Guinée: Pr Naby Moussa Balde, chef du Service d'Endocrinologie Diabétologie et Métabolismes au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique - « La prise de conscience politique est en cours mais elle reste insuffisante sur MNT »

26 Octobre 2017
interview

Maladies non transmissibles (Mnt) et les Objectifs de développement durable (Odd), approche multisectorielle pour leur prévention et leur traitement : diabète, cancer et hypertension en Guinée. C'est la thématique autour de laquelle la conférence internationale de l'Organisation mondiale de la santé (Oms) avait convoqué la réflexion, du 18 au 20 octobre à Montevideo, la capitale uruguayenne sous le haut patronage du président Tabare Ramon Vazquez et en présence du Directeur général de l'OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. C'était pour une meilleure cohérence des politiques en matière de prévention et de traitement des maladies non transmissibles.

Le Pr Naby Moussa Balde qui faisait partie de la délégation venue de Guinée, nous fait part de son point de vue sur l'importance de cette rencontre par rapport à l'ampleur du défi posé par la gestion des MNT, en particulier pour son pays et le continent africain.

Lors de cette conférence, les participants venus du monde entier « se sont engagés à prendre des mesures ambitieuses et nouvelles pour atténuer les souffrances et réduire les décès dus aux maladies non transmissibles, en particulier les cardiopathies, les maladies respiratoires, le cancer et le diabète, qui sont les principales causes de décès dans le monde. »

Pr Naby Moussa Balde, vous êtes le chef du Service d'Endocrinologie Diabétologie et Métabolismes au ministère guinéen de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Vous êtes ici pour participer à cette réunion sur la prévention et les traitements des Maladies non transmissibles (Mnt) en lien avec les Objectifs de développement durable (Odd). Je voulais savoir quelle est la situation en Guinée pour ce qui concerne ces maladies non transmissibles et la réalisation des ODD?

La situation en Guinée est à l'image de celle de tous les pays de la région avec une vision en demi-teinte. Nous avons fait des progrès pour l'essentiel dans la prise de conscience de l'ampleur de ces maladies notamment grâce aux enquêtes STEPS. Ce sont des enquêtes de l'OMS qui permettent de mesurer l'ampleur des maladies non transmissibles et de leurs facteurs de risques communs.

Nous avons fait des progrès également en matière de mise en place de politiques et de programmes. Malheureusement, pour la majorité de nos pays, la mise en œuvre de ces programmes, leur traduction concrète peine à se mettre en place en dehors de quelques expériences pilotes.

Si je reviens à l'expérience de la Guinée, notre enquête STEPS nous a montré, par exemple, que nous sommes à un peu plus de 5% de la population âgée de plus de 15 ans qui a du diabète. Donc c'est trois fois plus que le Sida.

Ça correspond à plus de 130 mille Guinéens lorsqu'on le rapporte à la population générale. Nous avons aussi pu montrer que l'hypertension est extrêmement fréquente, 1 adulte sur 3 et ceci correspond à plus de 1 100 000 Guinéens. Nous avons montré, malheureusement, autant pour le diabète que l'hypertension, que trois quarts des patients ignoraient qu'ils étaient malades.

Parmi les patients qui sont connus comme malades, il y a moins de la moitié qui ont accès à un traitement moderne. Et parmi ceux qui sont traités, il y a à peine le tiers qui atteint les objectifs de traitement capables de les mettre à l'abri des complications.

Si vous regardez cette situation, vous voyez qu'on comprend pourquoi dans nos familles, dans toutes nos communautés, tous les jours, on entend que quelqu'un a fait une crise cardiaque, quelqu'un a eu un AVC, quelqu'un est entré en insuffisance rénale.

Quand je regarde la situation du cancer, la Guinée a fait des progrès aussi dans ce domaine. Nous avons la chance d'avoir une équipe de référence sur les cancers gynécologiques avec le professeur Namori Keita qui a un centre collaborateur à Conakry. Nous faisons partie des leaders dans le dépistage du cancer du col de l'utérus. Comme vous le savez, ce cancer est dû à plus de 80% à une infection par un virus dont on a le vaccin. Le vaccin a commencé à être introduit, c'est le papillomavirus dans les différents programmes de vaccination de nos pays mais l'accès est encore totalement insuffisant. Il faut donc continuer la prévention dans ce domaine.

Pour ce qui est du dépistage précoce, le cancer du col est un cancer qu'on peut détecter en regardant juste le col pour détecter les lésions précancéreuses en appliquant de l'acide acétyle acétique, c'est-à-dire, le vinaigre. En Guinée nous avons une quinzaine de structures publiques à différentes échelles de la pyramide sanitaire, des centres de santé ruraux à l'hôpital national dans lesquels  nous avons formé du personnel à la reconnaissance de ces lésions précancéreuses du col et on est dans une stratégie qu'on appelle « see and treat », c'est-à-dire que dès que l'agent de santé voit des lésions précancéreuses, il peut les traiter immédiatement en appliquant une cryothérapie.

On forme également, les femmes à l'autopalpation du sein parce que c'est l'autre cancer le plus fréquent chez la femme. Voilà donc les avancées que nous avons mais comme je vous l'ai dit nous peinons d'abord à alerter la population sur la réalité de ces maladies, mais aussi sur la réalité de leurs facteurs de risques, nous peinons à alerter la population sur le fait que ces maladies, par définition, chroniques n'entraînent des signes que trop tard, souvent à l'occasion de complications. Nous peinons à mobiliser nos classes politiques, même si les progrès sont là, pour allouer les ressources nécessaires, accorder la priorité nécessaire à ces maladies chroniques non transmissibles.

Vous savez que nous sommes en compétition avec les maladies transmissibles. Il vous souviendra que la Guinée vient à peine de sortir de l'épidémie Ebola qui a été dévastatrice sur l'économie.

Ces maladies transmissibles font la concurrence d'une certaine manière aux maladies non transmissibles. Il y a une incompréhension générale qui consiste à culpabiliser un peu les patients des maladies chroniques en disant : « il est diabétique parce qu'il n'a pas fait attention », « il est paresseux », « il ne fait pas d'exercice physique », etc. alors que c'est l'environnement global et les déterminants de santé sur lesquels il faut agir pour lutter contre ces maladies.

Donc vous voyez que c'est vraiment en demi-teinte et cette réunion de Montevideo est extrêmement importante notamment pour les États africains pour faire le point et nous remobiliser et être au rendez-vous de 2018 à New York.

Justement cette conférence met l'accent sur l'approche multisectorielle parce que ça ne concerne pas que le ministère de la Santé mais qu'il faut que les autres secteurs soient aussi impliqués notamment en termes de prévention. Comment est-ce qu'on voit ça en Guinée, l'approche sectorielle en matière de prévention, ne pas attendre les complications, ne pas attendre la maladie ?

Là aussi, la situation est en demi-teinte, nous avons incontestablement fait des progrès. Si je prends l'exemple de la Guinée l'année dernière, nous avons été capables d'organiser une réunion de haut niveau sur le diabète et les maladies chroniques non transmissibles, présidée par le Premier ministre et il y avait cinq autres membres du gouvernement représentés physiquement à cette réunion. La prise de conscience politique est en cours mais elle reste insuffisante notamment dans l'implication des autres ministères en dehors du ministère de la santé dans la mise en œuvre des stratégies de lutte et de prévention contre ces maladies.

Nous avons très peu d'engagement du ministère de l'Agriculture, très peu d'engagement du ministère du Commerce, très peu d'engagement du côté du parlement même si des progrès ont été fait pour voter des lois contre le tabac, etc. Mais, il reste du chemin et il est très long. Nous avons une faible compréhension de la part du ministère de l'Urbanisme de la Décentralisation sur la nécessité de maintenir des aires de jeux au niveau des collectivités locales. Nous avons fait des progrès au niveau des ministères en charge de l'éducation. Nous avons eu plusieurs réunions. Nous avons fait des marches avec ces ministres. On est en train de réhabiliter la place de l'exercice physique dans les écoles mais c'est un processus qui est forcément très long.

La société civile a besoin de se mobiliser davantage et à ce titre, je suis heureux d'annoncer que prenant la présidence de la Fédération internationale du diabète pour la région Afrique dans les deux prochaines années, un de mes objectifs prioritaires avec mes collègues sera de redynamiser les associations de patients diabétiques pour constituer de vrais partenaires dans cette lutte contre ces maladies chroniques non transmissibles.

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