACABILITE DES PRODUITS DU TABAC, QUELLE EFFICACITE?

Le commerce illicite des produits du tabac est plus complexe qu’on ne le croirait. Il ne s’agit plus seulement de lutter contre la contrefaçon et la contrebande. Les enjeux du commerce illicite sont aujourd’hui plus importants, il constitue des sources avérées de financement du crime organisé ou du terrorisme. L’agence des Nations Unies principalement en charge de questions de santé publique est-elle outillée pour lutter seule contre le commerce illicite ? Les experts en sécurité et le secteur privé ne doivent-ils pas être associés à la lutte et coopérer efficacement, afin de réduire le commerce illégal du tabac ?

Tout système de traçabilité instauré devrait uniquement reposer sur son efficacité et non sur les intérêts purement commerciaux de certaines entreprises, qu’elles soient des sociétés de tabac ou non. Ce principe a été expressément rappelé par le Chef de la Convention Cadre pour la lutte Antitabac : “Nous ne devons pas promouvoir ou soutenir les intérêts commerciaux impliqués dans l'offre de services pour le système de suivi et de traçabilité … »

Cependant, la question de la traçabilité suscite indéniablement des intérêts et motivations qui vont au-delà de la simple question du contrôle des flux des produits du tabac. Le Kenya, qui soudain propose et soutient vigoureusement l’exclusion de l’industrie du tabac du système de traçabilité a récemment connu un scandale impliquant un présumé paiement de pots de vin par une société suisse pour remporter un contrat qui permettrait à la société de remporter le marché des systèmes de traçabilité pour plusieurs produits dans le pays. Certains soupçonnent que la proposition du Kenya à l’OMS soit conçue pour continuer à favoriser ladite société, SICPA. Pourtant, le Kenya a été félicité par l’OMS, exhortant même les autres parties à suivre cette lancée malgré les multiples scandales de corruption de SICPA dans plusieurs pays à travers le monde. En 2015, le Kenya Revenue Authority qui est l’agence en charge de collecter les recettes fiscales au Kenya, recevait le prix de la CCLAT pour la mise en place d’un système de traçabilité, proposé par SICPA. Certaines parties suspectent l’agence kenyane d’être le nouveau bras armé de la société suisse en Afrique.

Le Burkina suit également la recommandation de l’exclusion de l’industrie du tabac, discutée également lors de la réunion préparatoire de la CoP7 des représentants des pays Africains qui s’est tenue à Alger du 10 au 13 Octobre 2016.

LA TRANSPARENCE AU CŒUR DU DEBAT

Les délégués devant participer à cette 7e session de la COP de l’OMS ont été minutieusement scrutés et triés sur le volet par les ministères de la santé des pays membres. Certains délégués ont manifesté leur frustration de voir leur participation refusée, soupçonnés d’être proches de l’industrie du tabac. En revanche, il n’y a aucune restriction quant à la participation des autres organisations aux sessions.

Au jeu de la transparence entre l’industrie du tabac et l’OMS, il n’y a nul gagnant ! Autant l’industrie du tabac ne devrait pas être juge et partie sur la question de la traçabilité des produits du tabac, autant l’OMS devrait rejeter toute mesure discriminatoire, considérant que la possession ou la détention d’un système de suivi et de traçabilité importe peu, le plus important étant l’efficacité et la fiabilité du système.

En outre, l’industrie légale du tabac est la première victime du commerce illicite des produits du tabac. Les sociétés de tabac pourraient donc apporter leur connaissance du secteur- si toutefois elles appliquent les règles de transparence - ainsi que leur contribution pour participer efficacement à la lutte contre le commerce illicite. Par ailleurs, les dispositions du Protocole ne demandent pas l'exclusion de l'industrie du tabac, mais une délégation de pouvoirs. L’Article 8.12 du Protocole oblige les Parties à «établir [...] un système de suivi et de traçabilité, contrôlé par la Partie», et que « les obligations assignées à une Partie ne doivent pas être effectuées par ou déléguées à l'industrie du tabac ».

Le Protocole pour la lutte contre le commerce illicite, en charge des questions de traçabilité des produits du tabac n’est pas encore en vigueur et par conséquent il ne peut être appliqué pour le moment. Or la CCLAT agit clairement dans la perspective de pousser dès maintenant un agenda qui semble dicté, en nommant notamment un délégué du Kenya à la commission dédiée à cette question, à la COP7. La CCLAT a sponsorisé ces 2 dernières années, près de 20 pays africains pour un voyage au Kenya afin qu’ils s’inspirent du système SICPA mis en place, ce qui a valu au Kenya Revenue Autorithy d’obtenir une place privilégiée, au sein de cette 7e session de la Conférence des Parties de l’OMS.

Les décisions relatives au Protocole pour Eliminer le commerce illicite doivent être pris par son organe décisionnel. Toute déclaration ou recommandation prématurée allant dans ce sens, pourraient paraitre opportuniste et suspicieuse.

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