Afrique: Mme Bineta DIOP, Envoyée Spéciale de la présidente de la Commission de l'Union Africaine sur Femmes, Paix et Sécurité – « C'est le devoir des pays qui envoient du personnel de maintien de la paix de former leurs troupes sur les violences basées sur le genre »

18 Novembre 2016
interview

L'Ong Femmes Africa Solidarité (FAS) a doté le Sénégal d'une trentaine de formateurs, issus des forces de défense et de sécurité et de la société civile, sur les outils et techniques préventifs contre les abus et l'exploitation sexuels dans les opérations de maintien de la paix lors de l'Atelier de trois jours tenu du 07 au 09 Novembre 2016 à Dakar. Cette formation est organisée dans le cadre de la mise en œuvre du projet pilote au Sénégal sur « Formation du Personnel des missions de maintien de la Paix sur la Prévention et la lutte contre l'exploitation et les abus sexuels », financé par l'Ambassade de Grande Bretagne au Sénégal et soutenu par l'Ambassade du Japon au Sénégal et le Bureau de l'Envoyée Spéciale de la Présidente de la Commission de l'Union Africaine sur Femmes, Paix et Sécurité. En sa qualité d'Envoyée Spéciale sur les Femmes, la Paix et la Sécurité, Mme Bineta Diop a revisité, pour allafrica.com, les contours de cette activité. Cet entretien a été aussi l'occasion pour elle de repréciser la vision du leadership de Mme Nkosazana Dlamini-Zuma contre les  violences basées sur le genre. Une manière, ainsi, de rappeler aux États fournisseurs de troupes engagées dans le maintien de la paix de sensibiliser leurs hommes sur la nécessité d'intégrer la dimension genre dans leurs interventions en zones de conflits conformément à la politique zéro des Nations Unies. Mme Diop prône également à l'application de la politique de « tolérance zéro » dans les théâtres d'opération. 

Vous venez de tenir une formation de trois jours à Dakar avec le personnel sénégalais des missions de maintien de la Paix sur la Prévention et la lutte contre l'exploitation et les abus sexuels. Est-ce que les résultats visés ont été atteints ?

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Tout d'abord, je tiens à remercier allafrica.com pour avoir accepté de nous accompagner dans ce programme. Le mercredi 9 novembre 2016, nous avons réalisé trois jours de formation des formateurs sur la dimension genre dans les conflits. Je pense que, comme les corps de maintien de la paix l'ont spécifié, les résultats visés au départ ont été atteints à plusieurs niveaux. Depuis le premier jour, nous avons demandé aux corps de défense de paix et de sécurité de nous spécifier quelles étaient leurs attentes. Au moment de l'évaluation finale, ils nous ont dit que ces attentes ont donc étaient atteintes en commençant par comprendre ce qu'est la dimension genre et quel est le comportement des forces de maintien de la paix sur le terrain. La formation a permis d'atteindre une compréhension des missions et mandats  en conformité avec le code de conduite des Nations Unies et également celle de l'Union africaine. Les formateurs sont prêts à être déployés pour former d'autres personnels de maintien de la paix.

Qu'est-ce qui justifie le choix du Sénégal pour y tenir cette activité ?

Le Sénégal est un pays modèle qui apporte une contribution considérable. Il est 7ème rang des pays contributeurs de troupes de maintien de la paix. Le pays est présent dans sept missions de la paix et il est au premier rang en termes des troupes de la police en Afrique. Nous avons 3700 éléments qui sont déployés et en cela il constitue  un pays modèle. Nous demandons et exigeons la tolérance zéro contre les abus et violences sexuels et plaidons pour une intégration effective des femmes dans les forces de défense et de sécurité.  Qu'on continue cet enrôlement des femmes mais également qu'on les déploie quand il s'agit d'aller contribuer au maintien de la paix dans le monde.

Quel est le contexte qui commande cette formation des agents de maintien de la paix ?

Nous notons une évolution des conflits et les guerres que nous traversons sont asymétriques. Elles visent actuellement les populations civiles et particulièrement les femmes et les enfants. Dans le passé les acteurs en conflit, les rebelles, les forces gouvernementales, commettaient les crimes de viol, et  violences sexuelles. Mais actuellement, on se rend compte que les exploitations sexuelles sont commises par nos forces de maintien de la paix. Les récents cas en République Centrafricaine démontrent que ce sont nos forces même qui commettent les crimes d'abus sexuels.

Par conséquent il est nécessaire de les sensibiliser sur la dimension genre dans les contextes de conflit parce qu'il y a des risques d'inconduite des contingents. La politique de tolérance zéro contre les abus sexuels, des Nations Unies et de l'Union africaine renforce l'engagement de la communauté internationale contre les violences sexuelles commises par les troupes sur le terrain. C'est cela qui a motivé la formation des formateurs. D'autant plus que mon mandat rentre dans ce processus. En tant qu'envoyée spéciale de l'Union Africaine, mon mandat c'est de faire faire et nous avons, en collaboration avec le Centre Panafricain pour le Genre, la Paix et le Développement au Sénégal, avec nos partenaires qui sont la Grande Bretagne, le Japon, le Bureau des Nations Unies pour l'Afrique de l'Ouest et du Sahel ainsi que l'ONUFemmes pour organiser cette formation.

Nous avons eu les corps de forces  et de sécurité l'armée, la gendarmerie et la police mais également des membres de la société civile, des organisations féminines et universitaires qui ont conçu le module sur la base d'expérience du terrain et des modèles de formation de l'Union africaine, de la Grande Bretagne, et ONU Femmes entre autres. Ce module est donc unique dans sa conception et intègre la vision des femmes  sur la prise en compte des préoccupations des femmes dans les conflits.  Voilà ce qui a motivé cette formation. Les résultats sont atteints dans la mesure où les participants ont fait part de leur satisfaction et engagement à contribuer durablement à la lutte et la prévention contre les violences sexuelles à tous les niveaux sur le terrain. Ils sont outillés pour aller plus loin et répliquer la formation dans d'autres régions du Sénégal mais aussi partager l'expérience avec d'autres en Afrique.

Cette formation a été aussi l'occasion du lancement d'un projet pilote. Est-ce que vous pouvez revenir sur ce projet, ses objectifs ainsi que les moyens visés pour sa réalisation?

Comme vous le savez, les gouvernements du Sénégal, de la Grande Bretagne et celui du Japon siègent actuellement au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Donc l'intérêt de s'appuyer sur ces états et créer un partenariat pour renforcer la politique de tolérance zéro et qu'elle soit appliquée sur le terrain.

Donc le projet pilote va davantage faciliter ce partenariat entre les trois institutions et ciblés les corps de force de défense et de sécurité du Sénégal. Le projet est conduit par Femmes Africa Solidarité (FAS) à travers son Centre PanAfricain pour le genre, la paix et le développement. Un Centre d'Excellence établi par l'ONG FAS à Dakar au Sénégal en 2005, dans le but de fournir des opportunités de formation et de recherches approfondies sur les questions liées à la consolidation de la paix et au développement avec un accent particulier sur le genre.

Voilà le projet pilote maintenant, les formations étant faites des formateurs, nous allons nous déployés au niveau du Sénégal. Nous irons à Thiès comme dans d'autres régions pour démultiplier cette formation avec trois corps qui ont l'ambition d'être déployés. Nous y seront avec les formateurs formés pour capaciter d'autres militaires qui, demain, pourront faire partie des contingents du Sénégal. Nous avons actuellement sept missions de maintien de la paix dans le monde et le Sénégal en fait partie.

Après le Sénégal, quels seront les prochaines étapes et les activités prévues dans le cadre de ce projet?

Nous prévoyons sept missions et nous pensons que le Sénégal sera doté d'outils et de techniques préventifs contre les abus et exploitations dans les zones de conflits. Il y a des pré-requis pour le déploiement de nos soldats et personnel des missions de paix. Il y a des tests pour voir s'ils ont été formés et cette formation entre en droite ligne d'un processus de renforcement de capacité globale que ce soit en droit de l'homme ou droit humanitaire. Il s'agit de former aujourd'hui au Sénégal et après aller partager demain avec les forces de l'Union africaine en Somalie, en République Centrafricaine, au Sud Soudan, etc. Au niveau régional et sous-régional notamment dans la zone CEDEAO et également au niveau international, ce module pourra être utilisé et partagé avec d'autres.

Est-ce que le cadre juridique africain actuel est adéquat pour une meilleure protection des femmes et des filles dans les zones de conflits ?

Nous avons assez d'instruments juridiques notamment la résolution 1325 et ses subsidiaires mais également les instruments régionaux, tels que le Protocole à la charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes (Protocole de Maputo), l'Agenda 2030, entre autres. Nous nous sommes rendus compte même dans nos discussions que le personnel n'est pas suffisamment formé sur le cadre juridique. C'est le devoir des forces armées et du pays qui envoie les troupes de faire ces formations. C'est une obligation. Maintenant, comme on le voit sur le terrain, la difficulté avec ces textes juridiques c'est la mise en application. Il faut continuer à sensibiliser mais également continuer à former pour que changement de comportement et de mentalité s'opèrent et qu'il n'y ait plus un seul cas d'abus. C'est d'ailleurs réellement l'objectif de notre formation qui certainement fera tâche d'huile pas seulement au Sénégal mais au niveau du continent africain et au niveau international.

En tant qu'Envoyée Spéciale de la Présidente de la Commission de l'Union Africaine sur les Femmes, la Paix et la Sécurité, quels sont les points saillants de votre agenda ? Quels sont surtout les programmes envisagés pour les femmes ?

Les points saillants en tant qu'Envoyée Spéciale sur femmes, paix et sécurité tournent autour des trois piliers qui sont : protection, prévention et participation. Comme je l'ai dis tantôt, ma stratégie c'est de « Faire Faire » pour faire entendre la voix des sans voix que sont les femmes victimes mais également les femmes qui sont actrices principales pouvant faire qu'une nation reconstruise sa destinée pour entrer dans une ère de développement.

C'est pourquoi, nous mettons en œuvre une « armée sans arme » avec une mobilisation massive autour de cet agenda. Nous avons un pilier sur les forces de défense et de sécurité pour qu'ils protègent les civiles. C'est la raison pour laquelle nous avons cette formation.

Nous avons également des femmes capables de faire la médiation ou de participer dans la reconstruction de leur nation. C'est pourquoi nous formons des femmes médiatrices en Afrique pour qu'elles soient une force d'action et de changement. Pour se faire, nous avons identifié des centres d'excellence dans toutes les régions. En Afrique de l'Ouest, nous avons le Centre Panafricain pour le Genre, la Paix et le Développement à Dakar, le Centre Kofi Annan pour le maintien de la paix qui ne s'intéressent que sur ces questions de formation sur femmes, paix et sécurité. Ces institutions sont capables de soutenir notre vision d'avoir une masse critique de femmes et d'hommes bâtisseurs de paix « Peaces Bulders », des transformatrices dans la résolution des conflits.

Nous avons également mis en place un réseau de journalistes qui sont dans des zones de tension, dans les théâtres de guerre pour  contribuer aux mécanismes de  la prévention et mettre en lumière la participation des femmes dans les résolutions des conflits. Il ne s'agit pas seulement de montrer celles qui sont victimes - pour que cela ne se reproduise plus jamais - mais également montrer et partager que les femmes actrices positives pour le développement de leur pays. Il s'agit aussi de mettre en œuvre l'initiative de l'Union Africaine qui a décidé de faire taire les armes à l'horizon 2020. C'est le moment d'avoir des acteurs que sont les jeunes et les femmes pour qu'ils puissent contribuer à l'édification d'une Afrique de prospérité et en paix avec elle-même.

Quel sera la forme d'appui du Conseil de Paix et Sécurité de l'Union Africaine qui vous a récemment magnifié son soutien lors de sa dernière session tenue à Addis Abeba ?

Le Conseil de Paix et Sécurité nous a mandaté de faire un rapport annuel sur la situation. Et nous sommes très reconnaissants pour cet appui considérable pour l'agenda des femmes. J'ai sorti le premier rapport sur cette question en Afrique et ce document va être une contribution significative dans le rapport annuel des Nations Unies. Donc l'Afrique a son rapport, les Nations Unies ont le leur et nous allons compléter notre rapport au niveau international.

Aujourd'hui les sessions ouvertes du Conseil de Paix et Sécurité à la Société civile est un processus exceptionnel et une opportunité unique de plaidoyer et d'évaluation de la mise en œuvre de la Résolution 1325 entre autres, comme il l'a fait récemment à Addis-Abeba. Allafrica.com était là-bas. C'était une session ouverte où nous avons  pu discuter du cas du Sud Soudan et d'autres. C'était aussi l'occasion de parler du rôle de la société civile dans le renforcement de la paix et la sécurité y compris les médias. Les  jeunes bloggeurs, animateurs de réseaux sociaux sont des acteurs incontournables pour porter la voix de l'Afrique et celles des femmes. Les problèmes de l'Afrique doivent être résolus par les Africains et toute la communauté doit en faire partie.

Nous espérons qu'ouvrir la porte du Conseil de Paix et Sécurité continuera à nous servir de passerelle et de d'échange. C'est un dialogue, l'appréciation des missions sur le terrain et la consultation des acteurs que sont les médias, les jeunes et les femmes pour prendre des décisions. On ne peut plus rester à discuter seulement avec nos États. Il faut aller vers les militaires qui maintiennent la paix et qui combattent dans des théâtres de conflits en Somalie, au Mali, au Sahel, où nos troupes sont en guerre avec les rebelles. Donc, il faut les écouter pour connaitre leurs besoins et c'est le Conseil de Paix et Sécurité qui a en charge ce travail-là. Donc leur soutien est important pour accomplir l'agenda Paix et Sécurité.

Est-ce que vous pouvez revenir sur les actions envisagées pour les femmes du Sud Soudan ?

Nous avons lancé, sous le leadership de Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l'Union Africaine une campagne où on demande de restaurer la dignité des femmes. Au Sud Soudan, actuellement, les femmes subissent l'impact des conflits violents à travers les violences basées sur le genre. Le viol y est utilisé comme arme de guerre. Les réfugiés sont trouvés dans les camps de déplacés. J'ai visité onze camps de déplacés dans le Sud Soudan mais également des pays comme le Kenya où on les trouve dans les camps de réfugiés. Déplacés et réfugiés y sont majoritaires avec les jeunes, les femmes en plus des enfants qui sont enrôlés. Donc, les femmes de la jeune nation qui est le Sud Soudan souffrent énormément.

Elles sont également confrontées à la faim car n'étant pas confinées au bon endroit. Il n'y a pas de soutien par rapport aux besoins de base que ce soit la santé, la nourriture et même l'éducation des enfants. Elles subissent tout mais demain on leur demandera de reconstruire. C'est pourquoi on dit aux leaders africains et ceux du Sud Soudan particulièrement mais aussi à la communauté internationale d'aider les femmes de ce pays à sortir de ce gouffre en leur donnant la dignité dont elles demandent tant. Qu'on le leur rende. C'est de ça que cette campagne parle.

Maintenant, nous demandons au public entier de soutenir cette campagne et les médias également de nous accompagner. Nous avons planifié une mission au mois de décembre au Sud Soudan pour les accompagner, pour les entendre, les écouter, pour leur magnifier notre solidarité mais également en disant que s'il y a des ressources techniques financières il faut que ça aille vers ces femmes qui sont victimes et à qui on demandera de reconstruire leur nation.

Votre dernier mot ?

Il faut prendre les volontés politiques et les transformer en action. Il ne s'agit pas seulement de faire des résolutions et des déclarations mais essayer réellement de faire ce qui est attendu. On le sait. On en a parlé dans des forums, des séminaires, mais ce qu'on demande c'est d'aller à l'action, de soutenir ces femmes mais également d'appliquer cette tolérance zéro, combattre l'impunité, d'amener la justice sociale pour que les femmes retrouvent leur dignité au Sud Soudan, en République Centrafricaine et partout où il le faudra. Il faut punir tous ceux qui commettent ces crimes et non les protéger en leur donnant d'autres pouvoirs dans les mécanismes de gouvernance. Donner ces pouvoirs aux femmes fera partie de la réconciliation des processus pour qu'elles retrouvent toute leur dignité.

Merci beaucoup encore une fois à allafrica.com pour son accompagnement et du fait d'avoir accepté de faire partie du réseau des journalistes qui accompagnent l'agenda femme, paix et sécurité de l'Union Africaine

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