Ces derniers temps, certains économistes ont donné de la voix sur la question du franc CFA. Faisant le procès du système monétaire qui prévaut dans l'UEMOA, à la CEMAC et au Comores, ils n'hésitent pas à le rendre responsable du sous développement des pays concernés. Face à leur argumentaire répondent d'autres spécialistes qui dressent un bilan plus nuancé du franc CFA. Ils estiment notamment que entre les interrogations de nature objective se rapportant aux origines de cette monnaie et à son avenir se glissent bien souvent des invectives aux relents purement idéologiques. Le moins qu'on puisse en dire est que ce débat autour de franc CFA fait rejaillir des divergences de vue qui prêtent, parfois, à confusion et on se trouve à bien d'égards éloigné de la considération selon laquelle « l'argent n'aime pas le bruit ». Cette situation oblige le Gouverneur de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) à sortir de sa réserve pour recadrer le débat et éclairer les esprits. Dans une interview qu'il a accordée au magazine Afrique Méditerranée Business, dans son numéro 16 de novembre-décembre 209 – janvier 2017, Tiémoko Meyliet Koné sort de sa réserve pour réfuter les critiques contre le franc CFA.
D'emblée, le Gouverneur de la Banque centrale rappelle que l'objectif principal des pères fondateurs du dispositif monétaire commun visait à créer une zone de solidarité monétaire dans l'esprit de garantir une monnaie stable et convertible, indispensable au développement économique. Ainsi, cette vision de création d'une monnaie commune fonde les accords de coopération monétaire signés avec la France. A ce titre, la solidarité et la stabilité de cette union ont permis aux économies de la zone de résister aux diverses crises et aux États membres de réaliser de bonnes performances économiques. Aussi, martèle, t-il, « la Côte d'Ivoire, par exemple, après plus d'une décennie de troubles a renoué avec une croissance forte, entre 8 et 9% du PIB ». Il rappelle, par ailleurs que tous les autres pays de la zone affichent un essor moyen de 6,5% en 2015 avec une prévision de 7% pour 2016 ». Ce qui atteste donc du rôle et de l'utilité du franc CFA nécessitant d'être renforcés par des politiques orientées vers l'assainissement du cadre macroéconomique et la transformation des économies.
Quant à la question de l'inadaptation des politiques monétaires de la BCEAO et de la BEAC aux besoins réels des économies et d'actions de développement, le Gouverneur de rétorquer que dans les économies en développement, le rôle principal de la Banque centrale est d'éviter absolument le cercle vicieux d'une inflation galopante car l'inflation est « l'impôt des pauvres » mais elle a également un impact négatif sur l'investissement. Il rappelle également, que les deux banques centrales ont à un moment donné de leur histoire, financé directement le développement. « Toutefois, la nature et le volume des financements nécessaires les ont contraintes à créer des institutions dédiées à cette tâche, à savoir, la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) dans l'UEMOA qui totalise aujourd'hui près de 3 900 milliards de FCFA de prêts accordés aux Etats à des taux relativement bas » explique t-il. Monsieur Koné précise aussi que les politiques monétaires agissent directement en soutien de la croissance. Et de citer, en exemple non négligeable, les obligations à long terme émise sur le marché des titres publics pour financer les infrastructures, refinançables au guichet de la BCEAO.
Aux détracteurs du franc CFA dénonçant un système obsolète n'ayant pas évolué depuis plus de trente ans, le Gouverneur clarifie en ces termes : « J'entends dire que rien n'a changé depuis 1962 alors qu'il y a eu dans l'UEMOA, plusieurs réformes importantes entre 1975 et 2008 : les mécanismes et instruments de la politique monétaire ainsi que la gestion du franc CFA ont évolué pour s'adapter aux besoins des Etats. Ces réformes incluent les dispositions de la convention signée avec la France sur le taux de centralisation au compte d'opérations qui est passé de 65% des réserves à 50% depuis 2005. Toujours dans le cadre de cette convention, des discussions sont en cours avec le Trésor français sur l'impact de l'inclusion de la monnaie chinoise dans le panier de devises du DTS (droits de tirage spéciaux). C'est une décision importante dont les répercussions doivent être analysées dans la gestion de nos réserves de change ».
Le Gouverneur recadre clairement la question de l'indépendance des banques centrales africaines vis-à vis de Paris. Selon lui, les critiques du franc CFA sont devenues une sorte de fonds de commerce pour certains. « Ceux qui s'intéressent réellement au sujet savent que, dans l'UEMOA, c'est évidemment la Banque centrale et le Comité de politique monétaire qui décident des actions appropriées en fonction du contexte » ajoute t-il. Il cite l'exemple du taux directeur de la BCEAO fixé par le Comité de politique monétaire à 2,5% depuis septembre 2013. « C'est l'un des plus bas en Afrique, mais supérieur à celui en vigueur dans la zone euro, qui est quasi nul », précise t-il. Et de poursuivre avec fermeté, « nous n'avons pas demandé la permission à la France pour fixer ce taux. Nous avons agi en fonction des exigences de nos économies, dont la croissance a besoin d'être soutenue ».
Le Gouverneur de la BCEAO confie que les tenants de l'idée de « servitude volontaire » restent confinés dans une logique du passé considérant toujours la France comme une puissance coloniale. A ce titre, il souligne qu'une grande partie du débat sur le franc CFA traduit donc un problème d'identité, un complexe, car de nos jours, au XXIe siècle, les rapports entre pays souverains s'inscrivent dans une logique de partenariat et non dans un registre de domination. « les réserves déposées par les Etats auprès du Trésor français, qui font l'objet de critique, constituent des avoirs rémunérés en contre partie d'une garantie assurée par la France, celle de la convertibilité illimitée du CFA. Exactement comme si un banquier exigeait un gage avant de se porter garant d'une opération. Il n' y là aucun rapport de soumission. Il faut considérer la France comme un partenaire et pas autre chose », fait-il remarquer.
De l'avis du Gouverneur, le débat sur le franc CFA et les critiques liées à l'idée de servitude n'ont guère changé depuis 40 ans. Monsieur Koné de poursuivre que les arguments avancés sur les inconvénients du franc CFA ne sont pas plus convaincants aujourd'hui qu'ils ne l'étaient à l'époque. Ils présentent les même lacunes relevant de la méconnaissance des évolutions du fonctionnement institutionnel, des instruments mis en œuvre et des actions menées. Tiémoko Meyliet Koné déplore le fait que les critiques formulées jusqu'ici ne soient pas « appuyées par des études scientifiques crédibles démontrant les méfaits du franc CFA ». En outre, rajoute t-il, « les citoyens de l'UEMOA ne semblent nullement perturbés par ce débat ; la monnaie les rassure. Il en est de même hors frontières avec les pays non membres de la zone qui affichent une préférence marquée pour la devise comme monnaie de réserve ».
Aux détracteurs du système lui reprochant également de faire le jeu des groupes européens, notamment français, en facilitant le rapatriement des capitaux du continent vers leur siège..., le Gouverneur d'argumenter : « Toutes les entreprises d'où qu'elles proviennent, y compris nationales, profitent des avantages d'une monnaie stable, résiliente et convertible. Même si l'Europe représente encore 40% des échanges de la zone, les groupes viennent de partout, Afrique, Asie, Amérique, etc., pour exploiter les opportunités d'investissement.
En ce qui attrait aux évolutions du dispositif monétaire actuel, Monsieur Koné indique que ce sont les besoins des économies dûment analysés qui dicteront les changements à opérer. Et de préciser : « Les schémas retenus pour une monnaie en circulation dans un pays ne sont pas forcément pertinents pour une devise commune en vigueur dans une union ».
A la question de savoir si le système CFA pourrait être remplacé par l'union monétaire de la CEDEAO et sa monnaie unique, l'Eco promises à l'horizon 2020, le Gouverneur de la BCEAO réaffirme qu'adopter une monnaie unique de la CDEAO est une volonté politique affichée par les premiers responsables des pays qui la composent. « Les travaux sont en cours pour parvenir aux convergences souhaitables et préparer le cadre institutionnel ainsi que les critères de surveillance appropriés. La mise en œuvre effective nécessitera que les Etats respectent ces critères malgré leurs spécificités et les aléas de la conjoncture », conclut t-il.